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Une monnaie locale pour l’Hérault : la “Graine”

Quand les citoyen·nes se réapproprient leurs moyens d’échanges.

On dénombre plus de 2500 monnaies locales dans le monde. Il en existe environ 82 sur le territoire français. Parmi les plus proches de nous on peut citer : l’Eusko au Pays Basque, fédérant ses usager·es autour de la langue basque ; l’Aïga (l’eau en occitan) en pays cévenol ; l’Abeille dans le Lot-et-Garonne ; la Roue en Provence-Alpes du Sud ; la Sézu dans l’Uzège…

Les MLCC, Monnaies Locales Complémentaires et Citoyennes, sont complémentaires à l’euro car elles ont leur propre rôle à jouer, et citoyennes car le plus souvent indépendantes du pouvoir politique.

Nous allons parler ici de la MLCC du bassin économique de Montpellier, l’Hérault, nommée “la Graine”, une monnaie aux valeurs écologiques et sociales, qui a commencé à germer en 2013.

Naissance d’une monnaie locale

Genèse du projet

Bien avant de s’appeler la Graine, la monnaie locale du bassin économique de Montpellier est née à l’occasion d’un débat qui suivait le film Walter en résistance1 (1) au cinéma Utopia. À la sortie du cinéma, un petit noyau de personnes motivées s’est formé, puis un groupe  s’est réuni très régulièrement dans un café associatif du quartier Figuerolles.

De discussions en réflexions approfondies, le groupe établit petit à petit les fondements de la monnaie locale. Il épluche les aspects juridiques afin que la monnaie soit légale : il ne s’agit pas que la monnaie soit balayée d’un revers de la main par le pouvoir en place mais qu’elle dure dans le temps. En France, les monnaies locales sont soumises au contrôle de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution). Notre monnaie sera donc obligatoirement adossée à l’euro, les “billets” seront des coupons d’échange valables uniquement entre les membres d’une association. Ils s’apparentent en cela aux tickets restaurant.

Les valeurs de la nouvelle monnaie sont posées et écrites dans une Charte : elles seront écologiques et sociales. Le but est de redynamiser l’économie locale. Les futur·es accepteur/trices, commerçant·es et professionnel·les, seront choisis en fonction de leur démarche écoresponsable. Par la suite, un Comité d’Agrément sera créé pour valider leur adhésion.

Les réunions se déroulent de manière conviviale et sur le mode de la communication non-violente. Des ateliers de sensibilisation ludiques sont proposés au grand public afin d’explorer ce qu’est la monnaie, quel sens elle revêt et quels en sont les enjeux pour la vie des citoyen·nes. Certain·es participant·es rejoindront l’équipe militante et deviendront nos premiers adhérent·es. Afin de gérer la monnaie locale, nous créons l’association ADESL, Association pour un Développement Économique et Social Local, dont les statuts sont minutieusement rédigés en collectif. La monnaie locale est baptisée “la Graine” lors d’une séance de brainstorming.

Les coupons sont imaginés et dessinés par de jeunes graphistes bénévoles et un imprimeur se porte volontaire pour l’impression future. Ils portent des monuments célèbres de Montpellier et des oiseaux vivants dans la région.

Après tout ce travail intense, les énergies du collectif sont presque épuisées et il faut réunir une Assemblée Générale pour élire un nouveau Conseil d’Administration constitué de dix co-président·es, et un nouveau bureau. C’est ce nouveau CA qui va lancer l’impression des coupons en 2018. La Graine peut enfin circuler !

Mais que peut-on acheter avec de la monnaie locale ?

Tous les domaines d’activités sont représentés pour satisfaire les besoins très divers de tou·tes : l’alimentation avec de petits commerces indépendants vendant des produits locaux et biologiques en partie ou en totalité (notamment toutes les Biocoops y compris celle d’Agde), les cafés et la restauration, la culture (librairies et cinémas indépendants), le sport et les loisirs, l’habillement, la santé et le bien-être, la mécanique et les réparations, la formation, les métiers d’art, les livraisons, et même un comptable et des avocats… avec à la clé le choix de favoriser et de faire vivre les plus précaires.

Le fonctionnement est simple : une Graine correspond à un euro, les utilisateurs de la Graine se rendent dans l’un des “bureaux de change” et échangent leurs euros contre des Graines qu’ils peuvent ensuite dépenser chez les accepteur/trices de la Graine. Actuellement, la Graine s’est bien modernisée et dispose d’outils informatiques et logiciels très pointus. Il est aussi possible de se faire envoyer tous les mois, par prélèvement, une somme fixe en Graine, ou bien d’acheter des Graines en ligne par carte bancaire ou encore d’avoir un compte alimenté en Graines numériques sur son smartphone et de payer avec celui-ci grâce à un QR code (nous voulions toucher les jeunes, souvent friands d’applis pour smartphone).

Pour les commerçant·es et les professionnel·les acceptant la Graine, qui reçoivent des paiements en Graines de leur client·es adhérent·es à l’association, il s’agit de continuer à faire circuler les Graines sans recourir, autant que possible, à la reconversion en euros. Pour cela iels peuvent payer en Graines leurs fournisseurs si ceux et celles-ci les acceptent également, ou bien iels peuvent rémunérer leurs employé·es adhérent·es à la Graine avec une partie de salaire en Graines (sur la base du volontariat).

Ainsi la Graine tourne dans un cycle d’échanges qui dynamise l’économie locale réelle. La Graine circule bien plus vite que l’euro, du fait qu’elle reste dans un circuit délimité géographiquement.

Le sens et les enjeux d’une monnaie locale

Avec une monnaie locale, on ne peut pas spéculer en bourse. La monnaie reste dans l’économie réelle tandis que la spéculation boursière s’empare des euros et les fait passer dans une économie virtuelle. Ce faisant, une partie importante de la masse monétaire disparaît des échanges réels – ceux qui font vivre commerçant·es et citoyen·nes au quotidien – et l’économie s’en trouve congestionnée.

De même, on ne peut pas déposer les Graines sur un compte en banque. La monnaie locale va donc continuer à circuler et donc à créer de la vraie richesse, celle du vivre ensemble et du lien social.

Les euros reçus en échange de Graines sont déposés sur un compte dans une banque éthique, comme fonds de garantie (ce faisant nous doublons la masse monétaire). Ainsi, nous sommes en mesure de rembourser quiconque voudrait récupérer ses euros. Nous pouvons ensemble décider d’utiliser ces euros pour venir en aide à un membre du collectif. La banque éthique peut aussi nous proposer des crédits intéressants si nous avons un projet collectif à réaliser.

La monnaie locale ne peut pas non plus s’échapper vers les paradis fiscaux ; elle ne peut pas être utilisée pour acheter sur Internet… La monnaie locale crée un réseau de confiance : elle est valable entre les personnes qui l’ont choisie comme moyen d’échange.

En cas de crise financière – ce que l’on ne souhaite pas, bien sûr – on pourrait toujours continuer les échanges.

Enfin, il est important pour nous de conserver l’argent liquide, gage de liberté, d’anonymat concernant les données de paiement.

Ainsi une monnaie locale n’est pas seulement la réappropriation par les citoyen·nes de leur moyen d’échange : elle recrée du lien social et redynamise l’économie et finalement permet de transformer les représentations de l’échange économique. Passer de “à moi le profit ou le meilleur prix” à “profitons des richesses du vivre ensemble”.

Et maintenant ?

Les militant·es de la Graine fournissent toujours un travail formidable. Iels participent notamment aux rencontres nationales avec les autres monnaies locales.

Ils et elles organisent des “balades de la Graine” pour rencontrer les commerçant·es accepteurs/trices ; et des rendez-vous ludiques tout-public avec “le jeu de la Graine” créé pour mieux comprendre la monnaie locale et ce qui la différencie de la monnaie habituelle.

Les militant·es ont travaillé avec les élu·es, plusieurs d’entre eux/elles soutiennent la Graine et ont adhéré, acceptant de recevoir une partie de leurs indemnités en Graines. Le but du travail avec les élu·es est de donner une notoriété à la Graine pour qu’elle devienne la monnaie locale officielle de notre département, et ainsi attirer de nombreux/ses adhérent·es.

Nous aimerions pouvoir utiliser la monnaie locale dans les services publics, payer nos impôts en Graines, payer l’adhésion à la médiathèque, l’entrée à la piscine municipale, etc.

La Graine soutient également un grand projet de Sécurité Sociale de l’Alimentation. Avec le collectif Territoires à vivreS de Montpellier, la Graine gère l’expérimentation de la MonA, la Monnaie Alimentaire. Celle-ci bénéficie à des personnes en situation précaire pour leur donner accès à une alimentation de qualité. La MonA est utilisable dans plusieurs magasins sélectionnés où l’on peut trouver des produits bio, locaux, ou autres. La MonA fonctionne comme la Sécurité Sociale. Une personne cotise à hauteur de 20 euros et reçoit 100 MonA, ce qui équivaut à 100 euros. La différence est compensée par la ville, ou par des contributeur/trices.

Aujourd’hui, la Graine s’étend d’Agde à Marsillargues, de Saint-Mathieu-de-Tréviers à Villeneuve-lès-Maguelone, en passant par Sète, Aniane, Frontignan, Lunel… pour ne citer que ces villes. Le réseau de confiance s’élargit et se densifie !

Épilogue

Dans ma vie j’ai évolué, je suis passée d’une frénésie consumériste inconsciente dans ma jeunesse, à un engagement pour la décroissance, volontaire et conscient. J’ai été un instant décontenancée lorsque je me suis retrouvée à payer mes achats en monnaie locale, n’étais-je pas à nouveau poussée vers davantage de consommation ? Pourtant comme il serait triste d’avoir dans nos villes et nos villages toutes les mêmes grandes enseignes appartenant à des chaînes, et quelle uniformité ! À l’inverse comme il serait triste de n’y voir que des ressourceries, ou l’on ne peut pas toujours trouver ce dont on a besoin. Décroissance et monnaie locale sont tout à fait compatibles.

Le jour où j’ai discuté avec une commerçante qui vend des bijoux artisanaux dans un café associatif lors d’une assemblée générale de la Graine, le jour où j’ai bu un pot avec une esthéticienne, je me suis sentie sur un pied d’égalité avec elles, sans le comptoir ni le tiroir-caisse, et j’ai eu envie d’aller les voir.

Je suis membre d’une coopérative alimentaire, où ce sont les coopérateur/trices qui tiennent le magasin (aidé·es par des employé·es permanent·es), je me mets à la place de la vendeuse et je vois l’autre côté du comptoir…

Enfin, comme il est agréable de voir plein de petites boutiques toutes plus originales et colorées les unes que les autres, quel plaisir de pouvoir être soignée par un·e acupuncteur/trice ou recevoir un massage ayurvédique, pour ne citer que quelques exemples, quelle joie de savoir que mon livreur a des conditions de travail et un salaire corrects, que mon plombier se déplace à vélo, quel bonheur de bavarder avec eux/elles de nos valeurs partagées, de tisser des liens avec eux/elles, de faire des projets collectifs ensemble !

Oui, vraiment, la monnaie locale œuvre pour la biodiversité et cela est réjouissant !

Nathalie Magnier

Pour plus d’informations :

le site internet de la Graine, très bien documenté, https://laruchedesmonnaieslocales.org/lagraine34/ui/home

  1. Walter en résistance, film documentaire de Gilles Perret, 2008, qui pose la question : “Qu’avons-nous fait des acquis du Conseil National de la Résistance ?”. ↩︎