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Pour une cartographie de la militarisation de l’école

Le collectif Non au SNU Île-de-France et celui de Saint-Nazaire se sont rencontrés le 5 octobre 2024. Iels sont venu·es de Paris à Saint-Nazaire présenter dans une soirée ouverte, au lycée expérimental, une “cartographie de la militarisation de l’école”. Quelques questions :

Pouvez-vous nous décrire cet outil ? Son “histoire”, son utilisation ?

La cartographie est née du constat qu’au-delà du seul SNU, de nombreux dispositifs ou structures étaient mobilisés par les armées pour approcher la jeunesse, la recruter à plus ou moins long terme et avant tout rendre le monde militaire familier et séduisant. L’Éducation nationale est un terrain privilégié, mais les enfants éloigné·es de l’école ou descolarisé·es sont aussi approché·es : de futur·es précaires souvent vulnérables ! Nous avons donc listé plus de 150 dispositifs et voulions d’abord les visualiser sur un objet physique : un panneau, en neuf parties à assembler, de 3,60 m sur 2,40 m. Nous avons peint le fond de ce panneau en treillis, pour signifier la présence tentaculaire des armées et le lien de tous ces dispositifs avec le ministère des Armées. Nous avons placé des éléments-clé, comme les Trinômes académiques ou la loi de 1997 (voir ci-dessous) puis nous avons déroulé une colonne vertébrale allant de l’élémentaire à la formation des enseignant·es pour montrer que les interventions se font à tout moment de la scolarité des élèves. Nous avons établi une légende pointant des personnalités usant de leur position entre Éducation nationale et Armées et faisant une distinction entre dispositifs ou structures à vocation explicitement militaire, ou infiltrés et dévoyés au bénéfice des armées. Nous avons ensuite matérialisé, par des traits noirs, les liens entre les différents dispositifs. Cela en fait un objet (de l’avis de toutes celles et ceux qui l’ont vu) impressionnant, qui montre l’aspect massif et l’inextricabilité de la présence militaire auprès de la jeunesse…

Cela met en lumière les logiques de militarisation qui sont depuis des années à l’œuvre. L’école est pensée comme un lieu d’embrigadement et de recrutement pour l’armée, dans un contexte de plus en plus militariste. Pouvez-vous nous préciser comment cela s’organise : quel·les acteur·trices, quels dispositifs ?

Pour donner une idée de l’emprise militaire sur l’école, il est possible de pointer quelques éléments-clés, souvent peu connus voire inconnus, y compris des enseignant·es. Dans chaque académie, par exemple, se trouve un “Trinôme académique” composé du recteur/ de la rectrice, d’un·e représentant·e de l’autorité militaire territoriale et d’un·e auditeur·trice de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale – centre de formation continue et de mise en relation de civil·es sur les questions militaires). Ces trois personnalités travaillent à “développer l’esprit de Défense dans les programmes scolaires, intensifier les liens entre les communautés, militaire et enseignante, favoriser le partenariat entre les deux institutions”… tout cela se traduisant par des projets concrets et bien financés. Citons aussi la Commission Armées-Jeunesse (CAJ), constituée d’une centaine d’organisations (dont des syndicats enseignants, des fédérations de parents d’élèves, des associations d’éducation populaire…) ayant vocation à faire connaître la jeunesse aux armées et à leur donner des moyens pour lui parler. La rencontre directe avec les jeunes, chère aux militaires, peut se faire pendant la Journée de Défense et de Citoyenneté (JDC), ancienne journée d’appel que tout·e Français·e doit réaliser avant ses 25 ans, notamment pour passer le Bac ou le permis de conduire : toute une journée où les militaires sont très libres de leur discours. Encore mieux : une Classe Défense et Sécurité Globale (CDSG) permet de lier une classe à une unité militaire locale pour divers échanges et cérémonies pendant une année scolaire. Leur nombre est en augmentation constante. On pourrait développer avec toute une série de prix et concours mémoriels, du primaire au secondaire, qui mènent très vite au contact avec le treillis si on n’y prend garde… Vous en voulez encore ?

Comment faire vivre cet outil qui montre bien que le SNU (dont l’obligation est suspendue et qui, sans être encore abrogé, n’est plus dans le budget) ne constitue qu’un élément ?

La “carto” a déjà bien voyagé. Nous l’avons montrée en diverses occasions, notamment en région parisienne, lors d’événements militants ou de stages (pédagogiques et syndicaux, liés à la question de l’autoritarisme ou de la militarisation). Elle a été accueillie, avec deux animatrices, à Saint-Nazaire, pour une réunion publique avec les camarades du collectif anti-SNU. Elle est restée en Pays de la Loire pour être présentée aux participant·es de la Biennale de Convergences pour l’Éducation Nouvelle près de Nantes, avant de revenir à Paris. Nous avons été sollicitées par Saint-Etienne ainsi que par l’Observatoire des armements de Lyon, avec qui nous souhaitons vraiment organiser quelque chose.

L’intérêt est bien sûr de montrer cette carto, mais aussi d’en accompagner la lecture. Nous travaillons aussi à l’animation de séances de présentation. Nous souhaitons que le public comprenne les stratégies à l’œuvre, ainsi que les objectifs des armées. Nous avons intitulé la carto “Liens Armées-jeunesse ; Infiltrer, Recruter”, car le recrutement est un objectif assumé d’une armée qui a besoin de chair fraîche, dans les professions strictement militaires mais aussi dans tous les corps de métiers. Cela dit, notre analyse a évolué : il nous apparaît de plus en plus évident qu’au-delà du recrutement se joue une véritable fabrique du consentement, par les objets culturels notamment, et par la récupération de méthodes ludiques ou d’éducation (prétendument) populaire. Les armées doivent paraître familières, sympathiques, incontournables. Dans le contexte international actuel, nous espérons réaliser à travers nos ateliers une conscientisation salutaire. Nous cherchons des moyens de diffusion plus larges, mais sommes attachées aussi à notre objet physique, et surtout aux réflexions mutuelles qui naissent des rencontres.

Et au-delà de la nécessaire compréhension du processus, quels leviers, quels contre-pouvoirs, comment faire grandir une culture de la désobéissance individuelle et collective ?

La conscientisation que nous visons est un point de départ nécessaire. Il faut diffuser le plus largement possible ces réflexions. Nous sentons le besoin aussi, comme cela s’est matérialisé grâce aux camarades de Saint-Nazaire, de tisser des liens sur tout le territoire. Les collectifs anti-SNU locaux sont souvent un peu dormants ou portés par de petits nombres de personnes. Si la menace du SNU semble faiblir, la démobilisation (excusez le terme) n’est pas du tout d’actualité. Mais il faut se fédérer et se donner de la force. Avec Saint-Nazaire, nous avons entamé une discussion avec le “collectif national”, c’est-à-dire les personnes qui ont alerté dès le début et qui ont produit les première analyses critiques du SNU, en créant une vaste liste mail des collectifs locaux. Nous souhaitons envisager les suites, nous tourner vers la question plus large de la militarisation et changer de nom, au passage, avec les collectifs qui en seront d’accord. Il faut aller à la rencontre des organisations de la jeunesse, première concernée. Il faut produire un matériel visuel pour occuper bien plus les réseaux et l’espace public, colonisés par la propagande. Il faut, face aux gens qui diront “on n’a plus le choix, la guerre est à nos portes”, répondre “Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes” !

Pour nous écrire : collectinonausnu-idf@mailo.com

Irène et Cassandre

du collectif Non au SNU Idf

Pour aller plus loin : une émission récente sur Fréquence Paris Plurielle :