Il y a 100 ans.
En novembre 1924, à Douarnenez, plus de deux mille femmes décident de cesser le travail. Les Penn sardin connaissent en effet des conditions de travail terriblement dures, pour des salaires de misère. Une grève particulièrement inspirante, autogérée et reconduite plus de 40 jours.
Les Penn sardin
On appelait ainsi les sardinières à Douarnenez, celles qui travaillaient dans les usines où l’on mettait en boîte la “friture”. La préparation de la sardine, petit poisson fragile, n’attend pas. Il n’y a donc pas d’horaires précis, ça commence quand les bateaux débarquent leur précieuse pêche et ça peut durer plus de dix heures d’affilée. Cela nécessite une grande quantité de main d’œuvre, et la main d’œuvre la moins coûteuse aux yeux des “usiniers” (les patrons), ce sont les femmes, évidemment. Elles sont étêteuses, emboîteuses, sécheuses, saleuses, cuiseuses, broyeuses ou femmes de bouillotte, car à chaque étape correspond un nom précis de métier. Ce travail à la chaîne demande rapidité et dextérité. Leur savoir-faire est attesté en ce début de XXe siècle et pourtant, il est très mal payé, les sardinières sont les ouvrières les moins bien payées du pays.
Une misère insupportable

En novembre 1924, les conditions de vie sont tellement effroyables que la colère des femmes monte contre les patrons des usines qui s’engraissent sur leur dos et pour certains les traitent avec mépris. “On ne peut plus vivre !”. Pour les plus âgées d’entre elles, cela rappelle des souvenirs 20 ans en arrière. En 1905, elles avaient déjà mené une grève pour obtenir d’être payées à l’heure et non plus au “mille”, (au nombre de sardines travaillées), une grève qu’elles avaient gagnée. Cela s’était concrétisé également par la création d’un syndicat, composé exclusivement de femmes.
L’heure est venue de lutter à nouveau, lutter pour être augmentées, lutter pour être reconnues dans leur identité d’ouvrières. Mais les femmes qui ont plus de 20 ans d’usine le savent déjà : le combat sera rude, elles auront en face d’elles “des requins”. Justin Godart, ministre du Travail en 1924 dira lui-même aux trois déléguées des sardinières montées à Paris, en parlant des usiniers : “Vos patrons sont des brutes et des sauvages”.
La grève
Le 21 novembre, plus d’une centaine d’ouvrières cessent le travail après qu’un contremaître ait refusé de les recevoir. Elles vont immédiatement porter la grève dans les usines aux alentours, les autres sardineries, une biscuiterie et une usine de métallurgie. Deux jours plus tard, le dimanche 23, elles sont plus nombreuses encore à marcher dans la ville. La grève se propage comme une trainée de poudre et le 25, toutes les usines de la ville débrayent ce qui donne 3 000 personnes dans la rue ! Ce n’est que le début d’un âpre et long combat.
Nombreux soutiens et belle solidarité

La lutte va durer et en cet hiver 1924, c’est particulièrement difficile. Mais dès le début et jusqu’à la dernière heure, les sardinières peuvent compter sur le soutien indéfectible de leur maire, fraichement élu, le communiste Daniel Le Flanchec. C’est un orateur hors pair qui les accompagne dans les défilés et qui usera de tous ses contacts au Parti communiste pour médiatiser la lutte et trouver des aides financières conséquentes (3 000 francs récoltés au bal de solidarité organisé à la Bellevilloise et 7 000 au meeting du PC au Pré-Saint-Gervais), de quoi remonter le moral des grévistes à la veille de Noël.
Parmi les soutiens, celui de Lucie Colliard est particulièrement important. Institutrice, emprisonnée pour avoir propagé ses idées pacifistes, membre de la CGTU où elle s’occupe du travail des femmes, elle vient galvaniser le moral des sardinières et les persuader, en féministe qu’elle est, de demander d’être payé comme les hommes : le slogan sera “Pemp real a vo !” (Nous voulons vingt-cinq sous), il devient l’hymne de la grève. Elle met en place le comité de grève et les soupes populaires qui aident à tenir. Un autre soutien de poids, celui de Charles Tillon, futur ministre à la Libération, qui est alors responsable de la CGTU à Rennes.
Six semaines de grève et au bout, la victoire !
À deux reprises, les patrons ont refusé de négocier, jouant l’usure en cette fin d’année. Lors d’une conciliation organisée à Paris par le ministre du travail Justin Godart, ils ne veulent toujours rien savoir et engagent des briseurs de grève pour créer du désordre et faire reprendre le travail. Le 1er janvier, ces voyous blessent le maire et deux autres personnes dans un café et prennent la fuite. Cette affaire se retourne alors contre les commanditaires, les patrons des usines. Si bien que deux jours après, ils cèdent sur toute la ligne : l’augmentation du prix de l’heure acceptée et la majoration des heures supplémentaires ainsi que celle des heures de nuit !
Cette lutte est parvenue jusqu’à nous grâce à plusieurs femmes. L’une d’elles Claude Michel a composé paroles et musique du chant bien connu des militantes féministes Les Penn sardin.
Continuons de le chanter pour honorer cette magnifique lutte de femmes !
Joëlle Lavoute
Une belle grève de femmes : Les Penn sardin Douarnenez, 1924, Anne Crignon, éditions Libertalia, 2023, 168 p., 10€.
À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr