Le congrès national de la FSU se prépare dans un contexte où le gouvernement Macron-Barnier multiplie les agressions contre la jeunesse, le monde du travail et les quartiers populaires.
Dans les prochains jours commencent les congrès départementaux, où une question sera incontournable : comment combattre cette politique ?
Mais il n’y sera pas seulement question de lutte immédiate. Car un congrès syndical, c’est aussi un grand nombre de débats : quelles revendications pour quelle école, quel syndicalisme et quelle société ? Essayons d’y voir plus clair, dans les volumineux rapports soumis aux débats.
Des nouveautés pas si neuves
La “recomposition syndicale”, autrement dit un rapprochement CGT-FSU, est régulièrement évoquée dans les milieux militants, et parfois dans la grande presse.
Cette question ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Simple rapprochement ou fusion, le problème est avant tout : sur quelles bases, pour quel syndicalisme ?
Et derrière cette question, il y en a une autre : celle de l’alternative sociale. La direction de la FSU entend aujourd’hui stimuler et structurer – avec d’autres syndicats – l’unité de la gauche politique (le “Nouveau Front populaire”), pour une alternance électorale en 2027 (ou avant).
Ce n’est pas nouveau : des responsables de la tendance majoritaire “Unité & Action” ont déjà dans le passé, par un texte collectif, présenté l“union de la gauche” des années 1970 comme inspiration pour les rapports entre syndicats et partis de gauche 1. De ce point de vue, la direction de la FSU va beaucoup plus loin qu’un simple appel au vote pour le NFP. Elle envisage clairement un rapprochement organique et permanent avec les partis de gauche, y compris sur le terrain électoral : “la nécessité urgente de cadres larges, englobant le syndicalisme, les mouvements associatifs et les partis politiques progressistes, pour imposer des alternatives économiques, sociales et écologiques et pour parer la menace d’une accession de l’extrême droite au pouvoir”.
Cette orientation est une impasse, voire une régression. Tout d’abord, car les expériences de la gauche au pouvoir, montrent qu’elle se situe en général dans une “gestion loyale” du capitalisme et de la régression sociale… ce qui au final facilite la victoire des forces les plus réactionnaires, en créant colère et désespérance.
Ensuite (et c’est lié), se mettre à la remorque de forces politiques “de gauche”, n’est pas du tout souhaitable. Le syndicalisme doit continuer ce pour quoi il existe : mener la lutte dans les lieux de travail et dans la société, changer le rapport de forces non seulement pour des questions immédiates, mais aussi pour un changement de société global (Charte d’Amiens). Cela n’exclut pas de travailler avec des partis politiques sur des questions précises liées aux revendications… mais cela exclut d’accompagner, même de manière “critique” ou “vigilante”, une coalition prétendant changer la société par l’action parlementaire.
“Unité & Action” comme “École Émancipée” (plus proche du PS et du PCF pour l’une, de LFI pour l’autre), veulent entraîner le syndicalisme dans cette impasse.
C’est à cette aune qu’il s’agit d’analyser le “nouvel outil syndical” qui est prôné. Dans la réalité, il y a peu d’illusions (ou de craintes) à avoir : la fusion de la CGT/FSU – Solidaires semblant écartée à l’heure actuelle – n’est pas d’actualité. Les proclamations sur l’unification à la base (qui d’ailleurs ne sont même plus mentionnées) sont de pure forme : dans quel département y a-t-il un vrai travail à la base ? En revanche, des listes communes aux élections professionnelles sont beaucoup plus probables : ce serait d’ailleurs positif, sauf à approuver l’électoralisme boutiquier qui sévit lors de ces échéances.
Si une fusion organique est peu probable à court terme, en revanche ce rapprochement peut très bien se faire dans l’idée de constituer un “bloc” CGT-FSU 2 pour peser sur l’unité de la gauche parlementaire. Là encore, une priorité bien éloignée des nécessités de la lutte.
Quelle conception de l’“alternative” et de la “rupture” ?
Pour le reste, on notera que les textes soumis aux débats restent très habituels. La direction de la FSU ne se situe pas dans un affrontement avec le capitalisme, mais plutôt dans son aménagement : et pour cela, constituer un interlocuteur incontournable pour le pouvoir (de préférence avec un gouvernement “de gauche”, comme on l’a vu).
Cette perspective réformiste et corporatiste, structure le texte du thème 4 (sur le syndicalisme), et la démarche revendicative des autres thèmes : outre la stratégie politique évoquée plus haut, il part du principe que le syndicalisme “de transformation sociale”, c’est la Fédération de syndicats nationaux catégoriels, chacun dans son pré carré corporatif. Et le reste à l’avenant, y compris quand ce sont des questions brûlantes. Ainsi les “journées d’action” saute-mouton restent l’outil privilégié. De même, l’ignorance des problématiques d’auto-organisation est manifeste, aussi bien en ce qui concerne l’organisation des luttes (question des AG de personnels souveraines) qu’en ce qui concerne l’organisation de solidarités concrètes (caisses de grève), ou encore les formes d’action (boycott des instances, grèves reconductibles).
On retrouve cette logique réformiste dans le thème 3 (“Rupture écologique, droits humains et justice sociale”). Sur la forme, il y a des évolutions : un “verdissement” de la démarche revendicative, entamé au précédent congrès. Et aussi des interrogations non dénuées de pertinence, par exemple sur la “Sécurité sociale de l’alimentation”. Il faut sans doute y voir la prise en compte des thématiques de l’École Émancipée (le prix de son accompagnement de la politique de l’appareil syndical), mais aussi l’alignement du programme revendicatif sur le réformisme new look du Nouveau Front populaire : on structure le programme revendicatif pour être compatible avec celui de l’alternance électorale de gauche.
C’est de ce point de vue que l’on doit comprendre la “rupture” proclamée : elle consiste en fait à une décarbonation complète de l’économie. Rupture avec le productivisme oui, mais pas avec le capitalisme comme proclamé au congrès précédent (de ce point de vue, la tête de la direction cette année est plus honnête). Car on ne peut rompre avec le capitalisme sans construire une société socialiste, sans mettre fin à la propriété capitaliste des grands moyens de production et d’échange, sans exproprier la grande bourgeoisie. L’on cherchera en vain dans les rapports préparatoires la notion d’expropriation, de planification (en dehors de la planification écologique), ou même de socialisation ou de nationalisation… même pas une phrase pour revendiquer le retour dans le secteur public des services privatisés (ce qui en soi ne serait même pas anticapitaliste).
Ça tombe bien, le programme du NFP évacue lui aussi cette question…
Il faut noter toutefois un certain nombre de revendications tout à fait progressistes sur les droits et libertés, sur les questions internationales (violences policières, Ukraine, Palestine, etc.) sans toutefois qu’une opposition claire au militarisme (et donc la nécessité de l’antimilitarisme pratique) soit formulée. C’est un problème classique dans la FSU (et pas que dans la FSU) : les engagements progressistes sur des sujets restent très souvent des mandats de sommet sans beaucoup de conséquences pratiques. Ainsi, le mouvement de solidarité avec la Palestine (notamment “Stop Arming Israël” soutenu formellement par la FSU) est très peu abordé en soi alors qu’il représente un élément important dans la jeunesse.
La persistance du réformisme corporatiste
La contrepartie de cette politique dans les thèmes éducatif (thème 1) et corporatif (thème 2), ce sont des revendications qui restent dans le cadre du capitalisme, qui s’auto-limitent. Par exemple sur l’école : en dehors de constats qui critiquent les effets des politiques gouvernementales, il y a finalement peu de perspectives. La question d’une rupture avec le capitalisme dans le domaine éducatif (ce que d’aucun·es, comme à Émancipation, nomment la question de “l’éducation intégrale”, de “l’enseignement polyvalent et polytechnique”, etc.) n’est pas abordée. C’est cohérent : si on reste dans le cadre du capitalisme, on ne peut qu’humaniser son système éducatif sans remettre en cause jusqu’au bout son caractère de classe.
Mais même dans ce cadre, les revendications proposées sont assez peu offensives en-dehors de revendications “basiques” ou classiques (créations de postes, etc.). Ainsi la question de l’abrogation d’un certain nombre de contre-réformes particulièrement nocives des dernières années n’est même pas (ou plus) posée.
Ces limites se retrouvent dans les revendications corporatives (thème 2). On se contentera ici de deux exemples parmi beaucoup d’autres. Alors que la précarisation et la précarité augmentent en flèche, non seulement la direction de la FSU ne revendique pas la titularisation sans condition des non-titulaires, mais elle est en retrait sur le sujet : elle se borne à demander “un plan massif de titularisation des contractuel·les” (auparavant elle condescendait tout de même à écrire “tou·tes les contractuel.les”). En ce qui concerne la condition de nationalité bloquant la titularisation, les personnels en question… sont priés.es de se faire naturaliser : la FSU revendique “Des mesures facilitant la naturalisation” !!
La situation est encore plus caricaturale concernant la protection sociale complémentaire des personnels. On voit aujourd’hui que la signature (même “de combat”) de l’accord sur la protection sociale complémentaire par toutes les organisations de la Fonction publique, a une signification claire : les directions syndicales ont fait le choix d’accompagner la marchandisation de la protection sociale, de valider un aspect de l’offensive contre la sécurité sociale. Aujourd’hui, c’est la privatisation de la protection sociale dans divers ministères (et demain dans celui de l’Éducation nationale ?) qui se profile, au profit des compagnies d’assurances et autres fonds de pension. Dans cette situation, la direction de la FSU n’éprouve même pas le besoin de tirer un vrai bilan critique des accords qu’elle a signés.
Tous ces atermoiements renvoient là aussi à une stratégie globale : ne pas affronter le capitalisme, se poser comme interlocuteur institutionnel des pouvoirs en place. Ce qu’on appelle aujourd’hui le “dialogue social”, et hier la collaboration de classes.
Quentin Dauphiné
- https://unite-action.fr/le-syndicalisme-face-a-un-tournant/ ↩︎
- Solidaires pour l’instant préserve davantage son indépendance, mais pas SUD Éducation. ↩︎