Les médias se sont fait le relais de l’annonce présidentielle : « le groupe pharmaceutique danois, Novo Nordisk, va investir plus de deux milliards d’euros en France », présentée comme un succès, succès personnel, dans la politique de réindustrialisation du pays. Mais qu’en est-il réellement ?
Ce géant pharmaceutique (première capitalisation boursière d’Europe) est déjà implanté dans l’hexagone. Il compte plusieurs sites, dont celui de Chartres (1 600 personnes) qui devrait doubler sa capacité de production. Présenté comme un succès dans le cadre d’un plan dit de “relance”, annoncé en septembre 2020, ce plan est un dispositif de subventions publiques proposées par l’État français et les collectivités locales afin que s’(ré) installent en France de grands groupes industriels. Par exemple ProLogium (conglomérat taiwanais) a annoncé un investissement de 5,2 milliards d’euros, en contre-partie de 1,5 milliards d’argent public.
Mais de la coupe aux lèvres la distance est telle que parfois les milliards s’évaporent, car si l’État va bien donner 1,5 milliards, rien n’assure dans ce genre de marché que la multinationale investira ce qu’elle a promis.
Des précédents, “Take the money and run”
Depuis des dizaines et des dizaines d’années des “subventions” sont données aux grands groupes industriels, sans contrepartie, pour que des emplois soient créés (on pourrait en faire un roman en plusieurs tomes).
Qui se souvient du scandale Daewoo en 1998, alors que Lionel Jospin était Premier ministre de cohabitation ? L’affaire débute en 1986, pour tenter de remédier au désert industriel en Lorraine, consécutif à la fermeture des sites métallurgiques de production d’acier voulue par l’Europe, Daewoo est sollicité pour venir s’y implanter et va recevoir environ 46 millions d’euros (équivalant franc) et de nombreux avantages, (sans doute allègement des cotisations sociales, et des impôts, etc. ) pourtant en 1998 Daewoo en difficulté au niveau mondial, va fermer, au fil de plans sociaux, trois de ses usines lorraines en licenciant 1 200 salarié·es. Une polémique s’ensuivra Daewoo étant “accusé” de n’avoir pas “assez” investi (et créé les emplois promis) se contentant d’empocher les aides. François Bon a relaté, en 2004, cette affaire dans un livre, Daewoo dont il a tiré une pièce de théâtre au titre éponyme, mise en scène par Charles Tordjman qui fut présentée au Festival d’Avignon.
Selon la Cour des comptes, l’impact sur l’économie française de ce dispositif de subventions reste à démontrer. Voici ce qu’elle écrivait récemment :
“[…] 838 M€ ont été alloués sous forme de subventions à 531 projets d’investissements industriels, dans le cadre de la mise en place de l’appel à projets […] Malgré le montant des subventions, il est encore trop tôt pour apprécier les résultats de ces soutiens. En effet, seuls 42 % des crédits ont déjà été versés aux bénéficiaires […] La Cour indique que les premiers effets socio-économiques du dispositif apparaissent modestes. L’indicateur choisi pour mesurer les résultats, à savoir le nombre de créations ou d’emplois maintenus, est largement inadapté aux objectifs poursuivis. Les effets en matière de réduction des vulnérabilités sont aujourd’hui difficilement vérifiables.”
On ne connaît pas encore le montant des subventions promises au laboratoire danois…
Produire mais produire quoi ?
Novo Nordisk est présenté comme un laboratoire, vertueux, produisant des médicaments utilisés pour lutter contre le diabète, ce qui est vrai mais n’est pas l’essentiel de sa production ni de son fabuleux enrichissement (sa valeur en bourse a atteint 400 milliards d’euros).
Le succès de ce Big pharma repose sur la mise au point de “stylos” de Victoza (©novo nordisk) permettant l’injection d’insuline quotidienne ce qui est une avancée pour les diabétiques, mais surtout sur la commercialisation d’un nouvel anti-diabétique l’Ozempic (©novo nordisk) qui est détourné et utilisé aux États-Unis, pour maigrir, comme coupe faim… Hors de prix, plus de 10 000 dollars, pour un traitement d’un an, délivré sur ordonnance et sous contrôle médical, l’Ozempic (©novo nordisk) est utilisé pour le diabète de type 2, car son action est supérieure à l’insuline, mais c’est l’un de ses effets secondaires : la baisse de poids, qui a fait son succès.
Le marché des coupe-faim évalué à plus de 130 milliards d’euros est un eldorado pour l’industrie pharmaceutique, ce qui a conduit Novo Nordisk à mettre au point un dérivé le Wegovy (©novo nordisk) destiné à lutter contre l’obésité (voir la liste des produits mis sur le marché). Le nombre de personnes obèses dans le monde, s’élève à 988 millions actuellement, (1,9 milliard en 2035) aux États-Unis plus de 40 % de la population souffriraient d’obésité, et le pourcentage culmine à 80 % si on y ajoute les personnes en surpoids. Le nombre de diabétiques devrait passer, lui, de 537 millions en 2021 à 783 millions en 2045… Ce sont les conséquences de la malbouffe diffusée par l’industrie alimentaire industrielle, par la vente de burgers-frites, et sans doute aussi de l’agriculture intensive, à laquelle s’ajoute la dégradation du système de santé, or les plus touchés, ce sont les classes populaires.
Comme toutes les “substances miracles” détournées de leur usage (le Médiator, l’Oxycodron) ces coupe-faim sont potentiellement dangereux, ils peuvent provoquer un ensemble d’effets secondaires, par exemple la paralysie de l’estomac, des occlusions intestinales, et sont suspectés de provoquer le cancer du pancréas. Une étude récente de l’université de Colombie-Britannique (Canada) montre un lien entre les coupe-faim et des affections gastro-intestinales sévères. Une autre étude de l’Association américaine du diabète a mis en évidence une suspicion de risque de cancer thyroïdien. Le comité de sécurité de l’Agence européenne du médicament (AEM) a même lancé une évaluation du risque suicidaire et d’automutilation. Sans compter d’autres effets indésirables moins graves : chute de cheveux, vomissements.…
Rétention d’informations voire désinformation
Tout comme les autres Big Pharma, Novo Nordisk pratique la rétention d’informations voire la désinformation. En septembre 2017, Novo Nordisk a accepté de payer 58,7 millions de dollars pour mettre fin à une enquête du ministère de la justice des États-Unis sur l’absence de divulgation à la FDA (Food and Drug Administration) donc aux médecins, du risque de cancer provoqués par le Victoza.
En mars 2023, Novo Nordisk a été suspendu de l’Association of the British Pharmaceutical Industry (ABPI) pour une période de deux ans, pour les mêmes raisons…
Cerise sur le gâteau (des lobbyistes) : Novo Nordisk est membre fondateur et sponsorise l’Association Américaine du Diabète (American Diabetes association) qui publie des contenus éducatifs pour les professionnels de santé, et du public… (sans commentaire !)
Bernard Foulon