Aborder l’Amérique latine comme un seul et même ensemble, en négligeant les singularités nationales, est une gageure. Comment comparer sept millions de Nicaraguayen·nes sous l’emprise d’un révolutionnaire (Daniel Ortega) qui s’est transformé en despote et 220 millions de Brésilien·nes qui tanguent entre Bolsonaro et Lula ? Comment amalgamer l’apparente modernité chilienne et l’instabilité structurelle dont souffre Haïti, la “4e transformation” mexicaine et les imbroglios de la gouvernance péruvienne ? Pour autant, de grandes tendances communes traversent le continent de part en part : boom des matières premières et des euphories extractivistes et exportatrices, crises économiques et politiques actuelles, manifestations pour de meilleurs emplois ou pensions, mouvements indigènes, mobilisations féministes ou décoloniales pour gagner en reconnaissance et en égalité, organisations écologistes ou paysannes défendant leurs territoires… tandis que de puissantes dynamiques réactionnaires et populaires s’opposent au changement et prônent l’ordre et la sécurité.

Amérique latine : les nouveaux conflits , Bernard Duterme, éditions Syllepse, décembre 2023, 180 p., 13 €.

Fuyant les violences politiques, les persécutions religieuses ou la pauvreté, des hommes, des femmes, des enfants quittent leur pays, se mettent en route pour des voyages de plusieurs années au cours desquels ils/elles sont confronté·es aux pires dangers. Cinq années durant, été comme hiver, Didier Fassin et Anne-Claire Defossez ont mené une recherche à la frontière entre l’Italie et la France, auprès d’exilé·es, pour reconstituer leur périple en l’inscrivant dans le contexte géopolitique des bouleversements du monde. Ils ont pris part aux activités menées pour leur porter assistance et ont rencontré les multiples acteurs et actrices de ce territoire de migrations millénaires. Leur enquête donne ainsi à comprendre l’expérience des exilé·es, l’engagement des volontaires. Elle dévoile l’inefficacité d’une militarisation de la frontière qui rend plus dangereuse la traversée de la montagne et d’une politique qui nie les droits de personnes en quête de protection.

L’exil, toujours recommencé Chronique de la frontière , Didier Fassin et Anne-Claire Defossez, éditions du Seuil, janvier 2024, 448 p., 24 €.

En 1988, François Mitterrand est à l’Élysée, Jacques Chirac à Matignon. Dans ce contexte de cohabitation entre la gauche et la droite, l’assassinat de Dulcie September, 52 ans, est hautement symbolique. La représentante de l’ANC en France est abattue deux ans avant la libération de Nelson Mandela et six ans avant l’élection de ce dernier à la présidence sud-africaine, le 9 mai 1994. Dulcie a-t-elle été éliminée dans le cadre d’une action d’“escadrons de la mort” sud-africains alors actifs en Europe, ou bien a-t-elle été spécifiquement ciblée parce qu’elle en savait trop sur le contournement de l’embargo dans le domaine de l’armement et du nucléaire ? Derrière l’assassinat de cette militante se dessine un véritable polar géopolitique, où l’argent et le cynisme font la loi.

Dulcie : Du Cap à Paris, enquête sur l’assassinat d’une militante anti-apartheid , une enquête de Benoît Collombat, dessin Grégory Mardon, éditions Futuropolis, novembre 2023, 304 p., 26 €.

Entre 1995 et 2010, Isabella Lorusso a interrogé 12 femmes dont la vie a été définitivement marquée par la révolution espagnole et la guerre civile de 1936-1939. Dix d’entre elles ont vécu directement ces événements ; quatre ont milité dans le mouvement anarchiste CNT-FAI, en particulier dans l’organisation féministe des Mujeres Libres ; les autres avec le POUM, parti révolutionnaire antistalinien. Isabella Lorusso, enseignante et chercheuse italienne nous présente dans ce livre certaines des femmes les plus courageuses de notre époque.

Pour l’amour et la liberté Militantes dans la révolution espagnole, Isabella Lorusso, traduit par Diane Gastellu éditions Libertalia, novembre 2023, 372 p., 10 €.