Les congrès académiques du SNES puis le congrès national, se sont déroulés en février-mars 2024. Ils sont l’occasion d’une mise en scène qui traduit une conception du syndicalisme et de la société qui n’est pas la nôtre. C’est ce qu’a observé notre camarade au cours du congrès académique d’Aix-Marseille.
Un congrès bien huilé
Le Congrès du SNES de l’Académie d’Aix-Marseille s’est admirablement déroulé : salle pleine, lieux confortables et spacieux, déjeuner dans une salle pourvue de moquette, présence de Sophie Venetitay, secrétaire générale, organisation impeccable, emploi du temps maîtrisé, horaires tenus, équipe dirigeante plus collective, rajeunie et très féminisée, tendance U&A confortée à 80 %, représentation des S2 de façon presque équilibrée avec des photos réjouissantes de mobilisations vauclusiennes contre la modification de l’âge de la retraite, des cortèges drôles, massifs, festifs, joyeux. Si un département des Alpes n’a qu’une équipe squelettique, la dispersion de l’habitat et le caractère rural du territoire peuvent expliquer cette solitude du responsable. Les retraité·es sont bien représenté·es globalement. L’appareil syndical fonctionne donc à merveille, les rouages sont parfaitement huilés. L’autosatisfaction domine, le bilan est salué avec enthousiasme. C’est un sans faute féministe puisque la mesure du temps de parole, à un débat près, penche très nettement en faveur des femmes, majoritaires à la tribune.
Des débats court-circuités
On en oublierait presque la lente érosion du syndicalisme dans son ensemble. Et du point de vue de la tendance minoritaire qui est la nôtre, ce qui frappe, c’est l’absence de débat sur des sujets pourtant brûlants, la laïcité, l’inclusion, le soutien à Gaza ou le bilan de la lutte contre la réforme des retraites. Nous tentons d’aborder ces thèmes passionnants, mais nos interventions doivent tenir, selon les cas en 5, 4, 3 minutes voire moins, et une sonnerie fatidique retentit quand le moment est venu de se taire. Il faut donc une grande capacité de synthèse et une bonne résistance au stress pour s’exprimer dans de telles conditions. Le résultat, c’est non seulement la marginalisation des tendances autres qu’Unité et Action (Émancipation, ainsi que l’École Émancipée, URIS) mais encore l’impossibilité de témoigner du malaise des enseignant·es – l’émancipation pédagogique serait hors sujet – ou d’évoquer les problèmes des professions minoritaires (CPE, PSY-EN : par exemple, la fermeture d’un CIO insalubre qui prive de locaux les collègues concerné·-s). Dans la “salle” on renonce à s’inscrire plutôt que de se plier aux règles impitoyables de la tribune. De quoi est-il question alors ? D’un féminisme consensuel (cellule de veille, féminisation des textes…), de syndicalisation, de rapprochement avec la CGT. Les critiques de la signature d’accords sur la PSC qui nous éloignent du 100 % Sécu et pénalisent les retraité·es sont immédiatement évacuées puisque d’autres organisations de “transformation sociale” ont signé. Quant au mouvement sur les retraites, il a permis de décrocher… la classe exceptionnelle pour quelques privilégié·es ! Nous avons d’ailleurs gagné… “la bataille des idées”. Certes, l’opinion publique était largement favorable à la mobilisation… pour quel résultat ? Un camarade d’École Émancipée a tenté d’évoquer ce combat, le lien entre syndicat et politique… En trois minutes chrono, une question de fond est évacuée.
Une verticalité qui s’applique partout
Certes, l’organisation syndicale est calquée, grosso modo, sur la hiérarchie de l’Éducation nationale. Et ce système hiérarchique est celui de toute la société française, à commencer par le pouvoir politique du Président de la République, chef de guerre, qui fait passer des réformes contre l’ensemble des syndicats, de la population, en enjambant le Parlement, avec la complicité de ses ami·es du Conseil Constitutionnel (certain·es lui doivent leur nomination). Ce modèle vertical (souvent patriarcal… mais il ne suffit pas de remplacer un homme par une femme, ou d’appliquer la parité pour redonner de la vitalité à la démocratie… car la proportion de femmes a cru considérablement parmi les ministres, les parlementaires depuis l’instauration de la Ve République, et jamais la verticalité jupitérienne n’a donné autant le vertige) s’applique partout, dans les municipalités, les associations où des têtes élues (flanquées d’expert·es) imposent leurs vues à des assemblées, à des conseils souvent transformés en simples chambres d’enregistrement. Un seul, une seule, ou un petit noyau monopolisent la parole, prennent les rênes. On ne tient pas vraiment “conseil”. Pour en revenir à l’Éducation nationale, qui remet en cause, aujourd’hui, les pouvoirs de l’inspection et les refuse ? Dans le premier degré, les directions ne se distinguent-elles pas de plus en plus des professeur·es, qu’est devenu le “conseil des maîtres” ? Comment fonctionnent les conseils de classe, d’établissements, d’administration ? Y a-t-il des mouvements antihiérarchiques ?
Une autre conception du syndicalisme et de la société
Nous avons une vision différente de la société en général, et du syndicalisme en particulier. Nous nous situons dans le couloir syndical très étroit d’une tendance minoritaire à la FSU. Mais les aspirations à une expression moins verrouillée, dans les conseils syndicaux, les heures d’information syndicales (qui s’inspirent aussi de ce schéma pyramidal) pourraient rencontrer des échos, même en dehors de milieux très militants. Il y a les positions que nous défendons sur tel ou tel sujet, et aussi la forme, le carcan dans lequel sont enfermées, non seulement l’opposition à la direction, mais encore toute la base qui n’a pas l’habitude des “ténors”, ou des pros du syndicalisme. Des temps de parole très courts, l’impossibilité de réagir et répondre spontanément ; quand une question est posée, il faut attendre son tour (qui décide de l’ordre des interventions ?). Toutes ces pratiques formalisées, en apparence égalitaires, réduisent la plupart des gens au silence. D’autant que les responsables, eux ou elles, ont tout loisir d’introduire la réunion en prenant une heure, si bon leur semble, et en réduisant drastiquement les échanges. Il va sans dire que l’absence de structuration peut profiter à un gourou, un leader charismatique, et qu’un fonctionnement horizontal (autogestionnaire ?) ne serait pas simple à construire dans un monde où l’individualisme gagne du terrain, où l’on vénère des icônes, des “grands hommes” (et désormais quelques “grandes femmes”) en oubliant la dimension collective des résistances (Manouchian) ou des avancées sociales (Simone Veil). Il existe des moyens, tour de table où chaque personne s’exprime sans distinction de statut dans les “conseils”, présidence de réunion tournante, rapports courts pour laisser l’essentiel du temps au débat, rotation rapide des mandats etc… Et des adhérent·es plus impliqué·es dans le syndicat pourraient l’être aussi dans divers domaines. Mais ce serait une autre histoire, moins lisse, moins consensuelle, plus conflictuelle que ce Congrès dont les responsables ont tout lieu de se féliciter, malgré les cuisantes défaites du mouvement social.
Marie-Noëlle Hopital