Il parait que l’avenir [est] sera pire que le pire des inventions de la littérature d’Anticipation et de SF, la dystopie La Servante écarlatehttps://fr.wikipedia.org/wiki/La_Servante_écarlate de Margaret Atwood, excellent roman (The Handmaid’s Tales publié en 1985) et magistralement adapté en série (au moins les deux premières saisons) en est l’éclatant exemple, mais reste, pour l’instant du moins et heureusement, du domaine fictionnel dans le monde occidental.
Or quand la “réalité” de Minority Report https://fr.wikipedia.org/wiki/Rapport_minoritaire_(nouvelle) de Philip K. Dick (publié en 1956) qui décrit un système prédictif des crimes, (un organisme, Precrime, est chargé d’empêcher l’accomplissement des crimes à venir par l’arrestation des personnes qui, sans cela, pourraient potentiellement les commettre – le roman passionnant a été très bien adapté au cinéma par Steven Spielberg), or donc, quand cette réalité fictionnelle devient celle de la France (voire de l’Europe) de 2023, il y a bien lieu de s’inquiéter.
Lighthouse Reports https://www.lemonde.fr/signataires/lighthouse-reports-1/, consortium de journalistes, dont ceux et celles du journal Le Monde, a enquêté sur l’algorithme des Caisses d’allocations familiales (CNAF) et ses dérives, et son enquête : “Profilage et discriminations : enquête sur les dérives de l’algorithme des caisses d’allocations familiales” https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/12/04/profilage-et-discriminations-enquete-sur-les-derives-de-l-algorithme-des-caisses-d-allocations-familiales_6203796_4355770.html n’est rien moins qu’inquiétante.
Cette enquête vient recouper ce qu’avait dévoilé la Quadrature du Net https://www.laquadrature.net/2022/10/19/caf-le-numerique-au-service-de-lexclusion-et-du-harcelement-des-plus-precaires/ https://www.humanite.fr/societe/algorithmes/lalgorithme-de-la-caf-profile-et-discrimine-ses-allocatairesqui, après un long combat, avait obtenu le code source de l’algorithme et expliqué qu’il fonctionnait sur les bases “d’un « score de suspicion » plus élevé pour les personnes aux faibles revenus, les chômeurs et chômeuses, les allocataires des minima sociaux et les habitant·es de quartiers dits défavorisés”.
La CNAF justifie son action en raison d’une suspicion de fraude sociale importante mais cette chasse à la fraude est sans commune mesure avec les montants récupérés, ni avec son ampleur… Pour rappel, “la fraude sociale” est estimée à huit milliards d’euros, alors que la fraude fiscale est estimée à 100 milliards d’euros, sans parler des défauts de paiement des cotisations sociales par les employeurs, et des super profits réalisés lors de la “crise de l’énergie” et que Bercy refuse de taxer.
Ainsi ces hypothèses invérifiables sont surtout la mise en œuvre de politiques de lutte contre la fraude “érigées en objectifs institutionnels poussés par la droite et l’extrême droite dans le débat public”.
Discriminer les plus vulnérables
“Dis-moi qui tu es, l’algorithme dira si tu es suspect…”
Généralisée depuis 2010, son utilisation se fait la plupart du temps en toute opacité, et après une décennie d’utilisation rien ou presque n’avait filtré au sujet des critères utilisés par l’organisme, jusqu’à l’étude et la publication du code-source par la Quadrature du Net :
“Pour fonctionner, il doit associer des scores de suspicions élevés aux personnes qui perçoivent, soit des minima sociaux, soit sont en situation de famille monoparentale (80 % des parents isolés sont des femmes), ou bien qui bénéficient de l’allocation adultes handicapés”.
Mais le plus important est la façon dont ces suspicions sont recherchées : “Plus votre revenu est faible, plus votre score de suspicion est élevé”, “plus vous êtes longtemps aux minima sociaux, plus votre score est élevé”.
D’autres variables ont été introduites, par exemple les situations dites “d’instabilité”. Parmi les personnes précaires, l’algorithme vise donc “les séparations récentes, l’instabilité professionnelle, les changements de domiciles…”
D’autres paramètres comme le lieu de résidence, le type de logement (social…), le mode de contact avec la CAF (téléphone, mail…) ou le fait d’être né·e hors de l’Union Européenne sont utilisés, sans que l’on ne sache précisément comment ils affectent cette note.
La Quadrature du Net dénonce une “surveillance prédictive aux accents dystopiques” et juge cette pratique comme davantage “politique” et “policière” que sociale.
Vincent Dubois, sociologue et professeur à l’Institut d’études politiques de Strasbourg et auteur du livre https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/controler-les-assistes/Contrôler les assistés. Genèse et usage d’un mot d’ordre (éditions Raisons d’agir), paru en 2021, interrogé par Médiapart dit “n’[être] pas surpris par les données obtenues par La Quadrature du Net,… [et] que la révélation du code source utilisé par la CNAF confirme son « surcontrôle des populations précaires »”.
L’ancien Défenseur des droits Jacques Toubon avait fustigé en 2017, dans un rapport https://www.defenseurdesdroits.fr/rapport-lutte-contre-la-fraude-aux-prestations-sociales-quel-prix-pour-les-droits-des-usagers-294 une démarche fondée sur des “préjugés et des stéréotypes”.
Depuis quelques années de nombreux médias, du Monde à Radio France, en passant par StreetPress, ont documenté la détresse des allocataires face à un système implacable, puisque les allocations, souvent vitales pour ces personnes, sont suspendues et que leur rétablissement semble très difficile à obtenir, quand les “fraudeurs” étiquetés ainsi par la CNAF ne se voient pas demander aussi des remboursements.
Contrôle social suite… !
Le conditionnement du versement du RSA à quinze heures d’activité hebdomadaires (travail en entreprise ou formation) qui peinait à être mis en place, va être généralisé dans le cadre du plan de “réarmement” décidé par le nouveau “fringant” Premier ministre, accompagné de mesures “anti-sociales” pour que les bénéficiaires “reviennent sur le chemin de l’emploi…”
Cette nouvelle loi prévoyait également le remplacement de Pôle Emploi par la plateforme France Travail (Famille Patrie) dès le mois de janvier 2024, or auparavant, les demandeurs du RSA n’étaient pas dans l’obligation de s’inscrire à Pôle Emploi pour pouvoir toucher des allocations. Les nouvelles directives imposant aux bénéficiaires du RSA “d’engager activement leur réintégration dans le monde du travail”, cette inscription permettra de faire un suivi et des vérifications.
“Pour mettre les allocataires du RSA au travail, la puissance publique recourt à des investisseurs privés pour financer l’action sociale, avant de les rembourser avec intérêts…”
À ce sujet Médiapart a révélé que diverses stratégies se mettent en place pour effectuer ces contrôles, par exemple le Conseil Départemental du Nord les a externalisés vers le privé.
Fin 2023 il a signé un contrat de 4,5 millions avec Positiv visant à réinsérer les “auto-entrepreneurs” allocataires du RSA, (Positiv fondée par Jacques Attali compte dans son conseil d’administration l’ancienne ministre du travail Muriel Pénicaud, des membres des conseils d’administration des plus grands groupes EY, anciennement Ernst & Young, l’Oréal, Orange et quelques entrepreneurs issus des quartiers populaires).
Dans le cadre du premier volet du dispositif, Positiv reçoit, à partir de juin 2023, chacun des 6 500 allocataires du RSA et auto-entrepreneurs recensés dans le Nord pour sélectionner parmi eux et elles les 760 les plus à même de viabiliser leur auto-entreprise. Pour ce diagnostic, l’association reçoit, dans un premier temps une subvention du département de 2,4 millions d’euros (entre autres, le dispositif est tentaculaire, le contrat que s’est procuré Médiapart comporte 200 pages et ne peut être présenté en quelques lignes).
Afin de les faire sortir du RSA, le deuxième volet consiste à accompagner ces 760 allocataires dans la création et le développement de leur entreprise. Ils/elles sont pour cela encadrés par des conseiller·es de Positiv pendant dix-huit mois – sans plus de précisions sur la nature de l’accompagnement, puis des investisseurs privés entrent en jeu pour la suite du dispositif.
Et enfin pour faire bonne mesure, une énième réforme de l’assurance chômage est annoncée, alors qu’une nouvelle convention chômage avait déjà été signée fin 2023, dont l’agrément a été différé par le gouvernement, les règles actuellement applicables (réforme de 2019) étant prolongées jusqu’au 30 juin 2024.
Bernard Foulon