Sommaire

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Marionnette et Ventriloque

Sans le vouloir, presque par paresse, on adopte le langage du pouvoir en place. En prendre conscience est une nécessité.

Austin et Chevalier

Je me souviens avoir lu dans mes jeunes années Quand dire c’est faire de John Longshaw Austin. Dans les bibliographies de classe préparatoire, prêt-à-penser des étudiant·es, figurait également en bonne place Classes laborieuses et classes dangereuses de Louis Chevalier. Moi qui n’avais pas lu grand-chose, du moins pas grand-chose de sérieux, je me sentais subitement armée pour comprendre :

  • 1) Que le verbe se fait chair, comme dans la Bible. Si tu dis Lève-toi et Marche, tu le fais. Jésus/Lazare performatifs.
  • 2) Que les pauvres, on s’en méfie autant qu’on les surveille et les punit pour leur bien.

Question et tentative de réponse

Attal aurait-il eu, par hasard, accès aux mêmes bibliographies ? Il semblerait que oui mais en version abrégée.

Il aura retenu de J. L Austin que dire est le comble de l’action et de L. Chevalier, qu’un pauvre en liberté est une menace. Attal est un ministre littéral plus que premier. À partir de deux titres, il imagine des sous-titres à rallonge. Classes laborieuses et Classes dangereuses ou comment raboter l’assurance chômage, faire travailler les plus démuni·es 15 heures hebdomadaires pour le prix d’un RSA, user les corps plus vite avec un âge de départ à la retraite de plus en plus lointain, dresser et encager la jeunesse et restreindre la liberté d’expression. Quand Dire c’est Faire ou comment transformer un refus d’obtempérer en potentielle sentence de mort à exécution immédiate ou un soutien à Gaza en apologie du terrorisme. 

Métaphore

Autre métaphore possible, la cuisine française. La gastronomie du fond des âges aime le faisandé. Faire pourrir la viande lui donne du goût, de la texture, de l’odeur. Si on transpose ce principe à la politique, cela fonctionne bien.

Chaque mesure proposée par l’État actuel pue le sanglier qui a mariné dans la vinasse.

Si on décide de s’occuper des enfants, cela n’est pas pour les instruire ou éveiller leur esprit critique. On gagne du temps, au contraire si, dès l’école élémentaire, les petit·es apprennent à occuper une place et à s’y tenir. Les conseils de discipline au plus jeune âge sont une des pistes proposées qui préparent déjà au collège et au lycée voire à la vie active. Des “cours d’empathie” sont expérimentés en CM2 pour lutter contre le harcèlement. L’empathie est évidemment un trompe-l’œil. Si l’on veut à tout prix résumer les mesures annoncées par Attal à Viry-Châtillon, sans avoir ni à les énumérer ni à les commenter une à une, le mot empathie n’est finalement pas si mal choisi. L’enfant, l’adolescent·e, le/la jeune adulte apprendra de plus en plus tôt l’empathie avec le capitalisme. Chérir le système transforme en chien de garde qui débusque tout danger venu “de l’intérieur”. Si le capitalisme est attaqué, victime de “l’entrisme” (de la Charia dans les établissements scolaires par exemple, citée par le ministre dans son discours du 18 avril, comme un fait avéré ou plutôt une vérité révélée), on est prêt·e à souscrire à toutes les mesures proposées par l’État pour le défendre, même à ses dépens. On peut accepter d’être sanctionné·e pour s’amender si l’État décide que l’on est un “parent défaillant”.

Hypnose linguistique

Quel prodige se déroule sous nos yeux ! Des hommes et des femmes ont pris l’ascendant sur nos vies à tel point qu’iels n’ont même plus besoin de feindre d’être doué·es de raison. Il leur suffit de parler sans cesse, un bruit de fond hypnotique venu de leur néant. Quand cesserons-nous d’user notre intelligence à faire comme si des phrases telles que, au hasard, celle-là “c’est la République qui contre-attaque. La culture de l’excuse, c’est fini” suppose une réponse argumentée. Quelques analystes politiques n’ont pas hésité à expliquer avec sérieux la référence à Star Wars et des journaux ont rapporté le propos dans leurs éditoriaux. Pourquoi ?

Réveil !

Le langage est donc un enjeu car il façonne la réalité et de façon très brutale en ce moment. Sur ce terrain, le/la militant·e, le/la syndicaliste de 2024 est défait s’il parle avec les mots de l’ennemi (le nommer ainsi fait gagner du temps), s’iel les reprend à son compte. En quelques années, les mots du pouvoir en place ont contaminé l’espace public. On se souvient alors avoir lu avec effroi et fascination LTI, la langue du troisième Reich de Victor Klemperer. La philologie de combat, plus que jamais d’actualité, urgente même. Quand on tourne les pages de cet essai autobiographique, écrit à partir de son Journal, on comprend que désapprendre la langue du chef cynique, du colon, de l’assassin est un travail indispensable voire un devoir moral. Les “éléments de langage” n’existent pas si on ne les fait pas exister.

De Victor Klemperer

“Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir”.

Détox

On commence alors ?

Finies les valeurs républicaines.

Terminée l’Autorité avec majuscule.

Enterrés les chocs de tous ordres, les places nettes XXL, les jeunes-de-quartier, le réarmement civique, l’écologie-punitive, l’énergie-verte-nucléaire, le-petit-geste éco-responsable, le savoir-être, le vivre-ensemble, l’incivilité, la défaillance, le mérite, les dispositifs anti-tout, les pactes, la France, cette France qui travaille, la jeunesse-de-France, la disruption, la co-construction, l’énergie qui libère, le processus de décivilisation. Poudre de perlimpinpin et carabistouilles !

Que le langage ne soit plus assigné à résidence et nous avec. Jamais les mots, avant aujourd’hui, n’auront autant servi à mater, à formater et à emprisonner le réel. Ils font du chômeur un·e profiteur·e, du/de la militant·e, un·e hors-la-loi, du jeune, un·e aspirant·e soldat et de la guerre, un horizon désirable.

Et de nous qui acceptons d’être bilingues, des complices passif/ves.

Sophie Carrouge