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Kanaky

Pour bien comprendre les raisons profondes des émeutes en Nouvelle- Calédonie, il faut revenir en arrière.

En 1983 une négociation a lieu à Nainville-les-Roches entre la France et le Front indépendantiste à propos du droit électoral, objet du litige actuel. À la table de ces négociations, se trouvent invités ceux que les indépendantistes n’attendaient pas : des partis représentants des non-indépendantistes, majoritairement composés des descendant·es d’Européen·nes RCPR et FNSC (autonomistes). Le résultat de ce coup stratégique de l’État français, accepté par les Kanaks, fut “hybride” et aboutit à la déclaration de la Table Ronde : “Reconnaissance de la légitimité du peuple kanak premier occupant du territoire se voyant reconnaître en tant que tel un droit inné et actif à l’indépendance dont l’exercice doit se faire dans le cadre de l’autodétermination prévue et définie par la Constitution de la République Française, autodétermination ouverte également pour des raisons historiques aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par le peuple kanak”. On bascule donc de la question de l’autodétermination du peuple kanak à celle de l’ensemble du territoire de Nouvelle-Calédonie1.

Dilemme non tranché derrière les accords officiels et qui ressurgit parfois violemment comme à présent à chaque nouvelle décision de l’État français aggravant l’inégalité électorale. Ce fut encore le cas avec le statut Lemoine en 1984, adopté par l’Assemblée nationale et refusé par les Kanak·es. Lors de son congrès le FNLKS déclare que les élections à l’Assemblée territoriale n’auront pas lieu.

Pour des raisons analogue le statut Pons ouvrant un nouveau référendum en 1987 sera rejeté avec celui-ci. Le tout dernier référendum le fut aussi : les indépendantistes étant en pleine période de deuil rituel.

Objectivement ce qui pose problème est ce “troisième acteur”. Ceux et celles qu’on appelle les victimes de l’histoire : descendant·es d’un peuplement forcé de bagnards, de communard·es, d’une main d’œuvre asiatique soumise elle aussi à l’indigénat. Victimes que les indépendantistes acceptent comme légitimes dans le processus électoral.

Politiquement la France va “jouer” sur cette catégorie pour rendre les Kanak·es minoritaires électoralement : aujourd’hui en l’étendant à celles et ceux qui vivent sur le territoire depuis plus de 10 ans mais sans référence au début symbolique de cette durée :1988 les accords de Matignon, ce qui fausse le système dont il avait été convenu et dépossède les indépendantistes de leur priorité politique. Coup de force donc de l’État français qui devait provoquer logiquement la révolte des leurré·es. Que celle-ci soit dévoyée comme dans tout mouvement collectif violent par des jusqu’auboutistes moins politisé·es mais comme les autres exaspéré·es par les roueries d’une tutelle coloniale interminable ne change rien au fond du problème.

Darmanin et Macron comme pour les émeutes de juillet dernier en métropole, tentent de jouer une fois de plus la carte des “voyous”, des mal élevés et de leurs proches… ou de la manipulation nationale ou internationale. On connaît la chanson.

On peut poser le problème inversement : que vaut une démocratie dite “représentative” qui provoque en cascade rejets et émeutes ?

Ce n’est pas d’un “geste” du gouvernement qu’il est besoin en cette situation mais du retrait pur et simple de ce projet injuste.

Marie-Claire Calmus

À Djibaou et Yeweiné Yeweiné

  • Djibaou, Yeweiné
  • un deuil comme jamais
  • J’ai perdu terre et mère
  • père et ciel
  • Djibaou, Yeweiné
  • à travers sang et larmes vous riez
  • d’espoir et de confiance
  • non en notre parole que vous saviez truquée
  • mais dans la certitude
  • que viendrait tôt ou tard
  • mieux vaut tard que jamais
  • le droit pour la peau noire et les cheveux crêpus
  • les vrais tenants des terres chassés tués exclus
  • de vivre et d’apprendre
  • désirer entreprendre
  • comme tel ou telle qui depuis sa peau claire
  • se fit roi juge et dieu
  • Djibaou, Yeweiné
  • ceux qui vous firent taire
  • parlent tous à présent de votre intelligence
  • courage bonté vaillance
  • c’est l’humour qui était la plus exacte mesure
  • de votre modestie et de votre orgueil
  • de cette lutte folle et lente
  • de cette foi rusée patiente
  • stoïque et immortelle
  • en l’équité !

Marie-Claire Calmus

  1. Voir dans le numéro 91 de la revue Mouvements (2017) l’article Colonisation de peuplement et autochtonie. Réflexion autour des questions d’autodétermination, de décolonisation et de droit de vote en Nouvelle Calédonie de Stéphanie Graff, anthropologue (in Kanaky Nouvelle Calédonie : situations décoloniales) dont ces lignes se sont inspirées. ↩︎