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Emplois paysans contre usine à colis

Laisse Béton Salvaza à Carcassonne

La France s’est fixée, dans le cadre de la loi Climat et résilience, la cible de “Zéro Artificialisation Nette des sols” en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers dans les dix prochaines années, d’ici à 2031. Depuis, c’est la course à l’accaparement des terres avant qu’il ne soit trop tard. Des sociétés immobilières comme Axtom pour le projet Carcassonnais spéculent sur le foncier agricole qui va devenir rare et cher. À Salvaza, on parle de 18 ha artificialisés, un projet d’entrepôt logistique XXL plus grand que la cité de Carcassonne et aujourd’hui cultivés en bio ! Les élus locaux laissent faire et même encouragent le projet en modifiant le PLU (Plan Local d’Urbanisme) afin de le mettre en accord avec l’accueil d’une telle activité logistique et mettent en avant la création d’emplois, mais de quels emplois parle-t-on? Des emplois ultra-précaires, déshumanisants, dont les conditions sont désormais bien connues : fort turn-over, payés au SMIC, aucune évolution de carrière et avec autant d’accidents du travail que dans le BTP. Voici le témoignage instructif de Chloé, 26 ans.

L’Émancipation : Dans quels entrepôts logistiques as-tu travaillé ?

Chloé : J’ai travaillé chez U Logistique à Clermont-l’Hérault de juillet 2020 à novembre 2020 et ensuite pour les entrepôts d’Intermarché à Pézenas et à Béziers de novembre 2023 à mars 2024.

L’Émancipation : Quelle société d’intérim t’a proposé cet emploi ?

Chloé : En fait c’est moi qui ai postulé chez Manpower à Clermont-l’Hérault. D’ailleurs je travaille toujours avec Manpower aujourd’hui, dans l’embouteillage. À l’agence ce sont que des filles presque, il y a un homme, elles sont okay. Elles sont compréhensives, elles me proposent toujours des missions, elles sont à l’écoute. Quand j’ai une question, elles me répondent toujours. Top.

L’Émancipation : Quel type de contrat as-tu signé avec la société d’intérim ?

Chloé : Ce n’est pas l’agence d’intérim qui choisit le type de contrat, c’est le client, donc les sociétés U et Intermarché. À Clermont-l’Hérault (chez U logistique), c’était des contrats à la semaine. Si t’avais le chef dans la poche cela pouvait être des contrats au mois. En fait, quand tu ne tenais pas la cadence ou que tu ne taffais pas bien une semaine alors t’étais au placard une semaine, ou deux… Après, ils pouvaient proposer de passer en CDI, mais avec l’agence d’intérim, et comme cela, il pouvait t’envoyer dans des entrepôts loin, à 50 km, mais avec les frais de voiture et d’essence, ce n’est pas rentable. Chez Intermarché, c’était des contrats de un à trois mois.

L’Émancipation : Quel emploi y occupais-tu ?

Chloé : J’étais préparatrice de commandes, je travaillais avec un chariot élévateur, un Fenwick c’est la marque.

L’Émancipation : Y avait-il beaucoup de femmes qui occupaient ce type d’emploi ?

Chloé : Non. À Clermont-l’Hérault, dans l’équipe du matin on était en fonction des jours entre 50 et 70 personnes. Parmi elles, il y avait six femmes, une cariste (c’est conduire un gros chariot, il faut le CACES 5) et 5 préparatrices. À Pézenas, c’était un petit entrepôt avec juste de l’épicerie. Dans l’équipe du matin, il y avait deux femmes sur 20. À Béziers, deux femmes sur 15 pour l’épicerie mais pas de femme pour la boisson et l’alcool parce que c’est lourd ! Donc, sur à peu près 50, il y avait deux femmes.

L’Émancipation : As-tu dû t’arrêter pour des raisons de santé liées à ce travail en entrepôt ?

Chloé : Oui, deux fois. La première fois c’était à Clermont-l’Hérault. C’est arrivé pendant une commande “voyage”. Une commande voyage c’est quand pour une seule commande tu as beaucoup de colis et que tu dois faire toutes les allées. Il me restait encore trois ou quatre colis à prendre alors que la palette elle était déjà plus haute que moi, et je mesure 1m77 ! Et là je suis envoyée aux huiles. Un carton d’huile, c’est 20kg. En portant le carton pour le mettre sur le dessus parce que, en vérité je n’avais pas trop le choix, je me suis fait un lumbago, je pouvais plus bouger. Le chef il m’a renvoyé chez moi. Je suis allée voir le médecin qui a dit, si c’est arrivé pendant le travail alors c’est un accident du travail. Mais après le chef, il a menti, il a dit que j’avais déjà mal chez moi et que j’étais quand même venue travailler. À la sécu, ils n’ont pas pris en compte l’accident, ils ont dit c’est de la maladie. J’ai été en arrêt maladie deux mois, sans chômage. J’ai été pénalisée. Après, je n’ai pas repris dans cet entrepôt, c’est à ce moment-là que j’ai commencé à travailler dans l’embouteillage.

La deuxième fois, c’était à Pézenas. La voice (la commande vocale) déconnait. Normalement tu ne dois jamais aller en arrière. Là elle me fait aller en arrière et j’ai trébuché sur les fourches du chariot. C’est très dangereux les fourches. Ça a tapé sur ma cheville sur la malléole. L’ambulance est venue, j’ai eu un accident de travail de 10 jours. Après, il y a eu une reconstitution de l’accident avec la patronne de Manpower et le chef de la sécurité de l’entrepôt. Ce chef de la sécurité, je ne l’avais jamais vu sur le terrain, il était toujours dans son bureau. Je lui ai dit, c’est très bien, tout ça, les gestes posture, mais on n’a pas le temps, on a la pression. On aurait dit qu’il ne comprenait pas trop ce que je lui disais. Après ça a été galère contre galère. Comme je les avais mis en galère avec cet accident alors j’ai eu que des commandes de merde.

L’Émancipation : Travaillais-tu avec commande vocale ?

Chloé : Oui. C’est pesant. Il faut toujours répéter. Avec l’accent du sud, elle ne te comprend pas, surtout quand tu dis “cinq”. Quand t’arrives, tu t’identifies, t’as un numéro. Après elle te dit tu as 40 pickings, 70 colis. Elle te dit aussi le support, c’est soit des palettes en plastique soit en bois. Par exemple elle dit, allée 40. Tu vas aller 40, là elle dit picking 7. Au picking 7, tu lis le code, 4 zéros par exemple. Elle dit 3 colis et toi tu répètes : 3. C’est fatiguant, le soir après, il fallait plus me parler.

L’Émancipation : As-tu reçu une formation avant ou pendant ?

Chloé : À Clermont-l’Hérault, j’ai fait une semaine de formation. J’ai passé mon CACES 1. Aussi, il y avait durant cette semaine, un jour en binôme pour apprendre le montage de palette, c’est tout un art le montage de palette ! Sur la sécurité, il y avait un diaporama de deux heures. Ils apprenaient les postures et à pas descendre du chariot s’il n’est pas arrêté. Chez Intermarché, j’ai eu deux jours de formation pour la sécurité, l’hygiène, faire le tour de l’entrepôt. Je n’ai rien appris de plus. Bon mais en fait la sécurité, ce n’est pas possible de la respecter parce que tu as des objectifs. C’est 1250 colis en sept heures. Pour speeder, tu trouves tous les moyens ! Tout le monde descend du chariot en marche et personne ne respecte les postures. Aussi, il faut parler de l’hygiène. À l’Intermarché à Béziers, c’est un entrepôt immense, il y a des crottes de chat et des souris. Au niveau des conserves c’est horrible, il y en a des périmées avec plein de vers. Le poisson, le thon et les maquereaux. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas des sociétés extérieures qui viennent faire des contrôles. Par contre à Pézenas, c’était un petit entrepôt et c’était très propre. C’est l’équipe qui faisait le nettoyage.

L’Émancipation : Quel était ton salaire de base ? Avais-tu des primes ?

Chloé : J’étais payée au SMIC. Après tu gagnes des primes si le quota est dépassé. Le quota c’est 1250 colis par jour. Si tu fais 1250 colis par jour tous les jours alors tu gagnes 150 € de prime brut pour le mois. Mais s’il y a un seul jour où tu ne les fais pas, tu n’as pas la prime. Moi, je le faisais mais j’étais la seule fille à le faire. Aussi en fait ça dépend de ton chef. S’il veut, il te donne des commandes faciles et tu peux faire l’objectif. Pour 1400 colis par jour, tu touches 350 € brut. Presque personne peut le faire, que ceux qui sont privilégiés par le chef.

L’Émancipation : Combien de jours / heures travaillais-tu par semaine ?

Chloé : La semaine c’est 35 heures. Je faisais soit cinq jours soit six jours. Je commençais le matin à 4h ou 5h. Je finissais à 12h. De 4h à 5h c’est du travail de nuit. Je pouvais faire des heures supplémentaires, deux par semaine en général.

L’Émancipation : Quelles sont les principales difficultés que tu as rencontrées ?

Chloé : Les quotas, c’est difficile. Les femmes ne sont pas égales parce que c’est très physique. Quand tu travailles dans un entrepôt, tu n’as plus de vie, tu fais que dormir. Pour les hommes aussi c’est difficile. Mais quand tu as besoin d’argent et que tu n’as pas de diplôme tu le fais. Une autre difficulté c’est que quand tu es une femme dans un entrepôt, c’est un univers de mecs, alors tu es un appât. Je ne sais pas comment dire, tu te fais beaucoup draguée. Et puis les chefs ils mettent la pression. Parfois, ils disent, lui je veux plus le voir alors il lui donne que des mauvaises commandes.

L’Émancipation : Y a-t-il des aspects positifs ?

Chloé : Non, il n’y a pas d’aspects positifs. T’es un robot, on t’apprend à pas réfléchir. C’est de la merde, t’es mal payé et t’es pas pris en considération. Il n’y a pas de possibilité d’évolution. Tu peux devenir cariste ou chef mais ça prend au moins cinq ans. Je n’aime pas les valeurs de ce travail. Pour tenir le rythme, beaucoup de personnes prennent de la cocaïne. Moi ça me répugne.

L’Émancipation : En conclusion ?

Chloé : Je ne recommande à personne. Ça peut dépanner juste pour les gens qui n’ont pas d’expérience, pas de diplôme.

Entretien réalisé par Valérie K, du Collectif Laisse Béton Salvaza