Le Lycée autogéré de Paris est subitement remis en cause dans ses fondements par le rectorat de Paris, après 42 ans d’existence. Ses ancien·nes élèves, parents d’élèves et professeur·es, aux côtés de ses membres actuels, se mobilisent activement pour sauver son existence et surtout ses principes fondamentaux, que le rectorat de Paris tente insidieusement de démanteler, un par un.
C’est le rêve fou d’une équipe de 24 professeur·es et d’élèves passionné·es, fervent·es de pédagogies expérimentales et défendant de nouvelles méthodologies d’apprentissage, qui prend réalité en 1982 sous le ministère de l’Éducation nationale d’Alain Savary. Sous l’impulsion du professeur Jean Lévy, la création du Lycée autogéré de Paris fait partie, avec trois autres lieux (Oléron, Saint-Nazaire et Hérouville-Saint-Clair) d’établissements expérimentaux, instaurés à l’époque pour y tester des méthodes pédagogiques alternatives.
Unique en son genre, non sectorisé, laïc et gratuit, le Lycée autogéré de Paris fonctionne sans administration et ses seuls membres, lycéen·nes et enseignant·es, régissent la vie du lycée. À travers la notion de démocratie directe, élèves et professeur·es votent à voix égales, toutes les décisions importantes et nécessaires à son fonctionnement.
Soutien affiché en 1993
Une expérience démocratique singulière, qui résistera aux 18 différents ministères de l’Éducation nationale depuis 1982, avec un soutien affiché en 1993 de la part du directeur des collèges et des lycées au ministère de l’Éducation nationale, M. Forestier.
En effet, ce dernier, qui deviendra par la suite directeur du Haut conseil de l’évaluation de l’école, commandera une inspection administrative et pédagogique du LAP, afin d’en comprendre les mécanismes et dissiper toutes les rumeurs autour du lieu. Le rapport reconnaitra : “des résultats pédagogiques tout à fait estimables, au regard du peu de moyens attribués”, estimant que “le lycée autogéré remplit une fonction importante”. M. Forestier ajoutera : “il faut maintenant attribuer à ce lycée des conditions de travail décentes et un cadre légal qui lui permette d’exister dans la durée tout en conservant les principes qui fondent sa spécificité”.
En 2004, le lycée recevra également un accompagnement précieux et sans faille de la part de l’administration, dans le cadre d’un changement provisoire de locaux.
Ces relations institutionnelles se dégraderont par la suite, plus particulièrement auprès du rectorat de Paris, qui tente, à travers deux grandes inspections, et lors de la signature quinquennale du renouvellement de la convention dérogatoire du lycée, de fragiliser, voire de mettre en péril son existence, occultant son mode de fonctionnement à part entière. Notamment en 2011, où une décision de supprimer 20 % de l’effectif encadrant, soit cinq professeur·es, est finalement réduite à un demi-poste après des mois de lutte. La conséquence de la suppression de ces cinq postes aurait immédiatement conduit à la fin de l’expérience. Le demi-poste, également extrêmement impactant dans le fonctionnement si particulier du lycée, sera rendu quatre ans après, suivant une mobilisation des élèves et des professeur·es, puis retiré une nouvelle fois en 2019.
Aventure unique
Les trois piliers fondamentaux nécessaires au bon fonctionnement du Lycée qui sont l’autogestion, la libre fréquentation et la cooptation des professeur·es, garantissent la pérennité et la réussite de l’expérience, depuis aujourd’hui 42 ans.
L’aventure est unique, certes imparfaite, mais la majorité des nombreux témoignages intergénérationnels le prouvent, le LAP leur a offert soit une seconde chance, soit la possibilité de continuer dans le cycle général, soit de les réconcilier avec le système éducatif avec lequel iels étaient en rupture – pour différentes raisons – soit d’accéder à une expérience autogestionnaire et politique hors du commun. Des centaines de textes d’élèves et de parents d’élèves, ancien·nes et actuel·les, sont aujourd’hui rassemblés pour alerter sur la possible disparition d’un lieu émancipateur, vecteur de liberté, où se côtoient coopération, débats d’idées – parfois houleux – et sens du collectif. Des témoignages poignants, tous articulés autour du chamboulement que la structure a provoqué en eux/elles : “Un nouveau souffle, une nouvelle manière d’apprendre, d’interagir socialement”. La plupart s’interrogent également sur ce qu’iels auraient fait si le LAP ne les avait pas accueillis au moment de leur rupture avec le système éducatif traditionnel : “Une chance, un privilège”.
Les profils sociaux économiques sont par ailleurs variés, et les parcours qui mènent au LAP sont divers ; de l’élève décrocheur/euse à l’élève surdoué·e, en passant par l’élève en situation de handicap léger ou à l’élève à la recherche d’une expérience politique. Tou·tes ont cependant en commun une histoire personnelle face un système éducatif traditionnel qui n’a pas su s’adapter à leur besoin ou à leur différence, et souvent, en leur imposant une orientation.
Blocage de la convention en 2022
C’est en juin 2022 que le LAP est à nouveau officiellement attaqué dans son existence via le blocage du renouvellement de sa convention dérogatoire. Cette convention n’existe que depuis 2010 et valide le fonctionnement spécifique du LAP… Les motifs de ce non-renouvellement provenant du rectorat de Paris restent flous, non expliqués, et contribuent à créer des tensions dans l’établissement, plongeant dans un flou abyssal ses membres qui ont peu de visibilité sur leur avenir. La machine administrative se met en route et les réponses qu’apporte le rectorat sont de plus en plus obscures et espacées dans le temps. Ses élèves et ses professeur·es se sentent en danger, la convention étant la condition sine qua none à l’existence du lycée.
Des négociations ont lieu, mais les réponses qu’apportera le rectorat, à chaque veille de vacances, seront à chaque fois plus violentes, tant par leur lenteur que par l’intensité de leur signification : affectation arbitraire de professeur·es non coopté·es par l’équipe et ignorant les particularités de l’établissement, versement du budget de l’établissement avec 11 mois de retard, annonce de la fin du projet de l’établissement, nomination d’un proviseur, mesures confiscatoires de l’utilisation des locaux, suspension et procédures disciplinaires pour des professeur·es. Le rectorat ira même jusqu’à utiliser une remontée écrite par sept enseignant·es, concernant des violences sexistes et sexuelles, pour déclencher une enquête administrative sans que l’inspection ne se déplace au sein du lycée. Cette enquête administrative sans aucun critère d’évaluation, ni période d’observation donnée, s’est focalisé sur d’autres sujets et les conclusions de cette dernière iront dans le même sens que toutes les attaques menées depuis juin 2022 : la remise en cause des trois piliers qui font la spécificité de l’établissement : autogestion, libre fréquentation, et cooptation. Certain·es pensaient que le rectorat pouvait aider… Or cette remontée n’a non seulement n’a pas été traitée, mais a été vecteur de dissensus historiques dans le collectif, notamment sur l’attitude à adopter vis-à-vis du rectorat.
La situation incertaine et tiraillée où se mêle l’une des attaques les plus violentes de l’administration depuis 42 ans, à une crise interne majeure et historique, laisse présager une issue qui pourrait bien amener à la disparition de l’établissement tel qui l’a été pensé, créé, et prouvé.
Remise en cause structurelle
Une plaie béante où le rectorat, au lieu de jouer son rôle envers un micro établissement accueillant des élèves en difficulté représentant 0,01 % des lycéen·nes et 0,005 % des professeur·es en France, décide de s’acharner sans répit, quitte à user de méthodes destructrices, fallacieuses, et non éthiques. Comme si la particularité que représentait ce lycée ne lui donnait pas le droit d’avoir les mêmes problématiques qu’un établissement classique peut rencontrer, et le privait de recevoir l’aide et l’accompagnement nécessaires en cas de difficulté. Pire encore, que ces problématiques lui soient fatales et amènent à une remise en cause structurelle, et en conséquence, à sa disparition pure et simple.
La démarche du rectorat, entreprise en juin 2022, de mettre fin au projet qu’est le LAP, en reniant ses 42 ans d’existence, sans y mener aucune investigation ni inspection, et de surcroît en instrumentalisant des conflits internes afin de nuire à son existence et saboter son fonctionnement, est donc factuellement bien en place. Cette démarche injuste, met aujourd’hui en danger, non seulement la structure qui a fait ses preuves de par sa longévité, mais également ses 250 élèves, 25 professeur·es dont cinq suspendu·es et deux convoqué·es en conseil de discipline.
Ces dernières années, d’autres écoles alternatives ont subi des entraves majeures à leurs fonctionnements : le Lycée expérimental de Saint-Nazaire, le Collège coopératif d’Aubervilliers, le CLEPT de Grenoble, le Collège et lycée expérimental d’Hérouville Saint-Clair, ou en encore l’École Vitruve à Paris.
Une pétition en ligne regroupant plus de 22 000 signataires, demande expressément et sans condition, l’arrêt du démantèlement du Lycée autogéré de Paris. Le comité de soutien s’oppose à la répression subie par les professeur·es suspendu·es et défend la poursuite de l’expérience du LAP tel qu’il s’est construit depuis plus de 40 ans.
Guillaume Squinazi
Pour joindre le comité de soutien : vivelelap@riseup.net, https://lap.espivblogs.net