Auteur de Polar revendiqué, Patrice Gain possède aussi une sensibilité écologique très forte du fait de sa formation : il est en effet ingénieur en environnement, et de sa profession qui lui fait côtoyer la haute montagne. Ces deux parcours constituent les fondements de ses romans, qui sont donc des objets hybrides “roman noir” sur fond de plaidoyer pour l’environnement.
Il pointe la dysharmonie entre l’humain et la nature dont la présence dans ses textes est hostile, brutale voire, souvent, mortelle, comme elle l’est dans la réalité -bien pire parfois- avance-t-il, et d’ajouter que “s’il y a quelque chose de cruel dans mes textes, c’est que le monde fonctionne ainsi. Notez que je suis bien plus dans la retenue que lui, qui nous confronte régulièrement à une effroyable réalité”.
Toutefois chaque roman reste en prise avec la /notre réalité sociale et politique présente constamment dans les intrigues.
Les récits se déroulent dans des “endroits forts” et “d’une beauté rare” dit-il, le canyon de la Tara dans le Parc de Surmitor au Montenegro, pour Le sourire du scorpion, l’Arctique dans De silence et de loup et les Îles Féroé dans Les Brouillards Noirs.
Il reconnaît pour certains de ses textes des influences littéraires voire cinématographiques : le Délivrance de James Dicley, si bien adapté au cinéma par J. Boorman, par exemple, ou Dennis Lehane, celui d‘Un dernier verre avant la guerre plutôt que Shutter Island et/ou Mystic River, adaptés aussi au cinéma par Clint Eastwood et Martin Scorsese, mais on peut en percevoir bien d’autres lors d’une lecture (plutôt relecture, car le lecteur, lors de la première, est bien trop pris par l’intrigue…).
Les personnages principaux/ales sont confronté·es à des situations extrêmes, à la fois drames intimes et confrontation avec les éléments de la nature, qui les font basculer d’un avant “ordinaire” à un “après” traumatique dont ils essaient de se remettre, oscillant entre oubli, dépression et tentative de retour à une “vie normale”.
En ce qui concerne Les Brouillards Noirs, [qui ne peut être un mauvais roman puisqu’il s’ouvre sur une citation de Nàzim Hikmet,] Raphaël, le protagoniste, paisible musicien, violoncelliste, soliste, au sein de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, voit sa vie basculer lorsque, lors d’un appel de son ex-femme, il apprend la disparition de sa fille, Maude, qu’il n’a pas vue depuis onze ans.
Maude se serait rendue dans les îles Féroé et ne donnerait plus de nouvelles depuis plusieurs jours ; quant à son compagnon, il est injoignable lui aussi…
Raphaël décide d’aller sur place et apprend que le voyage de sa fille n’avait rien de touristique, d’ailleurs l’environnement ne s’y prête guère, l’archipel des Féroé étant un milieu hostile, glacé, désertique, battu par les vents et soumis régulièrement à d’effroyables tempêtes. …
En fait Maude est venue avec une ONG, Océan Kepper, s’opposant au Grindadràp https://fr.wikipedia.org/wiki/Grindadr%C3%A1p coutume barbare qui consiste à nasser un maximum de globicéphales noirs, dauphins à flancs blancs et grands dauphins dans la baie, puis de les tuer en les égorgeant ou en les harponnant, les locaux pour ce faire, pataugeant dans un océan de sang et de cadavres… [1400 cétacés tués dans la seule journée du 12 septembre 2021 https://fr.wikipedia.org/wiki/Grindadr%C3%A1p#/media/Fichier:Whaling_in_the_Faroe_Islands.jpg].
Raphaël dans sa recherche désespérée va se heurter à l’hostilité d’une grande partie des habitant·es défendant ongles et bec ce qu’ils/elles considèrent comme une tradition sur fond de nationalisme exacerbé tendance extrême droite.
Une tradition très contestée aussi bien en Europe, que par les instances Européennes, à laquelle les îles Féroé n’ont pas adhéré bien que faisant partie du Danemark, contestée notamment en raison de la sauvagerie et de l’inutilité de cette “pêche” la viande n’étant plus comestible car gorgée de substances chimiques, du mercure par exemple, dont les océans sont pollués…
Aller plus avant serait divulgâcher, Les Brouillards noirs étant un polar, l’auteur déroule l’intrigue selon les codes en vigueur, alternant les moments forts, poignants et les rebondissements inattendus.
On ressort de la lecture non pas “les larmes aux bords des yeux” comme le proclame le critique de France-Inter, mais les tripes nouées de rage et de colère, les événements du récit entrant en résonance avec la situation climatique mondiale, la criminalisation actuelle des luttes et des militant·es et l’extrême droitisation de l’Europe.
Bernard Foulon
Les Brouillards Noirs, Patrice Gain, Le livre de Poche, 232 pages, 7,90€.