Nous publions ci-dessous l’argumentaire présenté par les élu·es Émancipation lors du CDFN extraordinaire de la FSU du 18 octobre 2023.
Un mauvais coup pour les revendications, la Sécu et les statuts
Le ministre Guérini propose aux syndicats de signer, avant le 20 octobre, un projet d’accord sur la Protection Sociale Complémentaire (PSC) concernant la prévoyance dans la Fonction publique de l’État, qui comprend la couverture des accidents de la vie : l’incapacité (congés longs), l’invalidité et le décès.
Jusque-là, la PSC en prévoyance et en santé, étaient le plus souvent couplées, afin de répartir les risques pour les mutuelles et diminuer les coûts pour les assuré·es. Malgré cela, beaucoup trop de personnes ne disposaient pas de couverture PSC. Travailleur·euses modestes, jeunes, sans papiers… Mais les syndicalistes et les militant·es mutualistes – qui étaient souvent les mêmes – avaient des revendications qu’iels défendaient sur l’universalité de la sécu, l’accès aux soins, les solidarités, le coût des complémentaires.
Signer cet accord, c’est abandonner en rase campagne ces revendications, mais c’est surtout faciliter l’offensive contre la Sécu et à présent celle de Guérini contre la Fonction publique et les statuts.
Signer, c’est parachever l’offensive néolibérale de démantelement de la PSC
Les néolibéraux n’ont eu de cesse de récupérer la masse des fonds sociaux et donc d’abattre les retraites, l’assurance chômage et la Sécu. Pour les deux premières ils avancent frontalement, malgré des mobilisations importantes. Pour la Sécu, iels l’attaquent étape par étape sans faire de vagues, s’en prenant d’abord au maillon faible, la PSC. Progressivement l’étau se referme, avec en 2012 le passage des mutuelles sous le régime fiscal des entreprises, en 2007 et 2016 la participation des employeurs à la PSC et sa contre-partie le référencement pour remplacer les mutuelles par des assurances privées, en février 2022 l’ordonnance de Macron sur la PSC qui découple santé et prévoyance. Jusqu’à cette étape, les responsables des syndicats laissent faire, malgré les nombreuses alertes de la part de retraité·es qui informent systématiquement les instances sur ces dossiers. Et lorsque les responsables syndicaux s’y intéressent, c’est pour participer au démantèlement de la PSC en signant unanimement l’accord PSC santé, étape essentielle de la stratégie néolibérale, pour supprimer les solidarités et pour achever de transformer les mutuelles sur le modèle des entreprises privées. Suite à ces signatures le piège se referme avec l’accord prévoyance, “pour que les personnels ne soient pas privés de prévoyance”.
Signer, c’est en rabattre sur les exigences syndicales
En effet, cet accord est très insuffisant. La meilleure preuve en est qu’en plus d’un statutaire à peine amélioré et d’un complémentaire très problématique, avec participation faible de l’employeur, il prévoit des “garanties additionnelles” totalement à charge des personnels, notamment pour le congé de maladie ordinaire (hors jour de carence), pour le congé de longue durée, pour les frais d’obsèques et la perte d’autonomie.
C’est la même méthode que pour l’accord PSC santé déjà très insuffisant (contrairement à ce qu’affirmaient les responsables syndicaux), puisqu’une option a été ajoutée après signature par les syndicats, d’un coût de 10 euros mensuels.
La PSC prévoyance coûtera largement plus cher, contrairement aux affirmations des défenseurs de la signature, répétant que le contrat collectif facultatif complémentaire devrait être attractif. Ce qui est loin d’être assuré, dans la mesure où le statutaire serait amélioré. De plus la participation employeur n’est que de 7 euros mensuels, n’atteignant même pas loin s’en faut les 50 % du panier de soin de la PSC santé. Enfin les retraité·es qui constituent une part importante des bénéficiaires de PSC sont tout simplement exclu·es de l’accord prévoyance.
Signer, c’est entériner la fin des solidarités
L’accord est muet sur la solidarité entre revenus. Les solidarités familiales ne sont abordées que pour le décès. Les solidarités intergénérationnelles sont encore aggravées pour les retraité·es, qui vont déjà payer quatre fois plus que les actif·ves la PSC santé avec son option et qui vont devoir en plus trouver des contrats couvrant leur prévoyance (pour la perte d’autonomie, l’invalidité, le décès et les frais d’obsèques…), forcément onéreux car en général corrélés à l’âge et à l’état de santé.
Signer, c’est abandonner le 100 % Sécu et permettre d’abaisser ce pourcentage
Déjà, avec le découplage PSC santé et prévoyance, on ne paiera plus deux cotisations pour deux caisses différentes, mais au moins trois cotisations pour plusieurs caisses, avec à chaque fois des frais de dossiers et de gestion. Mais en plus, avec la PSC il sera possible de faire baisser le pourcentage de prise en charge par la sécu. Une fois que les employeurs et les sociétés assurantielles seront implantés dans la PSC santé et prévoyance, il leur suffira d’augmenter les prises en charge d’une de ces deux branches de la PSC pour réaliser le transfert de millions d’euros de l’assurance maladie, comme cela s’est déjà fait et ainsi siphonner la Sécu indépendante pour renflouer l’État ou engraisser les assurances privées. Et de ce point de vue, Macron est d’autant plus désireux de prendre le contrôle de la PSC prévoyance que les dépenses de prévoyance sont exclues de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), qui signe le contrôle du pouvoir sur la sécurité sociale. D’ailleurs Guérini a précisé que les mesures législatives rendues nécessaires par l’accord prévoyance pourraient passer par le PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale). Et ce sera possible pendant trois ans du fait du report de la prise en charge de l’invalidité et même pendant six ans si on se réfère à l’article qui prévoit un bilan encore trois ans après.
Signer en octobre, c’est aider Guérini à imposer sa loi Fonction publique en décembre
Le ministre prépare, avec sa grande réforme annoncée pour la fin de l’année, une nouvelle attaque des statuts et de la Fonction publique déjà dénoncée par les syndicats. Et une signature prévoyance l’y aiderait de plusieurs façons.
La signature d’un accord majoritaire donnerait à Guérini une image de négociateur capable d’entendre les syndicats.
Les modifications de la prévoyance statutaire en incapacité et invalidité et l’intégration du réglementaire concernant le décès doivent donner lieu à une ou plusieurs loi(s). C’est l’occasion de faire passer, en plus de la PSC, des reculs statutaires déjà annoncés par le ministre pour la Fonction publique. Il est à craindre que les maigres avancées de la PSC soient présentées comme les seules mesures positives d’une réforme de la Fonction publique catastrophique par ailleurs.
Ce sera d’autant plus facile que le texte de l’accord prévoyance introduit ou renforce des orientations que le ministre entend valoriser dans sa loi comme par exemple :
- une assiette des revenus prise en compte pour la prévoyance qui favorise les primes par rapport à l’indiciaire et qui éloigne de la revendication de l’intégration des primes au salaire ;
- un traitement parallèle du statutaire des fonctionnaires et du réglementaire des non titulaires qui légalise (encore plus que la loi de transformation de la Fonction publique) et favorise le recours aux contractuel·les, pour généraliser une privatisation des services publics du type de celle imposée à la Poste.
Mais pour la Poste au moins les syndicats avaient organisé la mobilisation. Avec cet accord, non seulement ils ne se sont pas battus et ont donc déjà perdu la bataille, mais ils s’apprêtent, à l’issue de “négociations” sans rapport de force, à signer une reddition sans conditions.
Les élu·es Émancipation au CDFN de la FSU
Accords PSC santé et prévoyance, les syndicats doivent retirer leur signature
Le 20 octobre, toutes les directions syndicales, sauf celle de FO, ont signé l’accord sur la protection sociale complémentaire (PSC) en prévoyance. Celles des syndicats dits réformistes ont comme d’habitude donné leur blanc-seing. La CGT avait informé la FSU que les consultations s’orientaient vers le refus de signature à une faible majorité ; mais au finish, la “sagesse” de la direction a prévalu… La direction de Solidaires avait fait savoir qu’elle ferait comme CGT et FSU… Quant à la FSU elle a obtenu un vote à 77 % pour la signature grâce à l’amendement des statuts ne prenant plus les abstentions en compte (cadeau à la direction U&A par l’École Émancipée après que la signature de l’accord PPCR ne soit passée que d’une voix).
Les directions se sont toutes fendues de communiqués, s’excusant pour certaines du peu de temps pour informer les instances (ne parlons pas des syndiqué.es). Mais elles ont toutes affirmé, comme pour la signature de l’accord PSC santé, que plus elles perdaient sur cette PSC et plus elles fragilisaient ainsi la sécu, plus elles étaient armées pour défendre les deux et pour arracher ce 100 % Sécu qu’elles revendiquent (sans d’ailleurs s’être posé plus que d’habitude le début de la question de comment l’arracher). On pourrait s’amuser, si le sujet n’était aussi grave, de la symétrie de ces communiqués avec celui de FO ou avec la contribution d’Émancipation (ci-dessus). Ce qui motive notre appel à ne pas signer devient pour elles une justification de la signature !
Avec les personnels qui n’acceptent pas une telle caution aux régressions, comme les représentant·es retraité·es du SNUIPP qui quittent leurs responsabilités de représentation du syndicat, informons (avec la déclaration ci-dessus ou le texte “Défendre vraiment la PSC et la Sécu”, à paraître sur notre site) et mobilisons pour que les syndicats retirent leurs signatures.