Notre système de retraite, mis en place au moment de la Libération a pour originalité de reposer sur le principe de la cotisation sociale. À chaque convocation de la force de travail, l’employeur se trouve dans la situation de rétribuer plus que le seul travail, donc plus que le salaire direct. Il doit financer du hors travail (allocations familiales, santé, chômage, retraites). Ces cotisations sociales auxquelles contribuent également les salarié·es (la différence entre le salaire brut et le salaire net) sont donc une partie de la richesse produite par le travail.
Ces cotisations financent notre santé selon le principe “à chacun selon ses moyens” et sont redistribuées selon le principe “à chacun selon ses besoins”. Elles ne sont pas des “charges” comme disent les patrons mais la part “socialisée” du salaire qui doit financer notre système social. Ainsi les cotisations de celles et ceux qui travaillent financent les retraites de celles et ceux qui ont atteint l’âge de cessation de l’activité salariée. Ce système, tous les libéraux prétendent vouloir le sauver quand ils et elles s’emploient, réforme après réforme à le fragiliser.
Vers une vie après le travail
En 1945, un tel principe permet une fin de vie rémunérée après une retraite prise à 65 ans. Nombre de salarié·es à cette époque meurent avant d’atteindre l’âge de la retraite et beaucoup n’en profitent que quelques années. En 1945, l’espérance de vie ne dépasse pas 60 ans. Elle sera de 68 ans pour les femmes et 63 ans pour les hommes en 1950. En 1981, moment où Mitterrand fait passer l’âge de la retraite à 60 ans, l’espérance de vie des hommes est à 70 ans quand celle des femmes est à 79 ans. Aujourd’hui elle est pour les femmes de 85,4 ans (+0,3 depuis 2020) et 79,3 pour les hommes (+0,2 depuis 2020). Ces chiffres n’étant que des moyennes, il convient de constater que la différence d’espérance de vie entre les plus fortuné·es et les salarié·es les moins riches est de 13 années.
Une autre donnée a tout autant d’importance : l’espérance de vie en bonne santé c’est-à-dire le nombre d’années qu’une personne peut compter vivre sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne. En 2016, elle s’établissait à 64,1 ans pour les femmes et à 62,7 ans pour les hommes. Elle est pratiquement stable au cours des dix dernières années.
Un système qui dérange… depuis longtemps
Notre système de retraite est celui de la répartition, appuyé sur la cotisation et sur la solidarité entre générations. Les sommes perçues en cotisation sont immédiatement reversées en prestation sans passer par la case “profit”, celle où pour tout bon libéral l’argent sert avant tout à faire de l’argent. Les sommes ainsi versées en retraite sont chaque année supérieures au budget de l’État. Pour un banquier c’est un non-sens. En 1994 la Banque mondiale a fait savoir que la France ne pouvait continuer ainsi et qu’il convenait de favoriser les fonds de pension, c’est-à-dire un système où chacun cotise à une “assurance privée” tout au long de sa vie de travail en espérant obtenir le maximum une fois l’âge de la retraite venu. Avec les fonds de pension, les salariés jouent leur retraite en bourse et l’argent circule sur les marchés financiers.
Donc tous les présidents de la république, Chirac, Sarkozy, Macron ont travaillé à fragiliser le système par répartition. Hollande n’a rien fait pour compenser les ardeurs de ses prédécesseurs, si ce n’est une mesure de départ anticipé pour quelques carrières longues qui a concerné quelques milliers de salarié·es.
L’enjeu final de toute réforme des retraites depuis trente ans est donc de réduire la durée de la retraite et de pousser les salarié·es qui en ont un peu les moyens vers une épargne retraite, y compris en la favorisant par des avantages fiscaux donc payés par tou·tes les contribuables. Pour les autres, on peut ensuite imaginer un filet de sécurité d’une retraite à 1000e ou 1100€e comme le prévoyait déjà Macron dans la réforme de 2019, une sorte de retraite publique et budgétée qui ne coûterait pas bien cher puisque réservée aux bas salaires ayant une carrière complète. Or c’est bien parmi les salarié·es aux plus bas salaires qu’il y a le plus de carrières incomplètes.
Il n’y a pas de fatalité
Beaucoup de jeunes salarié.es nous disent que la retraite est pour eux une chose bien lointaine et qu’ils et elles n’auront pas de retraite. Dans 20 ans, il y aura bien toujours un âge de départ à la retraite sauf qu’il aura reculé encore et encore si nous ne résistons pas. Et bien sûr les conditions de travail seront dégradées si nous ne résistons pas.
Il y aura une toute petite retraite et pour la compléter il faudra avoir souscrit, chaque mois travaillé, à un fonds de pension c’est-à-dire une assurance privée… qui pourra également faire faillite… Mais ce scénario catastrophe auquel certain·es ne pourront même pas accéder du fait de la faiblesse de leur salaire n’est pas une fatalité. Bien sûr c’est le vœu le plus cher de tous les libéraux : faire de la retraite une marchandise que chacun·e choisit ou non de se payer… en toute liberté bien évidemment.
“Mais vu que nous vivons plus longtemps, il est normal de travailler plus longtemps.”
Cet argument prétendument de bon sens fait comme si rien n’avait changé en 150 ans. Depuis le début de l’ère industrielle jusqu’aux premières mesures régressives de 1993, le temps de travail a été divisé par deux. Il a été réduit sur la journée, elle était de 12h en 1848. Il a diminué sur la semaine, elle était de 70h en 1909. Il a diminué sur l’année avec les congés payés, et à l’échelle d’une vie avec l’interdiction du travail des enfants et la retraite. On peut donc considérer que c’est justement parce que nous travaillons moins que nous vivons plus longtemps.
De plus il faut savoir qu’en 2019, à peine 35 % des 60-64 ans étaient en situation d’emploi et que la durée moyenne validée reste à 37 ans… Donc reculer l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite a surtout pour effet de verser une retraite moins longtemps et de baisser la pension de tout le monde.
“Oui mais vu que nous vivons plus longtemps il y a plus de retraites à payer
et le ratio entre actif·ves et retraité·es oblige à prendre des mesures.”
Cet argument souvent entendu fait comme si la production de richesse était constante. Or en 150 ans la productivité horaire du travail a été multipliée par 30 et malgré la réduction du temps de travail, la richesse produite a été multipliée par 16 et a permis de financer toutes les avancées sociales.
“Mais les patrons ont beaucoup de charges sociales.”
Ce ne sont pas des charges mais des cotisations sociales, une part socialisée du salaire qui sert à payer des retraites, de la santé et des prestations familiales. C’est cela que les libéraux veulent détruire. De plus jusqu’à une fois et demi le Smic, les patrons sont exonérés de cotisations sociales. C’est donc plutôt le capital qui nous coûte cher et pas les salaires. Quant aux patrons des petites entreprises, peut être pourraient-ils regarder davantage du côté de l’impôt sur les sociétés – le même que les entreprises du CAC 40 – plutôt que de se focaliser sur le fameux “coût du travail”. Rappelons quand même que malgré la crise sanitaire de 2020, le CAC 40 a versé 140 % de ses bénéfices à ses actionnaires en puisant dans sa trésorerie.
“Il faut bien faire quelque chose, cela ne peut pas rester en l’état.”
Oui, d’autant plus quand on sait que 31 % des retraité·es ont moins de 1000 e bruts par mois (48 % des femmes et 12 % des hommes). Se dire que ce n’est pas juste et qu’on ne va pas se laisser faire.
Pour la retraite à 60 ans et avant pour les métiers les plus pénibles.
Pour une retraite après 37,5 annuités de cotisation.
Pour un taux de recouvrement à 75 % du meilleur salaire ou des dix meilleures années.
Pour la levée de toutes les exonérations de charges sociales.
Pour une fiscalité progressive des entreprises.
Didier Pagès, Sud éducation 63