Depuis le 22 septembre les salarié·es du restaurant solidaire Pali Kao (Paris XXe), géré par le Centre d’Action Sociale de la ville de Paris, sont en grève reconductible jusqu’à satisfaction de leurs revendications. Durant cinq semaines ils/elles ont occupé le restaurant, et poursuivent la lutte.
Pour l’égalité des droits, des salaires des exclu·es du Ségur 3 au CASVP
L’Émancipation : Bonjour camarades, pourriez-vous vous présenter pour les lecteur/trices de notre revue.
Lola : Je m’appelle Lola, suis en grève depuis le premier jour et fais partie des administratives en grève. C’est ma première grève et je ne suis pas syndiquée, mais cette grève m’implique, je me sens solidaire et heureuse de l’être !
Sandrine : Je m’appelle Sandrine, comme ma copine Lola je ne suis pas syndiquée. C’est aussi ma première grève, je ne la regrette pas ! Elle me donne une fierté de salariée qui ne se laisse pas faire ! Je suis agente sociale-restauration.
Mouni : Je m’appelle Mouni, agente sociale-restauration comme Sandrine. Je suis syndiquée CGT et contente de pouvoir me battre avec tou.tes mes camarades syndiqué.es ou pas, avec l’aide de mon syndicat. Cette grève est vraiment importante. On est tou.tes uni.es !
L’Émancipation : Depuis quand êtes-vous en grève et quelles en sont les raisons ?
Mouni : Nous sommes en grève depuis le 22 septembre, à savoir, cuisinier·es, agent·es sociaux/ales de restauration et administratif/tives. Aujourd’hui encore collègues et camarades, on s’organise dans cette grève pour maintenir la fermeture des restos.
Nous engageons une bataille acharnée pour l’égalité des traitements : prime de 189 € pour tou·tes, tout simplement une revalorisation des salaires dignes de ce nom. 1/4 du personnel ne touche pas la prime, alors que nous faisons le même boulot ! Auprès des mêmes usager·es ! C’est une discrimination complètement arbitraire ! Une manœuvre pour nous diviser et surtout mieux nous exploiter !
Sandrine : Sur nos feuilles de paie est mentionné “agent social” et pourtant nous ne touchons pas la prime ! Sur 6200 agent·es, 1500 ne touchent pas la prime. Alors que les salaires sont au SMIC ou guère plus! L’application du décret Ségur est au bon vouloir des maires.
Mouni : Il faut savoir que CGT/SOLIDAIRES/FSU demandaient 300€e d’augmentation pour tou·tes au niveau national. Seulement 189 e€ de prime ont été accordées pour les soignant·es (Ségur 1). Cette prime a été concédée par l’administration et entérinée par les syndicats FO/CFDT. Mais si la CGT/SOLIDAIRES/FSU ont refusé de signer l’accord pour cette prime, c’est parce qu’elle ne correspondait pas à une vraie revalorisation salariale, surtout dans les conditions de travail qui étaient celles des soignant·es avant, pendant et après le COVID.
Puis cela s’est élargi aux salarié.es des EHPAD (Ségur 2), aux travailleur·es sociaux/ales des résidences autonomes et agent·es des Centres Hébergement de Réinsertion Sociale (Ségur 3).
La Mairie a créé une opposition entre ceux/celles qui bénéficient de la prime pour leur proximité physique avec le public usager, et celles et ceux qui pour leur éloignement supposé en sont privé·es. Et nous faisons partie des “privé·es” du Ségur. C’est tout simplement une injustice.
Lola : Ainsi le ou la secrétaire médical·e touche la prime, mais pas l’agent·e administratif/tive, alors qu’elles/ils ont la même proximité avec le public. Moi, gestionnaire, j’occupe un poste dense, polyvalent, avec d’importantes responsabilités qui nécessitent le lien social avec l’usager·e. Je suis rémunérée sur le grade le plus bas, mais faisant fonction de cadre avec prise de responsabilités.
Sandrine : C’est pour toutes ces raisons que nous faisons grève.
L’Émancipation : Combien de temps avez-vous occupé le site Pali Kao dans le XXe arrondissement ? Comment organisiez-vous la grève ? Et l’occupation ?
Sandrine : Nous avons décidé et voté unanimement la poursuite de la grève et l’occupation du site Pali Kao à compter du 13 octobre. Mais après plus de cinq semaines d’occupation beaucoup de camarades s’épuisaient. Puis il y eut les coupures d’eau, d’électricité, toutes sortes de pressions pour nous chasser des locaux. Enfin il n’y a plus eu de chauffage. Le 19/11 nous avons voté la fin de l’occupation du site.
Mouni : Sur le site Pali Kao, avec l’aide de la CGT, la lutte s’est organisée et a fonctionné en AG souveraines. Prises de paroles et votes faits à main levée.
Lola : Dans la grève, des collègues et camarades sont mandaté·es pour aller en délégation auprès des responsables de la Mairie.
Sandrine : Trois équipes assumaient l’occupation. L’équipe de nuit de 21h30 à 6h30, celle du matin de 6h30 à 13h30 et celle du soir de 13h30 à 21h30. L’occupation fonctionnait bien comme cela.
Les trois agentes, Lola, Sandrine et Mouni sont d’accord pour dire que cette grève les a soudé·es en tant qu’agent·es sur le plan de la combativité contre le pouvoir de la mairie de Paris. Également la grève a créé des liens plus affectifs et humains et les a éclairé·es sur leur condition de classe.
L’Émancipation : Qu’elles en sont les raisons ?
Mouni : Ce site a été stratégique. À Pali Kao, restaurant solidaire, il est servi 1800 repas par jour. C’est le lieu de restauration le plus important de la Mairie de Paris.
Sandrine : Pour le déjeuner de midi les repas sont servis en majorité aux seniors. Les repas sont payés sur la base du quotient familial, sur présentation de la carte Émeraude. Le soir, c’est pour un public qui connaît une grande précarité, sdf, sans papier·es… sans ressources. Mais aussi et c’est nouveau ! des étudiant·es. Le plus souvent ces personnes disposent de la carte solidaire, octroyée par un·e assistant·e social·e, qui permet aux précaires de manger gratuitement.
Mouni : Le mépris de la Mairie de Paris et son refus de nous recevoir, nous ont déterminé·es à occuper le site de Pali Kao, sachant que nous nous engagions dans un bras de fer. Nous avons réussi à rencontrer le maire du XXe, en manifestant vigoureusement sur le parvis de sa mairie. Ce qui, en conclusion, nous a conduit, aussi, à une fin de non-recevoir.
L’Émancipation : Avez-vous un soutien syndical ? Et comment l’appréciez-vous ?
Sandrine : Oui, nous avons le soutien de la CGT CASVP. Ils nous ont suggéré de nous réunir à la Bourse du travail pour organiser la grève du tou·tes ensemble. Dans cette enceinte nous avons pris conscience que nous étions très nombreux/euses. Que nous représentions une force.
Mouni : Les camarades ont l’expérience organisationnelle de la lutte, décodent le langage administratif des chefs, leurs ruses, apprécient les moyens tactiques nécessaires pour déjouer les pièges et nous faire avancer dans nos revendications. Ce savoir-faire qui nous est transmis, permet une plus grande efficacité dans nos actions.
Lola : Ce fut dans les Assemblées Générales où personnels administratif/tives et agent·es social·es se sont retrouvé·es pour la première fois, dans un même lieu pour discuter des conditions de travail, des revendications salariales.
Mouni : Syndiqué·es, non syndiqué.es, nous pesons du même poids dans les décisions prises en AG et dans la lutte, ce qui fait aussi la force de cette grève.
L’Émancipation : Le 10 novembre, vous avez manifesté à l’appel des fédérations CGT/SOLIDAIRES/FSU, comment appréciez-vous cette journée de grève et d’action ?
Mouni : Ces journées de grèves et d’action sont, pour nous grévistes, toujours bonnes à prendre. Déjà elles nous permettent d’occuper la rue et d’affirmer publiquement et collectivement nos revendications, en solidarité avec toutes les entreprises ou administrations en grève avec lesquelles nous manifestons.
Lola : Des revendications salariales égales pour tou·tes, avec égalité des traitements, cela va dans le sens du tou·tes ensemble pour imposer un rapport de force toujours plus fort, pour faire céder Hidalgo.
Sandrine : Pour un grand nombre, c’est aussi non seulement notre première grève mais aussi nos premières manifestations.
L’Émancipation : Vous concernant, quelles seraient lors des négociations, si elles devaient se tenir, les concessions faites par les responsables élu·es de la Mairie de Paris qui feraient que vous décideriez de reprendre le travail après deux mois de grève ?
Mouni : Que les négociations s’engagent avec, nous concernant, le meilleur rapport de force possible ! Il n’est pas question d’arrêter la grève avant et pendant les négociations, ce qui est exigé par la mairie. Ils/elles veulent nous mettre la tête sous l’eau !
Sandrine : Nos revendications sont claires, 198€e pour tou·tes, donc égalité de traitement !
Mouni : Sauf que le 18 novembre dernier nous avons été reçu·es en délégation, et il nous a été proposé l’obole de 70 euros pour les agent·es sociaux/ales et 100 euros pour les cuisinier·es (agent·es techniques). C’est pour nous inacceptable, notre mouvement ne peut que se durcir !
Lola : L’administration ne nous propose un début de négociation qu’après les fêtes, en janvier 2023 !!!
Sandrine : Nous ferons en sorte d’obtenir plus, mais certainement pas moins !
Mouni : La grève et la lutte continuent. Nous ne pouvons pas retourner au boulot la tête basse !
Lola, Mouni, Sandrine,
en lutte pour l’égalité des droits !
Propos recueillis par Claude Marill, le 17/11