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Masculin/Féminin

Née au début des années 1960, mon féminisme est daté mais pas périmé. Il est politique, économique, social et moins concerné par les questions de genre.

Petite fille, des barbies dormaient au pied de mon lit et le soir, j’avais soin de leur enfiler un pyjama en faux satin rose (de la rayonne en fait). Quand elles allaient à la plage, Jacqueline, le prénom de ma marraine et Pamela, le prénom d’une héroïne de Dallas, arboraient leurs plus beaux bikinis, ceux qui rendent fous Ken, G.I. Joe et les Power Rangers.

Parents

J’ai grandi, rangé mes dolls dans un coffre en bois. Des lectures charpentées m’ont désolidarisée de ma mère et des femmes de sa génération, bourgeoises des classes moyennes, encore ébahies d’avoir un couteau électrique pour découper le gigot et une machine à laver qui essore à 500 tours minute.

Mon père ? Il travaillait en indépendant ce qui en gros est l’équivalent de la figure du chasseur chez les hommes préhistoriques. Le revenu généré par une force de travail de 60 heures hebdomadaires assurait un train de vie “Moulinex libère la femme” et Citroën DS.

Dans ces conditions, de quelles ressources conceptuelles puis-je disposer pour appréhender le féminisme en ce début de siècle ?

Le genre, une question centrale

En tant qu’enseignante, je constate que la question du sexe biologique agite les consciences de nos élèves. Naître fille ou garçon est perçu comme une assignation à résidence arbitraire. Un appel en début d’heure de cours devient parfois un exercice complexe si Romane est devenue Axel pendant les vacances de Pâques. Les prénoms choisis sont ceux du moment, assez conventionnels pour un changement qui l’est peu. Certaines parties du monde semblent moins concernées que d’autres par cette confusion des sexes. Je n’en tire aucune conclusion de peur de me fourvoyer dans des considérations infondées. Je laisse aux historien·nes, aux sociologues et aux philosophes le soin de m’éclairer sur la question de la déconstruction.

Hier et aujourd’hui

En 1970/80, les femmes parlaient en catimini des mains aux fesses, des violences conjugales, des viols et des incestes. Agnès Varda réalisait des courts-métrages rentre-dedans.

Il aura fallu cependant attendre des décennies et les scandales déclenchés par #BalanceTonPorc (le nom du hashtag aura fait couler plus d’encre que les crimes dénoncés, un comble), par pour que les langues se délient et que cesse l’omerta. Aucun mâle perçu comme dominant n’échappe à la curée et ceux qui pensent encore que le patriarcat ne concerne que les gens du Nord-Pas-de-Calais, ouvriers, manœuvres ou commerçants (Éddy Bellegueule d’Édouard Louis a fait figure en ce sens d’ouvrage de référence) en sont pour leurs frais. Libération vient de consacrer deux unes à Patrick Poivre d’Arvor, présentateur du 20h de TF1 pendant des années, surtout croqueur de stagiaires et de journalistes débutantes renversées sur le guéridon avant d’avoir pu dire ouf. Des médias à la justice, avec un détour par le théâtre, le cinéma et l’édition, aucune catégorie sociale n’est épargnée par la vague qui ravage les plates-bandes des Moaïs.

Ce qui se passe actuellement est passionnant et je comprends difficilement les chipotages de certains amis cinquantenaires, éduqués et pétris de bonnes intentions, effrayés par la “radicalité”,l’intolérance” de “certaines” féministes et à ce moment-là de la conversation, ils ajoutent pour se rassurer “heureusement pas toutes”. La querelle des Anciennes (celles qui pensent qu’une main baladeuse est une ode à leur féminité) et des Modernes (celles qui n’ont besoin d’aucune ode) réactualisée pour l’occasion !

Je me tais et me garde de faire remarquer que bien des combats dans le passé ont été d’une violence inouïe. On réhabilite, ces temps derniers, la figure de la sorcière, victime de la vindicte masculine pyromane et, en France, les petites filles rêvent de s’appeler Olympe. Pas pour rien.

Où suis-je ?

Si je suis avec intérêt les développements d’un féminisme sans concession, je me sens toutefois en décalage dès que l’on évoque le genre. L’exercice qui consiste à ironiser sur les lettres capitales LGBTQ etc. et à se demander à voix haute si cela aura une fin un jour (après tout l’alphabet comporte 26 lettres) me semble cependant vain et trop facile pour être tout à fait honnête.

Je dirais donc que mes yeux se dessillent grâce aux prises de paroles actuelles et que mon champ de vision s’élargit à 360 degrés. Que des femmes écrivent sur leur haine des hommes, qu’elles manifestent seins nus dans des églises orthodoxes ou qu’elles se payent la tête de leurs pères, de leurs oncles, de leurs frères ou de leurs amants qui les ont tant aimés et se sont occupés d’elles, m’exaltent. Pourquoi craindre les fissures dans l’édifice patriarcal occidental ? Va-t-on aussi regretter l’époque où Gabriel Matzneff s’attendrissait sur des jeunes filles en boutons que David Hamilton, lui, photographiait derrière des voiles crasseux ? Déplore-t-on que le sexe biologique soit enfin remis à sa place, celle du hasard de la naissance ? Redoute-t-on tant la diversité que l’on s’interdit de penser à toutes les combinaisons possibles à partir du couple femelle/mâle ?

Réjouissons-nous au contraire que les femmes envoient valser les stéréotypes de genre, les déterminismes en carton-pâte, les miettes sous la table et unissent leurs forces au service d’un monde plus équitable.

Droit à l’indifférence

Je revendique, en revanche, un droit à l’indifférence. Peu m’importe si Justine devient Justin, qui couche (ou ne couche pas) avec qui ou quoi, si “elle” et “il” se fondent en iels et si l’écriture inclusive rétablit dans le langage un équilibre bafoué dans la vie quotidienne. Être militant n’est pas être militaire, je n’appartiens pas au ministère de la Défense. Le féminisme n’a que foutre des sergentes-cheffes. Je reste maîtresse de mes choix et me réserve le droit de voler dans les plumes d’une dinde qui se prendrait pour un aigle. Je m’engage sans drapeau d’aucune sorte.

À titre personnel, je me sens bien au chaud dans mon sexe car je n’ai pas eu à en supporter les aléas et les à-côtés invivables. Hétérosexuelle de base (j’ai manqué d’imagination), mère comblée, ancienne bonne élève sur des rails rectilignes, suffisamment riche pour accéder à la culture, aux voyages, je douillette dans mon panier et je considère le monde qui m’entoure avec une ironie de bon aloi. Je remercie donc les femmes qui n’ont pas de panier, ont perdu le sens de l’humour au fil d’une vie pleine de bleus et m’ont rappelé quand j’étais tentée de l’oublier, que rien n’est simple et qu’il est parfois nécessaire de faire un pas de côté pour apercevoir que l’on marche sur un pont suspendu au-dessus d’un océan de merde. Je regrette de ne pas entendre encore plus de voix féminines aux tessitures variées et aux géographies multiples. Les féminismes plutôt qu’un féminisme autocentré et monochrome.

Et maintenant

En attendant, les vieux crabes qui en ont après les “féminazies” témoignent d’une époque que l’on espère bientôt révolue. Des nautiles fossilisés dans leurs convictions minérales. Qu’ils se réunissent donc à la Sorbonne sous la houlette de Jean-Michel Blanquer pour se convaincre que leur monde n’est pas mort et souhaitons qu’ils s’éteignent comme naguère les animaux à longs cous et crêtes fourchues, inadaptés à leur environnement. Ils font partie du patrimoine et ont donc leur place dans la mémoire collective, même détruits par une météorite. La Sorbonne, riche de son passé théologique, est un mausolée idéal.

Ceci dit, hélas, la météorite est encore à des années lumières et l’anthropocène, avec barbes, muscles et poils autour, de par le monde, a encore de beaux jours devant lui.

On se retrouvera donc, camarades copines, pour d’autres numéros du mois de mars car le chemin est long et l’art difficile…

Sophie Carrouge