contre les violences sexistes et sexuelles
Du 19 au 26 novembre derniers se sont déroulées dans toute la France des manifestations contre les violences sexistes et sexuelles. Si les manifestations ont été nombreuses et suivies, et si ces questions ont fait – tristement – écho à des nouvelles affaires de violences, notamment au sein de la classe politique, il n’en reste pas moins qu’elles restent encore diverses voire divisées.
La nécessaire remise en cause du capitalisme patriarcal
La date du 25 novembre est clairement devenue au fil des années une date incontournable du calendrier militant. La vague “MeToo” et ses suites ont permis de rendre davantage visibles les violences sexistes et sexuelles mais aussi de voir se développer un mouvement qui rassemble tous les ans beaucoup de personnes dans la rue. À la tête de ce mouvement, le collectif Nous Toutes Paris, qui a su utiliser les media et réseaux pour se développer et qui affirme une stratégie institutionnelle, exigeant à la fois plus de moyens pour l’accueil des personnes qui subissent les violences, mais aussi une meilleure prise en compte des plaintes déposées. Si les revendications font sens, elles s’inscrivent dans une logique qui ne prend pas en considération la nature du système dans lequel les oppressions dénoncées se perpétuent. Un système – capitaliste – qui produit et reproduit les oppressions, et donc par nature incompatible avec la fin des oppressions dont il se nourrit. S’il ne s’agit pas de balayer d’un revers de main les avancées sur le plan institutionnel en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, il est néanmoins nécessaire de penser une autre stratégie féministe pour venir à bout de ces oppressions.
À titre d’exemple, les manifestations de cette année ont beaucoup mis en avant, en parallèle de la question des violences immédiates, la question de l’IVG et de sa remise en cause. Une des revendications a été notamment celle de la constitutionnalisation de l’IVG, portée entre autres par la députée LFI Mathilde Panot. S’il semble évident qu’une telle revendication ne peut pas être dénoncée en soi, il est tout aussi évident qu’une telle “avancée” ne serait jamais que symbolique, un droit non effectif si, en complément, les moyens ne sont pas donnés ou redonnés à tous les centres qui pratiquent des IVG ; si on n’ouvre pas de nouveaux centres (et pour commencer ceux qui ont fermé durant les dernières années) ; si, enfin, les conditions d’égalité face à ce droit n’existent pas. Aussi la question de l’effectivité des droits que nous revendiquons ou défendons peut difficilement se poser sans celle de la remise en question du système qui crée les oppressions et s’en nourrit.
Entre opportunisme et bureaucratisme, construire un véritable mouvement féministe
Dans ce contexte, nous avons besoin d’une stratégie féministe qui permette de penser le système dans son entier ; un féminisme révolutionnaire, un féminisme lutte des classes, qui permette de penser les ressorts de l’oppression et de l’exploitation dans son ensemble. De telles revendications existent, et sont portées par un nombre croissant de collectifs, notamment ceux qui fonctionnent ensemble dans la Coordination nationale féministe qui est née il y a un peu plus de deux ans. S’il est toujours possible de pousser plus loin certaines revendications, si l’homogénéité politique de cette coordination est toujours à construire, ces collectifs affirment néanmoins une stratégie intéressante qui est celle de la grève : grève du travail productif, notamment des secteurs féminisés qui sont aussi les plus précaires, et grève du travail reproductif, qu’il soit salarié ou non reconnu comme tel.
Ces bases devraient permettre un mouvement féministe plus large qu’il ne l’est actuellement, et pourtant, elles ne semblent pas suffisantes pour les “organisations du mouvement ouvrier” supposées aider à construire et soutenir les mouvements sur ces questions. Ainsi, l’intersyndicale CGT-FSU-Solidaires suit les revendications des collectifs institutionnels sans en discuter les fondements ni la portée. Même si une telle stratégie peut se comprendre dans le cadre d’un front uni de collectifs et organisations, elle n’excuse pas le fait que l’intersyndicale refuse le dialogue avec la coordination féministe qui l’a invitée pourtant à plusieurs reprises et qui porte la question de la grève depuis longtemps. Soulignons que la revendication de la grève féministe a mis très – trop – longtemps à émerger dans les organisations syndicales, et reste encore une coquille relativement vide, tant les moyens humains et militants ne sont pas encore suffisants pour rendre les préavis de grève concrets. Comme les directions des syndicats aiment à le rappeler, une grève ne se décrète pas. Qu’attendent alors ces organisations pour entrer en dialogue avec les collectifs qui s’efforcent de penser une grève sur les lieux de travail pour mettre fin aux oppressions du capitalisme et du patriarcat ?
De même, beaucoup de partis politiques pourtant en apparence engagés sur ces questions-là mènent une politique purement opportuniste, sans même chercher à contacter les collectifs auto-organisés qui travaillent sur la question des oppressions. Dans un contexte où nombre de mouvements sociaux s’organisent en dehors des organisations du mouvement ouvrier (du fait d’une méfiance – légitime – envers la récupération politique ou bien d’un souvenir de trahisons lors de certains mouvements sociaux), les stratégies opportunistes ne peuvent que décrédibiliser encore plus les organisations qui peinent déjà à rassembler. Or, rassembler sur des délimitations politiques claires, c’est justement ce dont nous avons besoin.
Un exemple récent à Nantes
À Nantes, comme c’est le cas maintenant depuis quelques années, deux manifestations appelant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles ont eu lieu cette année. La première appelée par l’intersyndicale organisée avec des associations nantaises, a réuni quelque 200 personnes le 25 au soir. La seconde, appelée par une réunion de neuf collectifs et associations nantais a réuni le samedi 26 novembre 1700 personnes au plus fort de la manifestation. Si la division entre les deux manifestations se cristallise surtout sur un point saillant : la non reconnaissance par certaines organisations des violences subies par toutes les femmes (cis ou trans) – reconnaissance indispensable, tant les luttes féministes doivent être liées avec les luttes contre toutes les autres oppressions – elle fait suite aussi à un certain nombre de manœuvres des directions syndicales, qui entendent garder la main mise sur le mouvement, quand en réalité elles perdent beaucoup de crédibilité sur ce terrain. Ainsi y a-t-il eu de nombreuses mais vaines tentatives de discussions entre certains collectifs auto-organisés et l’intersyndicale. Cette année, un pas a été franchi avec leur volonté de travailler avec le Planning Familial en lui présentant l’organisation de la manifestation comme ouverte quand elle était déjà ficelée et bien cadrée. Volonté de toute façon non réciproque, le Planning ayant rejoint les autres collectifs plus en accord avec leur pratique militante et leur politique. Mais cette année s’est ajouté à cette division, tristement connue à Nantes et ailleurs, un traitement indigne de la question des violences sexuelles et sexistes par des groupes politiques.
Ainsi, commentant de l’extérieur les deux manifestations, telle organisation “libertaire” s’est fendue d’un communiqué déplorant la division du mouvement, mais réclamant la nécessité d’un mouvement populaire, dont les syndicats seraient les garants. Communiqué d’autant plus erroné politiquement que la stratégie de la grève et de l’ouverture est bien plus à l’initiative du mouvement féministe auto-organisé que des syndicats. À l’inverse, telle “organisation trotskyste” s’est sentie suffisamment légitime pour placer tout au long du trajet de la manifestation du 26 des militants pour diffuser des tracts de leur cru, comme si le renversement du système capitaliste patriarcal pouvait se faire de manière opportuniste et en extériorité des collectifs qui travaillent sur ces questions. Deux stratégies, deux erreurs, largement vues et critiquées en interne des collectifs à l’initiative de la manifestation, et qui font toujours un peu plus obstacle au mouvement massif dont nous avons vraiment besoin.
Militer avec celles et ceux qui s’organisent à la base, avec une réflexion honnête sur la perte de confiance dans les organisations qui traverse le mouvement social depuis des années, et dans la perspective de construire le mouvement avant de se construire soi-même, devrait être notre boussole. Espérons que le développement des mouvements féministes en France mais aussi à l’international nous aide à effectuer le saut dont nous avons besoin.
Karine Prévot