Le 11 octobre, l’association Négawatt était invitée par le groupe d’Attac-Marseille à une réunion publique pour présenter son scénario de transition énergétique.
Le GIEC nous le confirme : “il y a des solutions dans tous les secteurs” ! Quels choix opérer au niveau national et local ? Pour une rupture rapide avec les énergies fossiles, comment continuer pour faire connaître les solutions, les mettre en débat, et pousser au basculement du rapport de force ? Quel chiffrage des effets attendus ? Quels risques de récupération en greenwashing ? Les citoyen·nes doivent en discuter.
Le grand apport de l’association Négawatt est d’avoir calculé un calendrier 2022-2050, secteur par secteur et avec une cohérence d’ensemble, pour réduire radicalement l’usage des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) grosses émettrices de gaz à effet de serre (GES).
Ce calendrier montre qu’il y a des solutions, avec les techniques existantes, pour arrêter le dérèglement climatique, ou le maintenir dans des limites soutenables.
L’urgence d’une rupture écologique et démocratique
Il y a urgence : si l’on ne veut pas dépasser une hausse de 1,5° de la température moyenne, il faut enclencher dès maintenant la diminution des émissions. C’est la condition pour atteindre une étape décisive : la neutralité carbone des activités humaines en 2050 (1).
On pourrait imaginer des variantes aux mesures concrètes proposées pour chaque secteur. Le scénario prévoit que certaines décisions soient prises à l’échelon local en fonction des ressources et des besoins, avec un pilotage démocratique réalisant la cohérence des mesures en vue de la réduction globale des émissions de GES.
Ce scénario est explicitement en rupture avec la politique des petits pas, des “effets d’annonce”, et des textes de loi qui restent lettre morte… politique de l’État français déjà condamnée comme insuffisante par plusieurs tribunaux.
Les objectifs ambitieux du scénario Négawatt font appel à un suivi volontariste de la part du gouvernement, des administrations, et des citoyen.nes.
Ce calendrier de l’urgence concrétise une démarche clairement opposée aux plans de développement des entreprises des énergies fossiles telles que Total, qui augmentent leur production de pétrole et de gaz, et où la diminution des émissions de GES et le passage aux énergies sans carbone sont toujours repoussés dans l’avenir.
De même, Négawatt insiste sur la faisabilité immédiate de ses propositions. Citation : “Le scénario Négawatt n’est pas un scénario de science-fiction : il se base sur des technologies suffisamment matures pour qu’elles puissent être déployées à grande échelle, dans un délai compatible avec la trajectoire définie”.
Reste à voir comment les citoyen·nes français·es peuvent faire pression sur les décideurs politiques (élu·es et hauts fonctionnaires) pour qu’ils engagent le pays dans un scénario de ce type, et comment on peut contraindre les industriels et les investisseurs à s’y intégrer.
Les principes du scénario
Le scénario Négawatt est formaté à l’échelle nationale (2). Mais il est censé faire exemple à l’échelle globale, et Négawatt travaille actuellement avec d’autres associations pour élaborer un scénario européen.
Sur le fond, les principes de Négawatt sont :
– La sobriété : diminuer les quantités d’énergie consommées, produire durable, ne pas gaspiller, mettre fin à l’obsolescence programmée.
– L’efficacité énergétique : améliorer le rendement et la durée des appareils par rapport à la quantité d’énergie nécessaire à leur fabrication et utilisation.
– Le passage aux énergies renouvelables et sans carbone ou neutres en carbone.
Le principe de sobriété et de non-gaspillage vaut également pour les MATIÈRES PREMIÈRES. Le scénario insiste sur la durabilité des produits et le développement de la réutilisation et du recyclage. Il s’agit à la fois de diminuer les impacts sur la nature et d’éviter la dépendance aux importations, notamment des matériaux les plus critiques tels que fer, cuivre, sable, uranium, métaux rares…
Parmi ces trois principes, la sobriété intervient en premier, à la fois pour faire face à l’urgence climatique, et pour sauvegarder les ressources naturelles.
De plus en plus on entend diverses entreprises faire la promotion des énergies décarbonées et renouvelables, sans pour autant mettre en avant la sobriété… voire sans même diminuer le recours aux énergies fossiles. C’est le cas par exemple des entreprises du transport aérien, qui envisagent de reprendre leur croissance en comptant sur la réalisation future et hypothétique d’avions à hydrogène… et qui en attendant brûlent du kérosène ; c’est le cas aussi de Total qui s’est rebaptisée Total Énergies au pluriel. Ces stratégies visent principalement à ouvrir de nouveaux marchés sans se soucier d’une approche cohérente et efficace en réponse à l’urgence climatique.
Négawatt est à l’opposé de cette démarche : il faut d’abord une diminution immédiate de l’usage des énergies fossiles.
La question du financement
Une transition efficace nécessite des investissements importants de la part de l’État ou pilotés par lui.
Négawatt souligne comme une priorité le financement d’aides aux ménages pour les dépenses de la transition (exemples : crédits à long terme pour financer l’isolation du logement, ou pour payer une voiture électrique là où il n’y a pas d’alternative ; accès à une formation nécessaire à la reconversion professionnelle, etc.).
D’autre part Négawatt préconise le renforcement ou la création de fonds d’investissement dédiés à la transition : investissements lourds de dimension nationale, et dotations aux collectivités locales pour les dépenses qui leur sont imposées par les plans de transition.
Pour tout cela il faut des recettes fiscales.
On peut, avec Attac, préconiser des réformes qui permettraient au fisc de retrouver la part des hauts revenus qui lui a échappé depuis quelques dizaines d’années : progressivité accrue pour l’impôt sur le revenu, taxation des transactions financières, taxation par l’État des bénéfices des multinationales correspondant à des activités réalisées sur son territoire, etc. Ces réformes compensent en partie les inégalités de revenu.
Quant au projet Négawatt, il préconise une réforme fiscale à efficacité directement écologique. Il s’agirait de taxer toute consommation directe ou indirecte d’énergie prélevée dans la nature, et le niveau de la taxation serait proportionné non seulement aux émissions de gaz à effet de serre, mais à toutes les nuisances environnementales causées par la transformation, l’acheminement et la consommation de cette énergie. Cette taxation serait pour tous les contribuables une incitation à la sobriété et au choix d’énergies décarbonées et peu polluantes, et d’autre part elle aurait un aspect de justice sociale puisqu’elle frapperait davantage celles et ceux qui consomment le plus.
La nécessité impérieuse de justice sociale
Que ce soit par une fiscalité explicitement écologique, ou par une fiscalité redistributive plus classique, la ponction fiscale nécessaire à l’action contre le dérèglement climatique doit être porteuse de justice sociale : il serait injuste que le coût financier de la transition incombe aux bas revenus alors que les hauts revenus par leurs choix de consommation, et les investisseurs par leurs choix des énergies fossiles, portent une responsabilité beaucoup plus importante dans les émissions de gaz à effet de serre. La justice fiscale est une condition indispensable à l’adhésion et à la mobilisation de la population dans la transition.
Cette adhésion des gens peut être suscitée également par les bienfaits immédiats qu’on peut tirer de la transition si elle démarre sans attendre avec l’aide de l’État, et si la population participe démocratiquement à sa construction.
Le scénario Négawatt entraîne la création de centaines de milliers d’emplois pérennes (isolation des bâtiments, énergies renouvelables, agriculture, relocalisations, formation, accompagnement administratif et social des reconversions…). C’est une option vers la relance de l’emploi pour l’utilité commune et pour la vitalité du tissu économique local.
Enfin les mesures de diminution des émissions de GES ont des effets positifs locaux et rapidement perceptibles sur la qualité de la vie et la santé.
La diminution radicale des combustibles fossiles dans les transports et les industries se traduit d’emblée par une diminution sensible des pollutions locales et des maladies qu’elles provoquent.
La revégétalisation des villes également. La diminution de la consommation de viande est bonne pour la santé. L’agroécologie améliore la qualité gustative et sanitaire de l’alimentation, tout en augmentant la fixation de carbone dans les sols et en diminuant la production d’engrais chimiques émettrice de GES.
L’isolation thermique des bâtiments améliore le confort et fait baisser les factures de chauffage…
Éléments transmis par Joël Martine
Pour un résumé : https://negawatt.org/IMG/pdf/ synthese-scenario-negawatt-2022.pdf
Pour une présentation des premières mesures, secteur par secteur (Exemples : l’isolation thermique des bâtiments, le déploiement du ferroviaire comme alternative à l’automobile, la structuration de filières industrielles bas carbone, etc.) : https://www.negawatt.org/ Les-mesures- structurantes-a-engager-pour-le-prochain-quinquennat
Vidéo de 3 mn : https://negawatt.org/Kit-de-communication ; http://bit.ly/video_SnW2017
(1) Les sociétés humaines ont donc aujourd’hui devant elles un “budget carbone” limité.
Voir https://marseille.site.attac.org/IMG/pdf/article1_-_budget_carbone_-gr_climat-12mai2022.pdf
(2) Il s’agit non seulement de diminuer les émissions de GES sur le territoire français, mais aussi le total de l’empreinte carbone mondiale de la France, incluant les émissions de GES à l’étranger causées par la production et l’importation de produits destinés à la France, et les émissions faisant suite à des investissements de banques et entreprises françaises à l’étranger. À noter aussi : le scénario Négawatt n’inclut pas les DOM-TOM, ce qui se justifie par leurs spécificités géographiques et économiques (insularité, latitude, importance des relations aériennes et navales…). Mais la méthode Négawatt s’applique aussi à ces territoires.