Le 54e congrès de l’ICEM-Pédagogie Freinet avait pour thème « Pour une méthode naturelle à l’école publique ». Ce fut l’occasion pour le Laboratoire de Recherche Coopérative de présenter en conférence plénière le résultat de plusieurs années de travail coopératif. Nous publions ici l’intervention introductive. (1).
La Méthode Naturelle (MN) est encore bien peu connue aujourd’hui dans le monde de l’éducation et le mot “naturelle” est souvent mal interprété. On connait bien “les techniques Freinet” mais la MN reste quelque chose de flou ou de trop romantique ou de “pas sérieux”. Pourtant elle a déjà prouvé son efficacité et ceux/celles qui la pratiquent en général en tirent épanouissement et joie… Alors pourquoi est-elle si peu pratiquée ? Serait-elle trop complexe ? Insaisissable ? Même “surnaturelle” ? Pourquoi, souvent, les enseignant·es l’abandonnent-ils/elles après quelques essais ? Est-ce que c’est une question de formation ? Le travail du professeur·e serait-il trop complexe, trop difficile ? Demanderait-il trop de talent, de culture personnelle pour gérer l’expression libre des enfants ?
Technique et méthode
Freinet pensait que les techniques (imprimerie, correspondance, journal scolaire, texte libre, coin documentation, classe promenade…) étaient premières, indispensables et révolutionnaires pour instaurer une pédagogie populaire et libératrice. La méthode comme il le disait dans L’Éducateur de 1937 : “La méthode est le but, la direction, la ligne, les techniques sont les moyens d’actions”.
Sous le feu des critiques des tenant·es de la scolastique et même des autres mouvements d’éducation nouvelle (Montessori, Decroly, Cousinet…) qui avaient toutes et tous leur “méthode” bien définie, Freinet dit dans L’Éducateur de janvier 1952 qu’il y a nécessité d’une méthode qu’ils appelleront, lui et ses compagnons, “méthode naturelle d’apprentissage” et qu’ils développeront rigoureusement pour toutes les disciplines.
Les grandes lignes directrices
Alors, pourquoi “naturelle”, quels sont “le but, la direction, la ligne” dont parle Freinet ?
Nous avons tenté de les rassembler en quatre grandes lignes directrices.
1) “L’être humain est, dans tous les domaines, animé par un principe de vie qui le pousse à monter sans cesse, à croître, à se perfectionner, à se saisir des mécanismes et des outils afin d’acquérir un maximum de puissance sur le milieu qui l’entoure”.
C’est cette force quasi biologique qui préside à l’activité naturelle des enfants et qui est le moteur des apprentissages en MN, cette force que Freinet appelle “puissance de vie” que Spinoza appelait aussi “désir” et Aristote “faculté désirante” ou Bergson “élan vital”.Toute la difficulté de pratiquer la MN, pour nous enseignant·es, c’est qu’il nous faut éduquer ce désir, cette puissance de vie pour qu’elle s’effectue dans les apprentissages, dans la création, l’exploration du milieu, la coopération. Cette éducation du désir est bien la chose la plus importante et la plus difficile pour nous enseignant·es, parce que cette puissance de vie est souvent happée par toutes sortes d’activités extérieures, sources de plaisir immédiat.
Cette puissance de vie, comment va-t-elle s’effectuer en classe, à l’école ? Par l’expression libre, la création dans tous les domaines, le texte libre, la peinture libre, la musique libre, la danse libre, par les questionnements en étude du milieu, par les interventions à l’entretien du matin, par la parole au conseil de coopérative… par ce qu’il nous semble être les moyens les plus adéquats à l’effectuation de ce désir, de cette puissance de vie.
2) “Aucune, absolument aucune des grandes acquisitions vitales ne se fait par les procédés apparemment scientifiques. C’est en marchant que l’enfant apprend à marcher ; c’est en parlant qu’il apprend à parler ; c’est en dessinant qu’il apprend à dessiner […] Et c’est forts de cette certitude que nous avons réalisé nos méthodes naturelles dont les scientistes essaient de contester la valeur”.
“Naturelle” dans ce cas, ne veut pas dire qu’elle s’oppose à “culturelle”, mais “naturelle” s’oppose en réalité à “artificielle”, c’est-à-dire à “scolastique” : pratiques isolées de la vie qui n’existent et ne servent qu’à l’école. La MN est une méthode de vie, elle n’est pas isolée de la vie.
Pourquoi ? parce que ce mot “naturelle” caractérise la manière de faire qui a lieu partout et tout le temps dans la vie, la manière dont les enfants apprennent à se tenir debout, à marcher, à parler, la manière dont les mères éduquent, mais aussi la manière dont les scientifiques font des recherches et des découvertes, dont les écrivain·es écrivent, les mathématicien·nes travaillent, les historien·nes, les artistes, les juristes,… Cette manière de conquérir des savoirs et des savoir-faire est le “tâtonnement expérimental”, que Freinet pensait être le processus universel de l’intelligence humaine.
Le tâtonnement expérimental est d’abord “expérience”, “Seule l’expérience est souveraine, et cela dès la naissance” (Freinet 1966). Pour apprendre à rouler à vélo, il faut faire l’expérience de rouler en vélo, pour apprendre à conduire une voiture il faut faire l’expérience de conduire, et à l’école, pour apprendre la littérature, il faut faire l’expérience de l’écrivain·e, pour apprendre les maths il faut faire l’expérience du mathématicien·ne, même chose pour la musique, les arts plastiques, les sciences, l’histoire, la géographie…
Comment s’y prend-on en classe pour que ces expériences, ce tâtonnement puissent avoir lieu tout en éduquant le désir ? Le groupe et le professeur·e transforment les propositions d’enfants, leurs productions libres, leurs interventions pendant une mise au point de texte ou à l’entretien par exemple, leurs créations, pour les mettre en recherche, en tentant avec eux et elles de problématiser. Il ne s’agit pas non plus de tout transformer, tout problématiser mais d’être prêt à le faire avec le groupe classe. Et la MN est bien la seule méthode de Pédagogie Active qui part des propositions des enfants pour problématiser et les mettre en recherche. Nous le verrons dans les exemples de classe qui vont suivre.
3) “Le travail est le seul lien effectif et efficace entre les hommes. Puisqu’il est satisfaction normale des besoins primordiaux de l’individu, il est, de ce fait, l’élément le plus puissant de son comportement”.
Méthode naturelle donc, parce que comme pour l’humain en général, le travail est la vraie nature de l’enfant. Si l’enfant est fatigué, s’il s’ennuie, c’est que l’activité qu’on lui propose n’est pas un vrai travail, source de découverte et de pouvoir sur le monde
Alors, en MN, respecter l’humanité de l’enfant, c’est avant tout lui offrir du grain à moudre, lui donner à penser, à problématiser, ouvrir son esprit, son corps (travail manuel) et son cœur sur le monde qui l’entoure.
4) “Le travail se pratique au sein d’une communauté. Le travail appelle la coopération”.
Méthode naturelle donc, parce que les hommes vivent et travaillent naturellement en communauté.
Que fait-on en classe ? En classe, pour persévérer, les processus de tâtonnement ont naturellement besoin de pratiques sociales.Tous les processus, les tâtonnements personnels vers les connaissances, se rencontrent, se mutualisent et s’amplifient dans le groupe coopératif qui n’est pas seulement un groupe de sujets cognitifs avec leur stade de développement et leur imagerie cérébrale mais un groupe d’humains qui se rencontrent et qui se surprennent les un·es les autres par leurs productions. La préoccupation du savoir est alors comme enveloppée dans une pluralité d’enjeux de types social, affectif, imaginaire, politique, sensible, symbolique, corporel, matériel, inconscient, rationnel, etc. Ce qu’il faut donc entendre par “Méthode naturelle”, c’est en réalité “processus d’apprentissage complexe”, complexe comme la vie elle-même.
Alors, comment suivre ces lignes directrices en classe ?
Quelle “méthode” et quelles implications pour le professeur·e ?
Nous donnerons trois exemples de classe que nous analyserons à partir des quatre points suivants que nous avons déjà évoqués :
La part du professeur dans :
1 l’accueil des propositions d’enfants ;
2 la transformation progressive de ces propositions en savoirs et savoir-faire plus efficaces par des processus de tâtonnements ;
3 l’institutionnalisation des savoirs nouveaux (formalisation, ancrage, évaluation) ;
4 mutualisation, coopération, altérité.
Premier exemple en français : une amélioration de texte libre collective dans la classe de Pierrick Descottes cycle 3 (voir page IV), une création musicale dans la classe de Damien Tréton cycle 3, et un cours d’histoire dans la classe de troisième de collège d’Hélène de Casabianca.
Ces trois exemples sont illustrés par des vidéos qui ne sont pas des vidéos de professionnels, elles ont été tournées par nous-mêmes et nous servent de documents de travail. Ces présentations de moments de classe ne constituent pas des modèles mais des exemples.
Laboratoire de Recherches Coopératives de l’ICEM-Pédagogie Freinet
(1) Pour voir la conférence dont sont issus les articles qui suivent, on peut aller consulter le site de l’ICEM : Vidéo – La méthode naturelle d’apprentissage, quelles implications pour le professeur ? https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/58584