La “réforme” des retraites ? Elle est passée par ici, elle repassera par là… Bref, Macron promène les syndicats en changeant continuellement de modèle avec le même objectif : en baisser le montant.
Malgré les efforts de falsification déployés par Delevoye, tout le monde est bien persuadé que la situation d’aujourd’hui ne fera que se dégrader en vertu de la future “réforme”. D’ailleurs, le report de la “réforme” après les élections municipales révèle que le pouvoir sait pertinemment que personne n’est dupe.
Dès à présent, 72 % des Français·es estiment que le système de retraites actuel ne permet pas de bénéficier d’une retraite correcte. Ce système est jugé injuste (79 %), pas viable (79 %) et 67 % pensent que le gouvernement ne parviendra pas à mener une réforme d’envergure qui leur soit favorable. Enfin, 61 % pensent que la concertation sur les retraites est surtout une stratégie politique pour désamorcer les contestations. “Il faut travailler de plus en plus longtemps pour gagner de moins en moins” est le sentiment le plus partagé (1).
Deux propositions entre autres
Deux propositions principales s’opposent ou se chevauchent, c’est selon.
Pour Delevoye, il s’agit de faire sauter l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans en créant un âge pivot à 64 ans pour un retraite à taux plein. Comprenez : sans décote ni surcote.
Pour Macron, il semble plus simple d’augmenter la durée de cotisation. Aujourd’hui, elle est de 41 annuités et demie. Il est acté (réforme Touraine de 2014) qu’elle passera progressivement à 43 annuités en 2035 pour les générations 1973 et suivantes. La proposition Macron est donc bien d’accélérer ce calendrier.
D’après E. Philippe, en ouverture des rencontres des 5 et 6 septembre 2019 avec les syndicats, le “régime universel par répartition en points” s’appliquera à la suite d’un retour à l’équilibre des dépenses de retraite en 2025 et s’accompagnera d’un blocage du financement des retraites au niveau atteint à ce moment-là. Il s’agit donc d’ici là de faire pression sur les montants des retraites.
Rapport Delevoye (pour résumer)
L’objectif est de remplacer les 42 régimes de retraite actuels par un système universel à points. Les justifications tournent autour du fait que les carrières ne sont plus linéaires et que les régimes différents créent des injustices.
Le prix d’achat d’un point est provisoirement fixé à 10€ et sa valeur de service à 0,55€ pour un départ à 64 ans. Les cotisations consistant à acheter des points devront s’élever à 28,12 % des rémunérations. La valeur d’achat du point sera indexée sur l’évolution des salaires et la valeur de service sur l’inflation.
Les droits seront acquis sur la totalité des rémunérations et non plus sur les 25 meilleures années ou les six derniers mois (pour les fonctionnaires).
Les générations 1963 et suivantes subiront une décote de 5 % par an sur leurs droits à pension si elles prennent leur retraite entre 62 et 64 ans et bénéficieront d’une surcote de 5 % par an si elles continuent de travailler après 64 ans.
Les femmes bénéficieront de points de solidarité, en nombre non précisé et d’un bonus de 5 % dès le premier enfant. La pension de réversion sera fixée, pour le conjoint survivant, à 70 % de la totalité des rémunérations communes.
Les carrières longues et la pénibilité devront être prises en compte.
Enfin, la gouvernance sera confiée à un conseil citoyen épaulé par un comité d’experts, sachant que les lois de finance et le budget encadreront ce pilotage.
Pour Delevoye tout le monde est gagnant. Pour cela il a donné des exemples. Malheureusement, des curieux ont calculé que les pensions en question supposaient, sans le dire évidemment, de travailler pour certains jusqu’à 67 ans ou encore pour d’autres jusqu’à 69 ans.
Remarques rapides
Les cotisations (28,12 %) sont bien définies, ainsi que la valeur d’achat des points (qui suit l’évolution des salaires). Il n’en est pas de même de la valeur de service indexée sur l’inflation. Les retraites actuelles l’étaient après 2003, elles ne le sont plus ! Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. En attendant, la valeur de service est fixée à 0,55€ à 64 ans (à taux plein). Mais, comme le régime universel est censé être en équilibre (celui de 2025), la valeur de service sera soumise à des ajustements. Deux pistes sont évoquées : en fonction de paramètres économiques et démographiques ou encore, le taux plein pourraient être fixé à un âge pivot plus élevé.
Les modalités de conversion à effectuer pour passer d’un régime actuel à l’universel, en particulier pour les classes d’âges comprises entre 1963 et 1973, restent très aléatoires.
L’équilibre des régimes actuels en 2025 nécessitera de nouvelles coupes dans les pensions d’ici là.
Pour les femmes, les bonifications en annuités disparaîtront et rien ne dit que les compensations seront à la hauteur de ce dont elles bénéficient aujourd’hui. C’est d’autant plus improbable qu’il n’est prévu que 10 % de financement pour des dispositifs de solidarité qui se montent aujourd’hui à 23 % des pensions versées.
Le rapport Delevoye propose une pension minimale de 1 000€E pour 43 annuités cotisées par la génération 1973. Or, en 2016, 38 % des femmes et 22 % des hommes bénéficiaient d’une retraite inférieure à 1 000€e. Aujourd’hui, le seuil de pauvreté se situe à 855 e (seuil à 50 %) ou 1026 e (seuil à 60 %) par mois ! Par ailleurs, d’après des études de l’Évaluation et des statistiques (Drees), les Français estiment qu’une personne seule devrait disposer d’un revenu minimum de 1760 e par mois pour vivre (2).
La catégorie de fonctionnaires dite “active” est maintenue pour les policier·es, les militaires et les pompiers et ceux/celles-ci ne verront pas leur âge de départ à la retraite repoussé, mais il n’en sera pas de même pour les aides-soignant·es, infirmier·es, kinés, conducteur·trices de train, etc.
Une interrogation : quelle sera l’affectation du Fonds de Réserve des Retraites (37 Mds) lors du passage au régime universel fondé sur l’équilibre des comptes par ajustement de la valeur de service du point ?
Les perdant·es
Tout le monde y perdra, comme cela l’a été en 1993 après la “réforme” Balladur, puis après celle de Fillon en 2003, etc. (voir l’accélération : 2008, 2010, 2012, 2014) (3).
Les employé·es de la RATP, de la SNCF et des industries électriques et gazières (IEG), malgré la réforme de 2008, serviront probablement de boucs émissaires. Ces trois régimes concernent 325 000 cotisant·es, 347 000 retraité·es et 135 000 bénéficiaires de réversions. En 2017, ils ont versé 11,4 Mds€ de prestations et reçu 5,5 Mds€ de contributions publiques (4). Ben oui, ils coûtent ! Mais de combien leurs effectifs ont été amputés, au point que les trains n’arrivent plus à l’heure, entre autres choses ? Une remarque toute bête : ces 482 000 personnes perçoivent 11,4 Mds€ et, en même temps, 16 200 000 retraités perçoivent 325 Mds€ : c’est proportionnellement très comparable. Enfin, ces régimes sont extrêmement minoritaires. Pas de quoi crier au scandale.
“SOS retraites” regroupe les avocat·es, les médecins, les infirmier·es libéraux, les pilotes, les kinés, etc. Ils/elles cotisent à des régimes autonomes dont les réserves seront mises dans un pot commun. Par ailleurs, l’augmentation des cotisations à venir est très mal venue pour certain·es. Par exemple : 73 % des avocat·es gagnent moins de 40 000€e et vont voir leurs cotisations passer de 14 % à 28,12 % !
Les fonctionnaires ont leurs droits à retraite calculés sur leurs rémunérations des six derniers mois. Les calculer sur l’ensemble de leur carrière sera une catastrophe. Il est prévu d’intégrer leurs primes (22 % en moyenne) et de les soumettre à cotisations. Par contre, il se trouve que les enseignant·es n’ont quasiment pas de primes (4 % pour les PE) et, dans ces conditions, leurs pensions baisseront de 20 à 25 %. Le gouvernement le sait, bien entendu, car il propose de revoir les carrières de ceux/celles-ci ainsi que leur grille de salaire. Quand on voit que Blanquer leur a promis 300€e en moyenne pour 2020 (soit de 2 à 25 e€ par mois), tous les espoirs sont permis. Enfin, en jetant au feu le code des pensions, c’est le statut des fonctionnaires qui est en jeu.
Conclusion
En 2017, les pensions de retraites se sont élevées à 325 Mds. Elles représentaient 40 % de la protection sociale et 13,8 % du PIB. 25 % de la population en a bénéficié. C’est donc un enjeu de société très important.
La baisse des retraites constitue l’objectif de cette future réforme, comme pour les précédentes. Cela constitue une forte incitation pour chercher un complément de retraite par capitalisation. C’est aussi un moyen puissant pour briser la puissance de régulation sociale que constitue la sécurité sociale.
Le scénario est très noir : retraite à points, plus décote, plus augmentation de durée de cotisation, plus gel du niveau du financement et, enfin, cadrage du pilotage par les lois de finances et le budget. C’est la certitude de pousser une part encore plus importante de la population dans la grande pauvreté (5).
Le néolibéralisme porte en lui la destruction des liens sociaux, des solidarités humaines et apporte, à la suite de la concurrence et de la marchandisation, violences, répression du corps social et régressions. Le détricotage des acquis sociaux et la généralisation de la précarité doivent être stoppés à tout prix. Cela passe par la construction d’un rapport de forces contre le capital : la société n’en peut plus et commence à se poser comme une entité en opposition majoritaire au pouvoir.
Les défaites répétées des travailleur·euses ont affaibli les syndicats, qui de plus sont divisés. La classe politique dans son ensemble, soumise à la pression du capital, est totalement délégitimée. Le pouvoir est nu, sa force réside dans la répression et la veulerie des clercs.
Le gouvernement promène les syndicats qui ne manqueront pas, à leur tour, de nous promener dans les rues. Il est donc urgent et indispensable de s’organiser pour bloquer ce processus de régression sociale et politique. Cette politique touche l’ensemble des strates de la société, c’est un atout très puissant. Les Gilets Jaunes ont montré que de grandes potentialités de mobilisation existaient. Faisons que la lutte contre ce projet de “réforme” sonne le glas du tout libéral !
Michel Bonnard, 07 septembre 2019
(1) http://www.odoxa.fr/sondage/retraites-67-francais-gouvernement-ne-parviendra-a-mener-reforme-denvergure/
(2) http://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-francais-estiment-qu-il-faut-1760-euros-par-mois-pour-vivre-20190906
(3) https://www.vie-publique.fr/actualite/dossier/retraites-2019/differentes-reformes-retraites-1993-2014.html
(4) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-regimes-speciaux-de-retraite-de-la-ratp-de-la-sncf-et-des-industries-electriques
(5) http://www.observationsociete.fr/revenus/valeurs-pauvrete.html