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Une vie de sans-papiers

Les travailleuses et travailleurs étranger·es en situation irrégulière sont les premières victimes de la surexploitation par les patrons, et aussi d’une politique mortifère de la droite macroniste qui s’imagine combattre les extrêmes droites en légitimant leurs thèses xénophobes. Associations et collectifs luttent quotidiennement à leurs côtés, dont celui de Paris 20ème dont nous publions ci-dessous un témoignage.

Liberté, égalité, fraternité !

En ces temps de campagne électorale où nos compétiteur/trices tricolores pour la présidence de la République piétinent avec fureur ce qui pourrait être encore perçu comme les “valeurs” de la République, pourtant inscrites depuis le 27/02/1848 au frontispice de nos mairies comme de nos écoles, les sans-papier·ères quant à elles et eux, reçoivent la devise non point comme un message symbolique d’une République “généreuse” mais tel un mot d’ordre militant de prolétaires surexploité·es qui doit s’appliquer sur notre espace national, ici et maintenant ! Sauf que pour donner réalité à cette fraternité tant affichée, une exigence plus prosaïque s’impose, l’obtention de papiers !

Apartheid social

Dans une société divisée en classes, la gageure d’une fraternité entre exploiteur/euses et exploité·es fait sourire, mais à l’inverse révolte quand nous vient à la conscience la masse de celles et ceux qui, invisibilisé·es, sont confiné·es dans une sphère sociale close, de non droit où le silence de l’oppression et  de la surexploitation représente la règle.

Cette réalité pourtant évidente de situation d’apartheid entre le/la citoyen·ne prolétaire national·le ou le/laprolétaire étranger·e enregistré·e et reconnu·e par l’État, et ces prolétaires sans-papiers victimes d’exclusion pour des raisons arbitraires d’exploitation oblige à réflexion : peut-on fraterniser dès lors que l’on est privé, à travail égal, salaire égal, droit aux mêmes conditions de travail, droit à l’instruction, à la santé, au logement, à la citoyenneté ? Peut-on fraterniser quand sans-papiers et donc sans statut social, l’humain n’est plus sujet de sa propre histoire mais un être anonyme transparent, sans devenir. Dans une vie de prolétaire invisibilisé, l’émergence à une existence socialisée, reconnue et humaine nécessite ce viatique que sont les papiers.

Ouvrons les frontières !

Vivre sans papiers c’est, en permanence, l’insécurité, la persécution, la violence policière, la peur d’un rejet du territoire national (OQTF) voire d’un bannissement (IRTF). Pire encore, être désigné comme le profiteur, le voleur, le criminel, bref l’exutoire social présenté comme tel par les démagogues bourgeois qui excellent à jouer sur les registres racistes et xénophobes.

Plus que tout autre, le/la sans-papier·es sait ce que représente le droit à la liberté de circuler et la violence qu’imposent les frontières du territoire national. Enfermé·e dans sa bulle de paria social, il/elle l’est doublement dans une France cadenassée, devenue irrespirable.

Fraternité

Quand l’espace vital ainsi se rétrécit, seule la lutte sociale offre une ouverture à la vie.

Mais le sans-papier·es sans racines administratives, se doit de tout reconstruire pour disposer d’outils auto-organisationnels, d’auto-subsistance, d’auto-défense, de luttes.

Partis, syndicats, lui sont le plus souvent étrangers, et les formes de structures organisationnelles sont à imaginer, à élaborer. Ce sont ces cheminements personnels vers les autres qu’occasionnent les luttes pour de meilleures conditions de travail, d’existence. De ces luttes au quotidien naissent la nécessaire idée de l’agir ensemble, de structures de lutte collective et de cette vitale fraternité pour arracher ce droit à la vie : des papiers !

Le tous ensemble !

Les sans-papier·es sont désormais au cœur de nos luttes. À Vintimille, Calais, ils/elles sont présent·es. Il en fut ainsi lors du contre-sommet France-Afrique à Montpellier où trois d’entre eux seront frappés d’OQTF et deux autres d’IRTF !

Eux/elles encore qui bloquent par la grève la société d’intérim RSI, à Gennevilliers 92, DPD, filiale de la Poste, au Coudray-Montceau 91, ou à Chronopost Alforville 94, grève victorieuse qui permettra la régularisation de 27 travailleur·ses. Et ce n’est qu’un début !

Ça suffit !

Le 20ème arrondissement de Paris, surpeuplé, est la vivante illustration de nos populations paupérisées… Hôpitaux devenus fantomatiques, écoles surchargées mais sous équipées, maternelles rares et dans l’incapacité de fonctionner correctement, HLM toujours surpeuplés, services sociaux atteints de mort lente… et police partout, chasse au faciès.

Un vent aigre annonce de mauvais jours ! La prégnance fascisante hante le pays, nos quartiers. Les populations précarisées, menacées, sentent l’impérieuse nécessité de se rassembler, de se défendre.

Les militant·es antiracistes et antifascistes, de simples citoyen·nes de quartiers, organisent débats et prises de paroles, le plus souvent dans les foyers d’immigré·es. Des combats communs s’organisent : collages, tractages, déambulations de rues revendicatives, manifestations en direction de la Préfecture sur le mode des “papiers pour toutes et tous !”… festivités solidaires dominicales.

Le 16 mars, place Alphonse Allais, Paris 20ème, ont été remises plus de trois cents cartes d’habitant·es plastifiées, portant photo, et en exergue : Liberté, Égalité, Papiers. Ces cartes associent fraternellement les habitant·es quel que soit leur origine, leur statut social (1).

Toutes et tous solidaires face à la répression policière, à la menace raciste, aux pratiques sociales inégalitaires.

Nous serons nombreux à participer à Paris, le 19 mars, à la marche des Solidarités !

D’où que l’on vienne, où que l’on soit né,

notre pays s’appelle solidarité !

Liberté, égalité, papier !

Claude Marill

Interview du camarade sans papiers Hamam Nakhosso du Collectif sans papiers 20ème

Le camarade Hamam Nakhosso, sous ce nom d’emprunt, a bien voulu nous accorder cet entretien révélateur d’un drame personnel, celui d’un prolétaire sans-papiers, pourtant destiné à un autre avenir social, aujourd’hui dépouillé de toute identité, invisibilisé dans une masse sociale elle-même transparente, et qui pourtant constitue un prolétariat de non droit, banalisé.

L’Émancipation : Tu vis actuellement la dure réalité des travailleurs immigrés en France. Pourquoi as-tu pris la décision de quitter ton pays ?

Hamam Nakhosso : Je viens de Mauritanie. J’ai quitté mon pays en septembre 2018. Je suis licencié en chimie de l’université de Nouadjibou, en banlieue de Nouakchott. Mais mon diplôme n’a pu être validé. Le gouvernement a décidé dans cette période de changer les cartes d’identité en cours par de nouvelles cartes biométriques. Sur la nouvelle carte qui m’a été remise mon nom a été mal orthographié, et ainsi cette identité n’était plus la mienne, et mon diplôme non reconnu n’a pas été validé. Il m’aurait fallu beaucoup d’argent pour réparer l’erreur. Nous ne sommes pas dans un pays où le droit est reconnu. J’aurais dû payer beaucoup de bakchichs !.. et je n’avais pas d’argent.

De plus, militant du parti IRA d’opposition, j’organisais les mobilisations des populations des quartiers pauvres pour qu’elles puissent disposer de bus, se déplacer. Repéré comme activiste je me suis fait tabasser au commissariat… il m’était alors devenu impossible de trouver du boulot et nourrir ma femme et mon enfant de cinq mois. Sans argent, menacé par la police, j’ai décidé de partir. Il serait dangereux pour moi de revenir en Mauritanie.

L’Émancipation : Quel a été ce voyage vers la France ? As-tu eu des difficultés d’accueil en France ?

Hamam Nakhosso : Je suis passé par le Maroc et l’Espagne, pays dont je ne connais pas la langue, puis j’ai poursuivi en bus jusqu’en région parisienne. En Espagne j’avais fait du gardiennage pour gagner un peu d’argent et continuer ma route. La difficulté a été de traverser la mer en partant de Nador au Maroc sur une pirogue à moteur jusqu’en Espagne… mais finalement le petit groupe avec lequel j’ai embarqué est arrivé sain et sauf. Parvenu à Paris j’ai dormi dehors, je n’avais ni argent ni nourriture. Ça été très dur.

L’Émancipation : Comment vis-tu la clandestinité du travailleur immigré “sans-papiers” dans ta vie au quotidien ?

Hamam Nakhosso : Le problème c’est l’insécurité, mais c’est surtout l’exploitation des patrons. Une sous-location dans un foyer me coûte déjà 140 €/ mois. Le travail au noir rapporte 400 à 500 €€/mois pour faire la plonge ou le nettoyage, ou encore dans le bâtiment. Si on travaille avec les papiers d’un autre, le patron complice nous remet une fiche de paie de 1300 € mais ne nous paie de la main à la main que 700 €, et garde le reste.

L’Émancipation : Si tu as un boulot, quelles sont tes conditions de travail ? Sont-elles les mêmes que celles de tes camarades de travail qui ont des papiers ou de ceux qui sont de nationalité française ?

Hamam Nakhosso : Mes conditions de travail sont épuisantes. Je suis convoqué au boulot à n’importe quelle heure, par téléphone. Ceux qui ont des papiers, français ou immigrés, travaillent dur mais ils ont des droits !

Nous aucun ! Les patrons en profitent.

L’émancipation : As-tu connu des désaccords avec ton patron ? Comment ça s’est passé ? As-tu déjà participé à une grève ? et avec qui ?

Hamam Nakhosso : Oui chez un restaurateur marocain. En nettoyant une hotte de cuisine. J’ai été brûlé sur toute la jambe gauche. Il a refusé que j’aille à l’hôpital. Le patron avait peur d’une enquête et il voulait que je continue de bosser. Je suis alors rentré chez moi pour me soigner…

Rentre chez toi ! D’autres attendent ! a t-il gueulé… et il ne m’a plus rappelé.

L’Émancipation : Au cours de la grève as-tu eu un soutien syndical ? Lequel ? Es-tu actuellement syndiqué, ou pas ?  Pourquoi ?

Hamam Nakhosso : Je n’ai jamais eu l’occasion de faire grève, je travaille “au noir”. Je suis seul contre le patron…et le syndicat ne s’occupe pas de moi et de nous en général, les sans-papiers.

L’Émancipation : Quels soutiens souhaiterais-tu pour l’obtention des papiers ?

Hamam Nakhosso : D’abord je voudrais être reconnu comme travailleur, un être humain ! Un humain qui travaille a des droits. Moi qui suis sans papiers je ne suis reconnu ni comme être humain, ni comme travailleur. Je voudrais déjà être reconnu pour cela par l’État du pays où je travaille et donc avoir des papiers.

L’Émancipation : Le « tous ensemble » des collectifs sans-papiers te paraît-il être un bon moyen pour l’obtention de  papiers.. et avoir enfin la possibilité de travailler et vivre “tranquille” en France ?

Hamam Nakhosso : Le tous ensemble oui, c’est nécessaire mais il faut que  les collectifs de sans-papiers se mettent d’accord, cela commence à se faire.  De plus, il faudrait avoir aussi le soutien des syndicats. Ce que je vois, c’est que les syndicats préfèrent discuter avec les patrons plutôt que de discuter avec nous. Et puis pour gagner et avoir des papiers, il faut que ceux qui ont du travail et des papiers soient avec nous,  ainsi que les populations,  pour que la police nous  respecte, nous laisse vivre !!

L’Émancipation : Je te remercie camarade d’avoir accordé cet entretien pour rendre compte et informer les camarades syndicalistes, lectrices et lecteurs de la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique des conditions de vie et de travail quand on est un “sans-papiers” en France.

Soyons toutes et tous solidaires !