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Solidarité sélective, discrimination institutionnelle

Vu d’Allemagne

Le passeport. On en a un bon ou un mauvais !

La couleur de peau. On a la bonne ou la mauvaise !

Notre camarade Françoise Hoenle nous relate les conséquences, au jour le jour, qui peuvent en découler aujourd’hui en Allemagne. Nul doute que nous pouvons rencontrer les mêmes choses en France !

    Mars 2022

    J’accompagne au service des étrangers une jeune femme irakienne gravement handicapée. Elle est arrivée en Allemagne venant de Grèce où elle a “vécu” dans le camp de Moria.  

    Elle a un rendez-vous pour prolonger son séjour. Nous sommes à l’heure. Un “Security”, comme on dit ici, barre l’entrée, nous devons attendre dehors par un froid glacial. Comme nous, attendent deux femmes africaines avec bébés.

    Le temps passe. L’attente est pénible pour Jyan, rien n’y fait. Des groupes de réfugiées ukrainiennes arrivent à intervalle et entrent. La personne que j’accompagne demande au vigile, qui est tunisien et parle arabe, ce qui se passe. Il répond : “Il/elles sont prioritaires”. Il me dit en français : “Elle veut beaucoup de choses pour elle”. Je réponds : “Elle veut la même chose que les autres”.

    C’est la première fois que la priorité donnée à ceux et celles qui ont la nationalité ukrainienne se manifeste sous mes yeux. Au moment où ma protégée et moi-même pouvons entrer, nous voyons qu’à l’intérieur, bien au chaud, se trouvent de nombreuses personnes.

    Une semaine plus tard, j’accompagne une femme géorgienne dont le mari est atteint d’un cancer très avancé. Deux heures d’attente. Je mettrai quelques heures à dégeler, elle aussi.

    Ces deux femmes, Jyan et Leila, vivent au foyer de Lich où les autorités locales ont placé des personnes malades ou handicapées et leurs proches.

    Avril 2022

    Arrive dans ce foyer un charmant jeune homme originaire de Somalie. Comme il a l’air très sympathique et parle anglais, je lui demande “What’s wrong with you ?” Il rit et répond : “Nothing is wrong with me”. Il réfléchit et dit avoir constaté qu’il est entouré de personnes malades ou handicapées. Tout d’un coup, il me montre une vidéo sur son smartphone : sa femme dans un centre de rééducation de la région. Elle essaie de réapprendre à marcher. Et il me montre une photo : une cicatrice qui va du haut en bas de la colonne vertébrale. Il m’explique que sa femme est tombée malade en Grèce, au camp de Moria. Une tuberculose osseuse a détruit sa colonne vertébrale. Peu de temps après cette conversation, il dit que sa femme a quitté l’hôpital et a été envoyée au centre de premier accueil des réfugié·es, à Gießen. Il y a là, actuellement, 2000 personnes de toutes origines, et, en plus, un millier de personnes venues d’Ukraine. 

    Le lendemain, il raconte être allé à Gießen, où on lui interdit d’entrer. Un Somalien pousse le fauteuil roulant de la frêle jeune femme devant les grilles pour qu’il puisse la voir. Pendant ce temps, des centaines de personnes venues d’Ukraine entrent et sortent librement.

    Mohammad ne perd pas son humour : “3000 personnes et une de trop, c’est moi !”.

    La Pologne a permis à des millions de personnes d’entrer, de transiter ou de rester. En même temps, les refoulements aux frontières continuent.

    Je lis dans la presse locale que l’élan de solidarité est immense. Des milliers d’hébergements ont été proposés. À Lich, où on nous disait qu’il n’y avait plus de logements libres… voilà qu’il y en a partout. Mais je lis qu’aucun logement n’a été proposé pour des réfugié·s venant d’Ukraine qui ne seraient pas ukrainien·nes de souche, ni, bien sûr, pour des personnes venues d’ailleurs.

    Nos structures d’accueil datant de 2015, lorsque la Croix rouge a monté dans notre petite commune un centre d’accueil avec plus de 200 personnes, sont toujours en place, car “nos” réfugié·es de 2015, 2016 ont toujours besoin de nous. Et nous avons le foyer pour personnes malades et/ou handicapées avec son lot hebdomadaire de nouveaux et et nouvelles arrivant·es.

    Nous avions mis en place, entre autres, un accueil ouvert à tous et toutes dans un local de l’église protestante. Cette activité a repris le 4 avril.

    Ce jour-là, “nos” familles syriennes et afghanes ne sont pas venues, il n’y a que des Ukrainiens et Ukrainiennes. Je m’arrête à la porte, sidérée : à une table ont pris place cinq colosses d’un poids, d’une largeur d’épaules que nous n’avons jamais vus en six ans. Personne n’est arrivé d’Afrique, de Syrie, de Turquie ou d’Afghanistan avec une telle masse corporelle. Notre préposé aux activités sportives leur propose de jouer au foot. Il nous lance : “Je les mettrai dans les buts”.

    À part ces hommes, il y a des femmes jeunes, réservées, qui ressemblent tout à fait aux jeunes femmes d’ici. Personne n’a fait d’allemand à l’école, une seule parle un peu anglais.

    Je sympathise avec une mère de famille venue d’Odessa qui a fait des études de danse. Elle se produit ce dimanche à Lich avec des musiciens et musiciennes qui ont trouvé refuge en Allemagne.

    Nous voulons convaincre les autorités de nous envoyer un·e étudiant·e en médecine dont personne ne veut.

    Françoise Hoenle