Sommaire

Sommaire

Portrait de Palestinienne : Le centre CETC-Atfaluna

Gaza, deux décennies de blocus, quatre grandes vagues de bombardements, et la mort qui rode quotidiennement. Quand les enfants craquent il faut leurs redonner le goût et la capacité de vivre durablement ravagés par les bombardements.

Nabila raconte la genèse d’Atfaluna : “Il y a cinq ans, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec Madame Paulette Fauché, infirmière dans l’équipe du Docteur Christophe Oberlin, qui rend visite régulièrement à la bande de Gaza et est membre de l’association Amani. On discutait de la situation des enfants de Gaza vivant toutes ces conditions terribles. Je lui ai raconté que j’avais un centre éducatif pour les enfants défavorisés au nord de la bande de Gaza , à Bait Lahia, un village qui donne directement sur les frontières israélo-palestiniennes. Je lui ai expliqué que mon équipe faisait d’énormes efforts pour aider les enfants du village au niveau éducatif et comportemental, mais que pour un certain nombre d’enfants, il n’y avait presque pas de résultats. Je lui ai confirmé que j’avais tenté différentes méthodologies pour obtenir des résultats et que c’était en vain.

Madame Fauché m’a proposé d’entrer en contact avec Madame Jeanne Dinomais, pédopsychiatre, afin d’avoir des réponses à toutes les questions que je me posais concernant les enfants et leurs progrès surtout éducatifs. Après avoir exprimé mes inquiétudes à Madame Dinomais, elle m’a expliqué que la raison principale derrière ce blocage des enfants était le traumatisme psychique”.

Une intervention thérapeutique professionnelle indispensable

Pour ces enfants, explique Jeanne, une intervention thérapeutique professionnelle est non seulement importante, mais aussi urgente, car plus le traitement est retardé, plus les conséquences seront graves. Ces enfants doivent être accueillis en soins approfondis, car ils sont porteurs de traumatismes psychiques sévères avec retentissement important sur leur vie scolaire, familiale et sociale. Leur devenir est en péril.

Sous l’impulsion de Jeanne, grâce au soutien d’Amani, le désir des professionnelles palestiniennes, notamment des psychologues, de créer une réponse concrète à la souffrance des enfants et des familles du nord de la bande de Gaza se concrétise en 2017 en un centre de thérapie psychologique. L’ambition est immense : que les enfants sortent du suivi en ayant retrouvé leur dynamisme de développement, leur potentiel scolaire et social, et une capacité accrue de faire face aux conditions de vie très difficiles de la bande de Gaza.

Une telle ambition nécessite des moyens et du temps. Des cycles de sept mois ont été décidés (un mois de bilan complet : médical, psychologique, social, pédagogique, six mois de programme individualisé de soins et rééducations). Avant chaque cycle, des évaluations psychologiques déterminent les prises en charge et les enfants qui vont être accueillis. Tous les enfants testés ne sont pas accueillis durablement au Centre : des conseils peuvent être prodigués en une ou deux consultations pour certains. Ce sont les enfants les plus affectés qui ont été inscrits pour le cycle de traitement.

Fixé en moyenne à 50, le nombre d’enfants admis est relativement varié d’un cycle à un autre selon trois facteurs :

  • – Les sévérités des symptômes chez l’enfant et à quel point ses problèmes psychologiques le privent d’un développement naturel et sain.
  • – L’urgence d’une intervention psychothérapeutique pour traiter l’enfant.
  • – La durée estimée nécessaire pour appliquer le plan thérapeutique.

La priorité est toujours pour les enfants qui souffrent des symptômes très difficiles et profonds : les cas qui ont été directement exposés aux évènements traumatiques et qui y sont restés bloqués. Ce genre de cas exigent une intervention immédiate et une analyse clinique profonde.

Tout le monde est concerné

Dès la mise en place du tout premier cycle, les psychologues palestiniennes ont mené des réunions de sensibilisation à Bait Lahiya. C’était quelque chose de tout à fait innovant au Nord de la Bande de Gaza, qui a déclenché un mouvement chez les participant·es. Les rencontres avec les mères ont été riches et touchantes, car c’était la première fois qu’une équipe psychologique s’approchait pour entendre leurs difficultés quotidiennes et leurs observations par rapport aux problèmes de leurs enfants.

Le Centre se fixe donc comme l’un de ses objectifs d’intégrer les parents dans les plans thérapeutiques de leurs enfants. Cela signifie un effort pour impliquer aussi les pères, dans l’objectif de renforcer la communication entre le père et la mère sur la situation de leurs enfants.

Les mères qui le souhaitent bénéficient également de séances de soutien en groupe ainsi que de consultations thérapeutiques individuelles lorsque nécessaire. Le constat a été fait que les mamans avaient besoin d’être aussi accompagnées psychologiquement pour qu’elles puissent être, à leur tour, actives dans le mieux-être de leur enfant.

Être mère c’est aussi être une femme dans la société gazaouie traumatisée par la situation sanitaire, sociale et politique liée au blocus et aux agressions israéliennes. À travers le groupe de parole proposé par Nabila Kilani, les femmes peuvent s’informer de leurs droits et de leurs devoirs, partager et comprendre leurs souffrances de femmes, s’interroger, dans un climat de confiance et sécurisant. C’est du groupe qu’émergent alors les solutions qui permettent à chacune de trouver sa force de vie. L’enfant devient témoin de ce processus dans la relation avec sa mère et peut, en toute confiance s’y appuyer.

Un autre constat récent a été fait lors des violentes agressons aériennes de mai 2021 : celui de l’impact de ces bombardements intensifs sur les émotions et le comportement des bébés. Dès lors, sans attendre que des conséquences neuropsychologiques se manifestent à l’âge scolaire, un travail de recherche et de thérapie est envisagé auprès des bébés à travers un groupe de soins et d’attention à la vie émotionnelle des nourrissons. Il s’agit d’observer et accompagner tous les signes d’expression et de motivation des bébés, selon leurs rythmes personnels. Ces manifestations de mouvements physiques spontanés sont l’expression d’une activité mentale mise en action qui est à accueillir et valoriser, afin que la confiance en soi et la sécurité affective offerte par les adultes leur permettent de s’ouvrir à des variations d’expériences corporelles pour grandir et dépasser les perturbations induites par les traumatismes.

Plusieurs milliers d’habitant·es de Beit Lahiya ont déjà bénéficié de cette approche familiale globale.

Les professionnel·les du soin psychique de Gaza ont besoin de notre solidarité.

Ce printemps voit se dérouler le huitième cycle de soin, et en cinq années d’existence, le centre a traité plus de 460 enfants. L’association Amani a permis la création du Centre, qu’elle a soutenu quatre années. L’AFPS a pris pour une part le relai. Mais, nous disent Nabila et Jeanne :

Pour continuer à réaliser ce projet et l’amplifier, nous avons besoin d’être nombreux, ensemble !

Sarah Katz

voir aussi : https://emancipation.fr/la-revue/numero-8-avril-2022/portraits-de-palestiniennes/