Sommaire

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Les dessous de l’expérimentation marseillaise

C’est la fin du programme national et de la liberté pédagogique individuelle… et la casse du statut. C’est un enjeu national de le combattre en urgence.

L’appel à candidature sur 40 postes à exigences particulières pour les écoles qui ont souscrit à l’expérimentation marseillaise est paru dans le bulletin départemental du 14 mars 2022. Les fiches de ces postes ont été publiées, et listent chacune les attendus, les missions, les compétences et prérequis en lien avec le projet de l’école en question auquel le ou la futur·e candidat·e doit se soumettre. L’élu·e prendra ses fonctions à la prochaine rentrée.

C’est la casse du statut de l’enseignant·e qui se poursuit au travers des modalités de ce mini-mouvement. À savoir, il y aura bien un entretien d’embauche ce qui fait perdre au dit “mouvement” son caractère anonyme, et il y aura bien un directeur ou une directrice qui y assistera et qui usera d’un nouveau pouvoir hiérarchique.

Le projet d’école, la base de la transformation de l’école en entreprise

Le “projet d’école” s’institutionnalise. Il est affiché comme base du contrat d’embauche. Il devient la carte d’identité de l’établissement reléguant ainsi le programme et son caractère national dans la poubelle du néo-libéralisme. Il justifie un financement spécifique et un aménagement éventuel de programme qui devient ainsi curriculaire et anticipe le contrat de projet d’une durée de six ans que la Loi sur la Transformation Publique (LTFP) a créé. C’est la décentralisation ou dénationalisation de l’Éducation nationale qui se met en marche. C’est la mise en application de LTFP dont la FSU et le SNUipp réclament l’abrogation dans leur congrès, et du Grenelle de l’éducation, quintessence de la néo-libéralisation de l’enseignement.

À la suite des Postes à Profil (PoP), ce mini mouvement met en application également d’autres mesures de la LTFP, l’embauche sous contrat sur des emplois permanents, et la priorité d’affectation locale.

Le partenariat pour décentraliser et démultiplier les missions de l’Éducation nationale

L’expérimentation va plus loin dans la casse du service public. Sur la base du projet d’école, elle ouvre l’école au partenariat pour, à terme, généraliser l’externalisation et la marchandisation de l’enseignement à échelle nationale. L’école/entreprise prend forme. Tous les projets entraînent un partenariat local. Comme les projets passent par le filtre de Marseille en Grand et de son Président, un préfet en lien avec le ministère, il est raisonnable de penser que les partenaires locaux sollicités, le sont aussi. Ainsi, se dessine la nouvelle école néolibérale qui veut contrôler tout ce qui touche à l’élève en tant que futur salarié dans ce monde du capital. Le ministère en témoigne qui a déjà phagocyté les Sports, Jeunesse et Sports et qui lorgne sur la Culture. La liste exhaustive des partenaires des 40 projets étudiés sont : les animateurs du temps péri-éducatif, ou péri et extra-scolaires ; les partenaires médico-sociaux (exemples cités, les orthophonistes et les psychomotriciens) ; les parents et les familles (insistance dans quelques projets pour qu’ils intègrent le temps scolaire) ; le quartier ; les partenaires dans le domaine des arts ; les municipalités et personnels municipaux ; les éducateurs et éducatrices sportif·ves ; les associations ; le collège, les enseignant·es des premier et second degrés ; les déjà partenaires des cités éducatives.

On le voit, le partenariat est avant tout local, et ce sont les mêmes partenaires qui sont cités dans tous les projets. Ce qui amène à la conclusion que cela fait système et dessine la nouvelle école/entreprise avec un·e chef·fe, une hiérarchie, des intervenant·es multiples et tou·tes seront dépendant·es des collectivités locales via les projets.

Le partenariat pour transformer l’école en entreprise

Comme l’entreprise, l’école paie et va payer de plus en plus des partenaires locaux pour des missions d’enseignement. Deux exemples parmi des centaines d’autres : telle association écologique a été rémunérée pour donner deux cours à tous les niveaux d’une école sur les grandes familles du règne du vivant, végétal et animal. Autre exemple, une entreprise (multinationale) l’a été pour informer sur la filière viande avec l’agriculture industrielle en toile de fond non remise en cause. Etc.  C’est par le biais du partenariat que le public, c’est à dire les collectivités, va subventionner le privé, et va permettre aussi à l’entreprise mère, le ministère de l’Éducation nationale du sport et de la jeunesse, de chapeauter et d’accroître démesurément son pouvoir de contrôle sur tout un pan de la société qui concerne de près ou de loin la jeunesse. Cela tombe bien car la LTFP a mis un terme aux commissions paritaires et ne permet plus aux directions syndicales désormais de contrôler le respect du statut par l’administration. Le rôle des directions syndicales est à présent celui de défendre quelques miettes avant l’adoption des mesures et de suivre l’application des mesures après qu’elles sont passées. Le dialogue social qu’Émancipation combat dans les instances syndicales.

Le lien entre bâti scolaire et partenariat

Il concerne implicitement plusieurs des projets qui installent les partenaires dans l’école. Un des projets est plus explicite, qui parle de pôles physiques, ce qui prouve que les partenaires ont donc vocation à entrer dans l’école : pôle famille, pôle médico-social, pôle pour les réunions entre partenaires. D’autres projets parlent de salles pour les arts et la culture, pour les sciences, pour les maths.

Par contre, on ne peut que constater que pour la majorité des projets, la transformation et/ou la réhabilitation du bâti scolaire n’est pas abordée bien que ce soit censé être l’objectif numéro un. Cela prouve qu’au moins, ce n’est pas cela l’essentiel, et qu’au plus il faut considérer tout ce qui est mis dans les projets car si un préfet a été nommé pour diriger l’expérimentation c’est que l’enjeu est bien national. Et cela signifie que le bâti scolaire se gère à un autre niveau, le ministériel. Les pôles, salles, classes flexibles, aménagements sont à scruter de près car ils ont tout d’un ballon d’essai. Mais le vague de la chose a bien un but : celui d’empêcher les oppositions. Cela n’empêche qu’une seule expérience suffira dans une seule petite école sélectionnée qui accueillera tous les partenaires possibles, pour justifier ensuite la généralisation au plan national. Puisque n’oublions pas que la messe a déjà été dite par Macron, en septembre, à savoir que l’expérience marseillaise avait vocation à être généralisée.

Le bâti versus le numérique

Nous l’avons vu : la réhabilitation du bâti reste bien sous contrôle du ministère. Et il est utile de rappeler que, aux dires même de Sidi Soilmi, directeur de la nouvelle cellule ministérielle créée, c’est la numérisation de tous les établissements scolaires le premier objectif de la réhabilitation. Or dans les projets des appels à candidature publiés, si cette priorité n’est pas exprimée, s’exprime par contre l’exigence dans presque tous les cas d’utiliser, sinon de maîtriser le numérique et, pour les projets artistiques et culturels, de maîtriser les techniques de l’audiovisuel. Mais nous avons vu l’astuce : il suffit d’un projet dans une école pour généraliser ensuite. Et justement, l’un des projets exige du/de la futur·e candidat·e, qu’il/elle utilise des tablettes, et un autre “recommande” explicitement d’utiliser le matériel ENI (Écran numérique interactif) installé dans toutes les classes des deux écoles concernées.

Les projets, et “en même temps” des méthodes pédagogiques qui s’imposent

Les projets sont regroupés sous une quinzaine de thématiques et/ou matières, et sont souvent couplés par deux ou trois comme ci-après (avec des variantes) : les langues et l’international (sept écoles), le sport, la citoyenneté, le parcours santé (cinq écoles) les sciences, les mathématiques, le développement durable ou la biodiversité (neuf écoles), les arts et la culture (neuf écoles), les neurosciences (une seule école avec les

arts), les relations école-famille (une seule école), l’aménagement de l’espace scolaire et la classe flexible (dix écoles). Une seule école regroupe cinq matières. Et une école expérimente une classe extérieure.

Et derrière ces projets, sauf dans les deux premiers qui ne spécifient rien, les méthodes qui sont déclinées sont les mêmes, dans les mêmes termes, ou similaires, dans des termes similaires. Et ces méthodes sont celles clairement préconisées par Macron/Blanquer dans le Grenelle de l’Éducation qui donne le “la”. À savoir remettre en cause la classe à un seul niveau, jusqu’à la suppression totale des niveaux dans une école maternelle et une école élémentaire. Précisons que des maternelles fonctionnent déjà en multiniveaux, mais l’expérimentation est destinée à être la vitrine suivie de près par le ministère pour être le tremplin qui permettra la généralisation comme l’a dit Macron.

Des méthodes qui convergent vers le mélange des âges et des niveaux

Car contrairement à ce qu’en disent certains directeurs ou directrices qui s’étonnaient de n’être pas cadrés… au début, surtout les premier·es sollicité·es, on constate, au final, que tous les projets convergent vers des méthodes pédagogiques identiques : casser la règle une classe – un niveau – un lieu ; pour ainsi forcer la différenciation, voire personnalisation de l’enseignement et de la pédagogie ; individualiser le parcours des élèves ce qui en d’autres termes signifie orienter ou trier, c’est selon ; redessiner l’espace scolaire, même quand ce n’est pas dans l’intitulé du projet ; et au bout du bout, noyer l’inclusion systématique dans ce grand chamboule-tout en la minimisant au maximum jusqu’à faire disparaître sa problématique, (oh combien !) spécifique. Ainsi, les méthodes imposées par les projets sont : “co-enseignement, co-intervention, co-animation, co-éducation (ce dernier avec les familles), décloisonnement, aménagement de l’espace, espace d’apprentissages aménagés, modalités de travail différentes, organisation des classes flexibles, différenciation pédagogique, repenser les lieux partagés, des espaces et des pratiques pédagogiques innovantes préconisées par les neurosciences et les sciences cognitives”. Enfin, on y trouve aussi ce qui semble l’aboutissement dans ce processus d’expérimentation : les classes multi-âges pour une maternelle et pour deux écoles élémentaires : des méthodes d’individualisation des parcours des élèves… avec des enseignements adaptés au rythme de chacun·e, dans des groupes de besoins décloisonnés… avec des pédagogies différenciées. Un des projets précise : “et non plus simplement dans un niveau de classe”. L’“inclusion” accompagne, en catimini pourrait-on dire, l’un de ces derniers projets.

Et les rythmes scolaires qui reviennent

Quelques écoles ont décidé aussi dans leur projet de repenser les emplois du temps et les rythmes scolaires. Devant un Paillan qui remettait en cause le périscolaire mais qui a quand même assuré que le PEDT (Projet Éducatif Territorial) serait réalisé, Castex, en service après-vente (après Macron) a gentiment rappelé l’argent qu’il y avait à la clé. Ainsi les rythmes scolaires vont pouvoir être re-expérimentés dans le cadre de l’expérimentation, puis généralisés puisque c’est le but.

Quelques éléments de conclusion non exhaustive

Les expérimentations, ne l’oublions pas, doivent être généralisées, d’où l’importance de ce qui est expérimenté. Entre autres :

  • • Une direction hiérarchique responsable d’un projet spécifique et de sa mise en musique par tous les partenaires qui intègrent l’école.
  • • La fin de la direction collégiale de l’école avec la fin du Conseil des maîtres et maîtresses et de la liberté pédagogique individuelle.
  • • Avènement du projet, donc des méthodes, donc des compétences, au détriment du programme national et de l’acquisition de savoirs.
  • • Multiplication des missions des enseignant·es avec le partenariat obligé.
  • • Augmentation du travail des enseignant·es proportionnel au nombre de niveaux enseignés et des inclusions imposées.
  • • Banalisation de l’inclusion qui augmente le travail et la souffrance au travail.
  • • etc.

La casse du statut c’est tout cela et c’est la remise en cause des droits du fonctionnaire mais aussi des droits du bénéficiaire du Service public (mal nommé usager).

Le Service public est le patrimoine conçu pour être celui de toute une société, mais dans le contexte actuel où règne l’inégalité, c’est le seul patrimoine d’une majorité de la population la plus pauvre. C’est le droit pour tou·tes, d’accéder aux mêmes choses. Or l’expérimentation est là pour mettre en place un tri au détriment des plus défavorisé·es.

C’est un enjeu essentiel actuellement pour le syndicat d’en exiger l’abrogation et de refuser toutes les discussions qui permettent de la mettre en place.

Marie Contaux