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Militant·es pas délinquant·es

Le 1er février 2022, 400 personnes manifestaient leur soutien à deux camarades syndicalistes, appelés à comparaître devant le tribunal correctionnel de Clermont-Ferrand.

Le samedi 18 janvier 2020 devaient avoir lieu les premières épreuves E3C du nouveau baccalauréat de Jean-Michel Blanquer au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand.

La mobilisation contre le bac Blanquer

Afin de soutenir les collègues du lycée qui appelaient à la grève pour ne pas surveiller les épreuves, un rassemblement devant le lycée avait été décidé en AG des personnels de l’Éducation nationale, et appelé par une intersyndicale (FSU, CGT, SUD, FO, SNALC, UNEF) en lutte contre les réformes du lycée, du baccalauréat, des retraites, et avait réuni plus de 200 personnes.

Le portail étant resté ouvert, les manifestant·es sont entré·es dans le lycée.

Il n’y a eu aucun passage en force, aucun franchissement de grilles ou de portails fermés, aucune dégradation et aucun·e élève n’a été empêché·e de se rendre aux épreuves.

La grève importante des enseignant·es du lycée ne permettait pas que les examens se tiennent dans de bonnes conditions. La proviseure de l’établissement a donc fait descendre les élèves dans la cour et leur a annoncé elle-même l’annulation des épreuves, en empruntant le mégaphone des syndicalistes.

Elle a demandé ensuite aux manifestant·es de partir, ce qu’iels ont fait dans le plus grand calme, “sans qu’une seule chaise n’ait été renversée” comme l’on dit les inculpés lors de l’audience au tribunal.

Une criminalisation voulue par le Ministre

Pourtant, fait exceptionnel, dès le lendemain, le ministre Jean-Michel Blanquer appelait immédiatement à la fermeté contre ces actions et annonçait dans les médias qu’il engageait des poursuites.

Nationalement, c’était la deuxième fois qu’étaient organisées les épreuves E3C, et la deuxième fois que les épreuves étaient annulées du fait de la mobilisation. Le retentissement médiatique de cette action collective était important. Blanquer a donc voulu criminaliser l’action pour faire taire toute contestation.

La Proviseure du lycée a alors déposé plainte, selon “le souhait du Recteur”, comme elle l’a signifié aux services de police, ainsi que l’a souligné l’avocat au cours du procès.

Quelques jours plus tard, six représentant·es du Snes-FSU, de la CGT Éduc’action, de SUD éducation et de l’UNEF étaient convoqué·es au commissariat de police. Et malgré les mobilisations de soutien, étaient condamné·es par ordonnance pénale, sans comparution ni débats contradictoires, à une amende avec inscription au casier judiciaire B2 pour “intrusion non autorisée dans l’enceinte d’un établissement d’enseignement scolaire dans le but de troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement”.

C’est une loi de 2010 qui permet la caractérisation du délit. Cette loi de circonstance a été votée après l’intrusion de casseurs dans certains établissements scolaires. Nous étions nombreux·ses alors à la dénoncer comme pouvant entraver la liberté syndicale. Mais on nous jura que non, bien sûr que non…

On voit aujourd’hui le résultat.

Défendre les libertés syndicales

Après maintes réflexions, discussions et réunions, nos quatre camarades du SNES-FSU et de l’UNEF ont décidé de ne pas faire opposition de leur condamnation, tout en demandant la non inscription de leur peine au casier judiciaire et en affirmant ne pas reconnaître avoir commis de délit. Avec leurs organisations syndicales, iels ont entièrement participé à la mobilisation du 1er février. Un appel à la grève et au rassemblement a été signé par une large intersyndicale (Snes, Snuep, Snuipp FSU, CGT Éducac’tion, SUD éducation, Fnec-Fp FO, SNALC, UNEF,  CNT, Stylos Rouges) et soutenu par de nombreuses organisations syndicales, associatives et politiques locales (UD-CGT, FSU, SOLIDAIRES, Ligue des Droits de l’Homme, Association France Palestine Solidarité, Attac, Chom’actif, Justice et Vérité pour Wissam, La libre Pensée, les Amis de l’Huma, les Amis du Temps des Cerises,  Osez le féminisme !, Planning familial, RESF, France Insoumise, NPA, PCF, PG, UCL).

Le Congrès national de la FSU, qui se tenait au même moment à Metz, a publié un communiqué de soutien aux inculpés.

Frédéric Camguilhem de la CGT Éduc’action et Didier Pagès de SUD éducation, ayant quant à eux formé opposition, se sont rendus au tribunal ce 1er février pour défendre les libertés syndicales et dire qu’ils étaient des syndicalistes militants, pas des casseurs délinquants.

Ni la proviseure du lycée ni le Rectorat n’étaient d’ailleurs présent·es ou représenté·es, faisant ainsi aveu de faiblesse et affichant un peu plus l’absurdité d’une telle condamnation.

Dans son réquisitoire, la procureure elle-même a admis que les faits n’étaient “pas d’une extrême gravité”.

Le jugement, mis en délibéré, a été rendu le 10 mars. La justice a accordé un sursis à nos camarades, qui n’auront donc pas à payer les 400€e d’amende prévus dans la condamnation initiale. Ils vont engager une contestation de l’inscription de la peine au B2 du casier judiciaire.

Une mobilisation qu’il faut poursuivre

La mobilisation a été importante autour de cette affaire. Nous étions 400 manifestant·es devant le commissariat de Clermont-Ferrand, quand nos camarades ont été entendu·es en janvier 2020, 400 devant le rectorat en juin 2021 après l’annonce de la condamnation, et de nouveau 400 devant le tribunal le 1er février 2022, lors du procès.

Cette mobilisation, le déroulement de l’audience et les plaidoiries ont suffisamment fait douter la justice pour que la peine soit revue à la baisse.

La politique de Blanquer s’illustre par la mise au pas de tous les personnels de l’Éducation nationale à travers de nombreuses et incessantes réformes, et s’attaque à toutes celles et ceux qui luttent activement à la dénoncer, comme à Clermont-Ferrand mais aussi à Melle, à Cahors, à Dole, à Carcassonne, au lycée Berthelot de Pantin… ou avec la répression féroce qui s’abat sur les lycéen·nes en lutte.

Par cet acharnement, il ne fait aucun doute que le ministre Blanquer veut signifier à tous les personnels qu’aucune opposition ni aucune lutte ne pourra désormais avoir cours dans l’Éducation Nationale, sous peine de sanctions et de poursuites judiciaires.

Continuons de lutter aux côtés de toutes les victimes de cette vague répressive et contre les réformes qui détruisent le service public, laïque et gratuit d’éducation.

Nous sommes des militant·es, pas des délinquant·es.

Corinne Mialon, Clermont-Ferrand