Comment ça ? Ça se vend ?
On l’a longtemps cherché. Ne le reconnaissant que quand il n’était plus là. Il est dans les petites choses du quotidien, dans les yeux de quelqu’un·e qui vous comprend, dans la certitude d’avoir le pouvoir de faire quelque chose sans le faire pour autant. Il est immatériel et surtout, c’est sa recherche ou pire, sa poursuite, qui le rend inaccessible et rend notre vie désespérante.
Monsieur Pigeon, lui, non seulement l’a trouvé mais il le vend. Comment ça ? Ça se vend, le bonheur ? En petit pot, en grand ou même, en format familial. Avec sa camionnette, il effectue sa tournée pour en vendre à madame Caille (un grand pot), madame Rossignol (un petit), madame Charbonnière (un pack de six), madame Huppe (une douzaine pour Noël), monsieur Pouillot demande une réduction, ha mais oui mais le bonheur, ça ne se solde pas ! et monsieur Étourneau n’en veut surtout pas, c’est un artiste et le bonheur ça ne rime pas avec la création ; l’artiste doit souffrir pour créer.
Mais que peut-il bien y avoir dans ces pots de bonheur ?
Sur un texte à double sens de Davide Cali, Marco Soma peint de véritables tableaux ocres et marron, des couches automnales de volatiles anthropomorphiques, tout un monde en hauteur, sous des airs ensoleillés d’un pays où jamais il ne semble pleuvoir. Chacun·e semble y trouver son compte, monsieur Pigeon comme ses client·es et leurs enfants qui jouent, se cachent et se fondent dans le décor qui fourmille de détails sur lesquels on s’interroge en souriant : une photographie étendue avec le linge, une peinture signée Bombois, une maison numéro 85 et une autre 58, seul le client monsieur Souris habite sur terre…
Un bel album. Une réussite qui fait appel à l’intelligence et à la sensibilité du lecteur et de la lectrice. Et si c’était ça, le bonheur ? Le plaisir fugace d’un livre qui vous ouvre l’horizon et pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses ?
François Braud
- Davide Cali & Marco Soma, Le marchand de bonheur, Sarbacane, mai 2021, 16e50.
Frissonner et se rassurer
Du crépuscule à l’aube, la nuit s’installe, glisse sur les maisons, s’évapore dans les pièces et annonce l’heure du coucher. Une dernière lecture avec la voix de papa ou de maman et c’est l’heure de fermer les yeux. Oui mais. Un bruit me réveille. On frissonne. On s’inquiète. On tremble. Y a Une lumière sous mon lit… La peur s’installe. On crie. On hurle. Papa ! Maman ! Alors on regarde sous le lit. On scrute. On attend. On enquête. On surveille. Rien. Alors on se rendort. Rassuré. On peut rêver…
Le livre est fini. Non. On le retourne. C’est la même histoire qui vient expliquer la première : le bruit et la lumière. Alors, on relit le livre en le retournant une nouvelle fois.
Et on s’amuse en comprenant que chaque histoire impacte l’autre, la réalité du petit garçon touche celle du petit monstre rose et inversement. La curiosité nourrit la peur de l’autre, la nuit de l’un perturbe celle de l’autre sans que l’un ne soupçonne l’existence de l’autre. Subtilités temporelles, spatiales, émotionnelles.
Sans paroles, si ce n’est les cris de Papa ! Maman !, ce livre de Jérôme Camil développe deux univers de chambres d’enfants aux couleurs violette et pétrole de la nuit quelquefois striées par des croissants jaunes de lumière éclairant la chambre de la nuit aperçue dans un losange noir étoilé.
Tout est affaire de décor, changer de lit, changer de corps, avoir le même sort.
Comme quoi le monstre sous le lit peut prendre l’apparence de l’autre, la différence s’unir dans la même émotion et la tolérance en découler, tout simplement.
La nuit est une intrigue qui va perdre de son mystère et rassurer. Et développer l’imagination et le rêve avec l’envie de mettre des mots sur les images, de raconter son histoire, de faire son cinéma.
F. B.
- Une lumière sous mon lit, Jérôme Camil, Alice jeunesse, 2022, 15€.
- À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr).