Basée sur la peur, des étranger·es, des trans, des femmes et de leurs droits reproductifs acquis de haute lutte, des soi-disant “complot woke” et de la “théorie du genre”, dans une Amérique en déclin, en quête d’un pseudo “âge d’or” perdu, la campagne de Trump a su gagner des segments de l’électorat jusqu’alors insensibles aux discours de la droite traditionnaliste.
Le 6 novembre 2024, une partie des États-Unis se réveille abasourdie, ahurie et consternée. Les sondages sur les résultats de la présidentielle américaine prédisaient une bataille serrée, avec deux candidats au coude-à-coude. Les démocrates ont la gueule de bois. Les trumpistes exultent. La victoire haut la main du candidat républicain, tant pour le “vote populaire” que pour le nombre de grands électeurs est écrasante. Il n’est même plus besoin d’une action aussi violente que l’invasion du Capitole (6 janvier 2021), d’ailleurs cette fois entouré de policiers ; les commerces alentour étaient également préventivement protégés de panneaux de bois.
Mais une grande partie de l’Amérique (souvent des gens ayant fait des études et culturellement favorisés), ne peut en rester là. Lors de la première élection de Trump en 2017, 1984 de George Orwell avait connu une hausse spectaculaire des ventes, les lecteurs et lectrices trouvant un écho à la situation politique dans ce roman dystopique, où la novlangue ne permet plus de distinguer le vrai du faux. Aujourd’hui depuis le 1er février, c’est le Simple Sabotage Field Manual publié par l’OSS (Office of Strategic Service, ancêtre de la CIA) publié en 1944 pour contrer l’ennemi fasciste, qui a vu ses téléchargements (ebook gratuit du projet Gutenberg) monter en flèche.
Le mouvement MAGA

Revenons-en d’abord au mythe du mouvement MAGA (Make America Great Again) sur lequel Trump a surfé pour gagner. Il est basé sur l’idée d’une Amérique hégémonique, mais ne fait pas grand cas du modèle de développement maintenant dépassé, sur lequel cette puissance s’appuyait. Trump annonçait un “nouvel âge d’or” pour l’Amérique dans son premier discours après son élection. Ceci est une référence non pas aux “trente glorieuses” se terminant par la défaite au Vietnam, le Watergate, et la crise pétrolière, ni aux années 20 dont 1929 déjà annonçait la faillite du système, mais au “Gilded Age”. Cette période dorée du capitalisme, de l’industrialisation, de l’exploitation des ressources, de l’appropriation des terres indiennes meurtrière pour les peuples autochtones, et de l’expansion des pionniers vers l’Ouest, de l’accroissement démographique jamais égalé de la population blanche, a vu le décollage économique des États-Unis, de la fin de la guerre de Sécession jusqu’au début du XXe siècle, ainsi qu’un protectionnisme accru, avec des droits de douane élevés. C’est aussi l’époque des “self-made men”, ces entrepreneurs comme Andrew Carnegie (roi de l’acier) ou John Rockefeller (à la tête de la Standard Oil company) et des trusts financiers. Le monde selon Trump alors ? Il remet en effet en question les lois protectrices de l’environnement, veut rétablir la fracturation hydraulique sur des zones indigènes ou à préserver, et s’est acoquiné avec les entrepreneurs du moment de la Silicon Valley, Elon Musk aux manettes pour réduire les dépenses publiques, et Mark Zuckerberg, patron de Meta, qui a dû céder (sous pression ?), en renonçant au contrôle des données des réseaux sociaux qu’il dirige, brouillant davantage encore la frontière entre le vrai et le faux.
Les procès
Rajoutons à cela les nombreuses casseroles aux fesses pour lesquelles la justice a voulu inculper le nouveau président en exercice. Premier président depuis l’existence des États-Unis à être condamné au pénal dans l’affaire “Stormy Daniels” 1, les poursuites ont cessé car nuisant à la volonté de ses électeur·es et à sa prise de fonction, selon ses avocats, même s’il a été reconnu coupable. Un exemple de justice à plusieurs vitesses, recours dilatoires et autres tactiques qui permettent au personnage de s’en tirer. Depuis le scandale du Watergate, poursuivre un président en exercice ne peut entraver l’exercice de ses fonctions, tel que défini dans la Constitution. Le président voyou utilise la loi à ses fins, pour faire clore les dossiers, même si les juges les plus réfractaires, insensibles aux menaces, gardent précieusement dans leurs archives les minutes des procès.
Les femmes
Et dans tout cela les femmes ? D’abord notons le parallèle entre exploitation capitaliste des ressources et appropriation du corps des femmes. Le “lapinisme phallocratique” (expression utilisée par l’autrice française Françoise d’Eaubonne) impose aux femmes des grossesses non désirées. Il n’y a qu’à voir la régression sur le droit à l’avortement aux États-Unis, due en grande partie à la nomination à vie de juges conservateurs à la Cour Suprême, juste avant le départ de Trump. Les commentaires salaces ou provocateurs de Trump, “Grab them by the pussy” (prends-les par la chatte), dévoilent un sexisme sans complexe, qui a réussi à faire descendre dans la rue en 2017 des milliers de femmes, coiffées d’un bonnet en forme de foufoune 2. Pendant la dernière campagne présidentielle, Kamala Harris reprenait une réplique de Donald Trump affirmant qu’il protégeait les femmes “qu’elles le veuillent ou non” : “Il pense qu’il peut décider de ce qui relève de votre propre corps, que vous le vouliez ou non”.
Enfin, après la victoire de Trump le message féministe “mon corps mon choix” a été détourné par des masculinistes toxiques sur les réseaux sociaux : “ton corps mon choix” clamaient-ils, attisant chez les jeunes femmes une réaction violente. Un grand nombre d’entre elles se réclament désormais du mouvement 4B, originaire de Corée du Sud. Pour échapper à la pression patriarcale, elles décident de se libérer des normes de genre en refusant de se marier avec des hommes (bihon en coréen), de ne pas sortir avec des hommes (biyeonae), de ne pas avoir de relations sexuelles avec des hommes (bisekseu), et de ne pas avoir d’enfants (bichulsan), ce qui paraît excessif, mais correspond bien à l’extrême polarisation opérée depuis que Trump sévit. Les messages tels que : “Tu as voté Trump et bien maintenant tu peux toujours baver, tu ne coucheras pas avec nous” ont afflué.
Le déclassement social
Comment alors un tel mépris de l’électorat féminin a-t-il été possible ? Il faut savoir que les présidentielles sont l’occasion de voter à divers échelons aux États-Unis. Des femmes ont à la fois voté Trump, pour des raisons économiques, et pour l’avortement au niveau de leur État, dans une stratégie à court terme correspondant à un sentiment général de déclassement et de baisse du niveau de vie. La classe ouvrière n’est pas à une contradiction près, lorsque même les minorités noires et latinos ordinairement démocrates ont voté Trump. Bernie Sanders, instigateur d’une renaissance de la gauche américaine accuse les démocrates (l’establishment dont fait partie Kamala Harris, les personnes ayant bénéficié d’une formation universitaire et faisant partie de l’élite du pays) d’avoir abandonné la classe ouvrière. Les attaques de Trump contre les démocrates ont porté leurs fruits. “Vivez-vous mieux qu’il y a quatre ans ?” haranguait le candidat républicain lors de ses meetings.
Les trans
Nous observons aussi des attaques contre les migrant·es (qui “volent” les emplois) présenté·es comme l’ennemi extérieur, et contre les trans et les transitions de genre. Des spots de campagne du républicain insistent sur ce qu’il présente comme un phénomène mettant en danger l’Amérique (l’ennemi intérieur), “lorsque les hommes ne sont plus des hommes et les femmes ne sont plus des femmes”, essentialisant les personnes selon leur sexe biologique, ce qui a porté dans certaines franges de la population. Depuis 2023, sur les passeports, les citoyen·nes américain·es peuvent choisir “X”, ou un genre neutre, et 1976 correspond à la première inscription administrative d’un changement de genre aux États-Unis. Tout cela est maintenant contesté par le pouvoir en place. Une violence institutionnelle contre la fluidité de genre s’installe, contre le projet de signature de l’Equality Act (équivalent pour la minorité noire du Civil Rights Act de 1964). Les législateurs conservateur·es, féministes “naturalistes” et groupes religieux déposent des projets de loi anti-trans pour interdire toute avancée et attiser la haine. Ces forces réactionnaires s’attaqueront-elles en toute impunité à ces boucs émissaires ?
Quatre ans c’est très long pour celleux qui subiront des attaques de toute sorte. Il nous reste face à cette offensive à dénoncer les mensonges. Il n’y aura pas de retour à un “âge d’or” car les conditions de reproduction du miracle économique du “Gilded Age” ne peuvent se reproduire (massacre ou violence quasi-systématique contre des corps racisés, exploitation des ressources sans limites, colonisation de l’Ouest et afflux massif de population venue d’Europe, exclusion des femmes de la sphère publique,…). Sans l’immigration que Trump veut stopper, par le renvoi de Mexicain·es chez elleux, il ne peut y avoir non plus de prospérité économique. Son programme est donc risible, et ses électeurs et électrices risquent bientôt de se réveiller eux et elles aussi avec la gueule de bois.
Véronique Cozzupoli
- Actrice de porno soudoyée pour qu’elle ne dévoile pas au cours des dernières semaines de la première campagne de 2016 sa liaison avec le futur président. La mise en accusation était d’abord planifiée pour le 26 novembre 2024, avant la deuxième prise de fonction de Trump. Mais elle a été repoussée sine die depuis sa victoire du 5 novembre). ↩︎
- Explications de tricot sur demande pour prochaines manifs (écrire à la revue) ! ↩︎