Comme on peut le constater, et le vivre, de nombreuses femmes, de tous les âges, s’engagent pour l’écologie : que cela soit avec Extinction Rebellion, les Soulèvements de la terre, ou autres associations et mouvements. Ici comme ailleurs, les femmes sont très présentes dans ces luttes.
Cela nous amène à nous interroger sur ce qu’on appelle l’écoféminisme, courant de pensée philosophique et politique qui émerge dès l’année 1962 sous la plume de la biologiste Rachel Carson dans son livre : Printemps silencieux.
C’est une Française, Françoise d’Eaubonne, qui en 1974 a “inventé” le terme dans son ouvrage : Le féminisme ou la mort.
Contre le capitalisme et patriarcat
L’écoféminisme, c’est l’idée qu’il existe une étroite connexion entre écologie et féminisme : l’exploitation et la destruction de la nature par les humains et les dominations des femmes par les hommes sont les conséquences d’un même système, le patriarcat sur fond de capitalisme tout puissant.
En 1980, 2000 femmes encerclent le Pentagone et publient à cette occasion une déclaration d’unité, acte fondateur de l’écoféminisme. En Grande-Bretagne, des femmes occupent pendant près de 20 ans un camp militaire où sont stockés des missiles nucléaires avec la fondation de la communauté de Greenham Common, (écoféminisme et antimilitarisme !). Au Kenya, au Maroc, en Inde, en Amérique du sud, partout, des femmes s’organisent pour lutter contre la destruction des espaces naturels et vivriers, contre l’extractivisme, contre les pollutions et le changement climatique avec des outils comme les blocages, des occupations, de la désobéissance civile. Dans ce vaste mouvement cohabitent deux grands courants : un courant “marxiste”, un autre plus spiritualiste qui promeut la réappropriation des liens avec la nature par les femmes, réhabilitant la figure de la sorcière comme figure politique. Une forme d’essentialisme : la femme serait du côté de la vie, du soin donc protectrice de la nature.
Une dimension intersectionnelle
Un débat que Jeanne Burgart Goutal, professeur de philosophie à Marseille documente dans son ouvrage : Comprendre les liens pour politiser les luttes, et dans le roman graphique : Re.sisters.
Interrogée dans la revue Silence de juin 2023, elle va à l’origine de son engagement sur le sujet :
“Je me souviens avoir été frappée par le film de Coline Serreau : Solutions locales pour un désordre global. Elle y donnait la parole à une grande figure indienne de l’écoféminisme, Vandana Shiva, célèbre pour sa lutte contre l’agro-industrie et la libre circulation et l’utilisation des semences. Et puis aussi le couple d’ingénieur·es agronomes Bourguignon faisant le lien entre le développement de l’agro-industrie et la dégradation des conditions de vie des femmes dans le monde. Aujourd’hui, le terme est courant, pour moi il a une dimension holistique et intersectionnelle : on essaie de comprendre, de tenir ensemble l’articulation entre les systèmes de domination patriarcales, capitalistes, néocoloniales, capitalistes. C’est ambitieux : ce lien permet de politiser, de radicaliser les luttes. Alors se moquer quand on parle de règles, de lune, de terre, pourquoi ? Il y a un décentrement, un potentiel critique dans cela ! La limite, je la verrai plutôt dans le passage au réel : il y a un concours de radicalité dans les textes, le souci d’insister sur toutes les oppressions, sans en oublier aucune, mais après comment on passe aux actions concrètes ? Un renouvellement, avec la participation des hommes serait bienvenu : l’écoféminisme concerne tout le monde, il faut changer ensemble, mais hélas, le paysage militant reste souvent fragmenté. À suivre ! Concrètement, en 2021, on a pratiqué la désobéissance civile en refusant d’utiliser un logiciel de notes : Santorin. Apprendre collectivement des gestes de résistance, c’est utile. Et dans le système scolaire, soulignons une grande schizophrénie : on veut faire croire aux enfants qu’être écologiste c’est faire des petits gestes, de petites bonnes actions, tout en les équipant de tablettes. On constate combien l’imaginaire du « progrès » reste implanté”.
(Et la dépendance au mode de production et de consommation capitaliste, note de la claviste).
Le sujet est immense, et important. Cet écrit, comme la bibliographie ne constitue qu’une “proposition” qui ouvre sur d’autres articles, et reportages à écrire dans la Revue, à vos plumes !
Emmanuelle Lefèvre
À lire sur le sujet :
Les furtifs, A. Damasio, Gallimard, Folio Science-Fiction, 2019, 944 p., 12,60 €.
Un féminisme décolonial, Françoise Vergès, La Fabrique, 2020, 212 p., 12 €.
La puissance des mères, Fatima Ouassak, Points, 2023, 208 p., 8,95 €.
Dans l’œil du crocodile, Val Plumwood, Wildproject, 2021, 200 p., 20 €.
La subsistance, perspectives écoféministe, Maria Mies et Veronika Bennholdt, La Lenteur, 2022, 352 p., 24 €.
Focus : WOMIN.org.Africa, Johannesburg Il s’agit d’un collectif panafricain de résistances écoféministes. Il ne s’agit pas d’une ONG mais d’une alliance qui “donne la parole aux femmes pour qu’elles puissent se défendre, en particulier contre des projets miniers car très majoritairement ce sont elles qui cultivent la terre et qui connaissent et transmettent des savoirs autochtones” dit Kengne Djeutane, coordinatrice et économiste camerounaise. Au Burkina Faso, au Sénégal, des compensations ont été obtenues grâce à ce travail mais les multinationales s’organisent pour discréditer, menacer le collectif. En Ouganda, en Afrique du sud, des femmes ont été assassinées pour avoir pris la parole, mais ses membres continuent de tenter de faire contre-pouvoir en partant une vision alternative du développement.
Focus : “Le droit de l’environnement peut limiter le droit de propriété : agir pour le vivant.” Concernant la défense du vivant, comme on le voit dans différentes batailles, il y a au moins deux leviers : l’action sur site et au-delà (blocages, occupations, médiatisation, campagne…). Et le juridique. Sarah Vanuxem, juriste spécialisée dans les questions de propriété soutient que le droit français peut permettre de rendre les impératifs écologiques plus forts que ceux des propriétaires : “Le code de l’environnement commence par : les espaces, ressources et milieux naturels, les sites, les paysages, la qualité de l’air et de l’eau, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Selon un arrêt du 7 mai 2004, le propriétaire d’une chose ne dispose pas d’un droit exclusif, la dimension paysagère échappe à un propriétaire car cette dimension appartient au patrimoine commun de la nation. Donc, dans la mesure où la destruction des haies nuit à la biodiversité, l’utilisation de pesticides et engrais chimiques nuisent à la qualité des eaux et des sols, les agriculteurs qui s’y adonnent peuvent être assignés en justice, il faut s’appuyer sur cette disposition légale. Ce que je récuse c’est la vision de la propriété comme pouvoir de domination, voire de destruction, notons que le code napoléonien l’institue également pour les épouses.”