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Une équipe d’animation en lutte

Les raisons d’une colère. L’impérieuse nécessité de faire grève !

Avec mes collègues animatrices, animateurs nous travaillons dans un accueil de loisirs pour une (très) grosse association para-municipale, dans une grande ville qui se dit socialiste.

Nous étions déjà en grève les 14 et 15 décembre dans le cadre du mouvement national de défense du secteur de l’animation et de l’éducation populaire. Notre équipe sera de nouveau en grève mercredi 26 janvier 1, en plus du 27, jour d’appel interprofessionnel national pour les salarié·es. Heureusement un préavis couvrant tout le mois de janvier, émis par Sud Santé Sociaux, nous le permet.

À ce jour nous sommes 10 sur 14 à avoir cette intention. Impacter des accueils de loisirs du mercredi ce n’est pourtant pas anodin, certain·es d’entre nous ne sont pas du tout à l’aise avec ça. La grève, c’est aussi un vrai sacrifice pour nous : avec le peu de revenus qu’on nous concède, la plupart ne peut que survivre. La direction générale ne voit pas le problème car on gagne le SMIC. Elle feint d’ignorer que nous sommes à temps incomplet imposé. Dans son logiciel, on a forcément dû le vouloir ou bien ce n’est pas son problème.

Nous sommes essentiel·les à la bonne marche de la société sur le plan économique et sanitaire mais on gagne une misère. Sinon, normalement notre cœur de métier est éducatif, pédagogique et social mais comme pour tous les autres services publics, les moyens nécessaires ne sont plus là. On fait ce qu’on peut, et il reste la communication. On est un certain nombre à ne toujours pas manger de ce pain-là, mais là-haut ils font ça très bien.

Je vais éviter de trop m’étendre sur la question de la gestion de la crise sanitaire. Si je veux donner un seul exemple représentatif, disons que depuis deux ans, sous couvert de posture éducative, on n’a toujours pas jugé bon de nous proposer une autre modalité de prise en charge faisable pour tout·es celles et ceux qui voudraient s’abstenir de manger “gratuitement et volontairement bien entendu” à la cantine collé·es et serré·es avec les enfants, donc presque tou·tes le font.

Au moment de la réforme des rythmes scolaires, notre temps de travail annuel sur contrat a été réduit, dommage collatéral. Par contre, il y a toujours des heures complémentaires ou supplémentaires, inhérentes au fonctionnement régulier du service, que certain·es doivent faire “volontairement” : acheminements, accueils péri-centres, et accueil des enfants des écoles privées n’ayant pas d’école le mercredi matin. Ces accueils dits “exceptionnels” mobilisent obligatoirement certain·es d’entre nous plusieurs heures par semaine. Exceptionnel ça veut dire tous les mercredis, cherchez l’erreur, et quid du salaire différé sur ces heures…

Pendant la crise sanitaire les modalités de recrutement ont été particulièrement rocambolesques, au risque de mettre à mal le premier rôle des animatrices et animateurs : assurer la sécurité physique et affective des enfants. Formation nécessaire ? Pédagogie ? Modalités sanitaires ? Moyens supplémentaires ? Risques psychosociaux ? Comment dire… faites au mieux tant que ça a l’air fun, On n’a pas le temps, il me manque encore du monde, là… et là…, qui connaît quelqu’un ? Avec la DSP (Délégation de Service Public) rien ne devrait jamais menacer le fonctionnement de la garderie du Medef. Tant qu’on ne perd pas un enfant, ça s’est bien passé. On ne l’a jamais aussi clairement vu.

Sous-payé·e, maltraité·e, exploité·e

Notre employeur de droit privé, délégataire de service public, emploie donc à qui mieux mieux des salarié·es parmi celles et ceux qui sont maintenu·es en situation de dépendre de ces contrats indignes. Le sous-prolétariat normalement reste invisible et doit juste prendre l’air d’aimer sa situation et jurer allégeance quand on daigne lui accorder l’honneur de quelque rôle utile à jouer pour des peccadilles, alors qu’il serait si facile le renvoyer nager dans le vivier pour lui apprendre à se révolter.

Avoir faim ne se conjugue pas au futur, avoir un loyer à payer non plus. Le salaire différé et les droits acquis ne peuvent rien y changer. C’est une des raisons pour lesquelles le logiciel des syndicats a souvent peu de prise sur notre secteur.

C’est un énorme sacrifice pour nous la grève, mais la dureté des pratiques managériales réussit quand même à nous précipiter vers cette seule issue. L’épuisement et l’exaspération affectent nos vies et notre travail mais nous voyons de plus en plus clair dans ce qu’on nous fait vivre. 

La stratégie d’instrumentalisation de la pédagogie, des besoins de l’enfant ou de l’émancipation et de l’éducation populaire quand de moins en moins de moyens nous sont laissés pour les mettre en œuvre en réalité, cette manipulation n’a plus de prise sur nous. Le chantage à la formation et à l’évolution professionnelle qui n’existe en fait qu’au compte-goutte et sous réserve de docilité ne marche plus. Le sermon à la sauce de la mauvaise conscience professionnelle non plus. Les injonctions à la flexibilité, à l’adaptabilité quoiqu’il nous en coûte parce que ce serait notre identité professionnelle, notre engagement, ça ne marche plus.

Ces deux dernières armes managériales deviennent inopérantes dès qu’on ne se laisse plus individualiser, dès qu’on ne garde plus pour soi les reproches qui nous sont faits.

L’improvisation et l’organisation en temps réel hors temps de travail et par nos moyens de communication et réseaux personnels… il faut arrêter. L’obligation de polyvalence, sans contrepartie ni moyens supplémentaires, il faut refuser. Sans blague, pour si peu il faudrait être animateur·trices, et en plus “éduc” dès qu’on a des enfants qui vont très mal mais personne en plus dans l’équipe, éventuellement remplaçant·e personnel·le de cantine quand il en manque, remplaçant·e directeur·trice s’il le faut… Par contre sans jamais aucune contrepartie : vo-lon-taires je vous dis. Même les collègues en formation de direction qui ont sauvé les meubles à plusieurs reprises quand c’était le directeur qui manquait à l’appel ont du mal à faire valider leur stage, surtout si militant·e et/ou syndiqué·e.

L’acceptation de telles conditions de travail serait déraisonnable, insensée, et même pour celles et ceux qui voudraient bien faire encore plus, c’est devenu impossible.  Maintenant il est clair que nous pourrons bien travailler uniquement si on nous en donne les moyens, si les formations et le recrutement sont à la hauteur des besoins, si on nous respecte et rémunère en tant que travailleurs et travailleuses dignes.

Temps de travail alourdi

Au lieu de ça, notre employeur mécontent entend   nous imposer une nouvelle répartition de l’équipe et de nos temps de réunion en plein milieu d’année. Nous avons le choix entre deux “souhaits” sur un coupon-réponse prévu par la hiérarchie : changer de centre, sous-entendant au passage que celles et ceux dont on prendrait la place devraient aussi “souhaiter” venir à la nôtre, ou bien rester où nous sommes mais accepter de nous bloquer une demi-journée supplémentaire par semaine trajets compris pour seulement 1h 30 rémunérée. Ce temps de travail déplacé allégerait notre journée du mercredi donc nous ferait probablement perdre aussi une pause, sauf pour les “volontaires” de l’accueil exceptionnel des écoles privées.

Nous avons répondu à notre hiérarchie par une lettre commune que ce serait actuellement impossible pour certain·es d’entre nous et dégraderait la situation de certain·es autres, que cela nous précariserait encore plus et ne nous permettrait pas de concilier nos autres impératifs.

Nous lui répondons aussi qu’on ne peut travailler dans l’humain envers le public, comme ils le disent si bien, mais refuser aux salarié·es le droit à la sécurité dans leurs conditions de travail. Nous répondons que tout employeur doit être garant de la bonne santé physique morale psychique de ses employé·es, s’assurer qu’iels puissent vivre décemment de leur travail et ne pas les mettre en insécurité économique grave.

Nous lui signalons l’improvisation que cette décision pourrait encore ajouter au fonctionnement des deux centres concernés, surtout en cette période particulièrement fatigante vu les problèmes incessants posés à tou·tes par le contexte sanitaire. Nous lui rappelons les notions de continuité des projets et de suivi auprès des enfants ainsi que l’importance des relations de travail engagées avec nos collègues pour continuer ce qui est prévu   dans chaque groupe d’enfants… Bref il faut tout leur expliquer, nous faisons de la pédagogie. Nous sommes trop bons, mais pas trop bêtes quand même, alors nous devons faire aussi : LA GREVE.

Elise B.

  1. Finalement le 26 janvier : 6 en grève, 6 en arrêt, et pas tou·tes à cause du Covid… ↩︎