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Les directions syndicales maîtrisent-elles la démarche scientifique ? (2nde partie)

Covid19 à l’école : 

Ci-dessous la seconde partie de l’article de Laure Jinquot publié dans L’Émancipation syndicale et pédagogique de février. https://emancipation.fr/la-revue/numero-6-mars-2022/les-syndicats-maitrisent-ils-la-demarche-scientifique/

Signer avec des acolytes de patrons

Dans l’un des communiqués, le SNUipp se réfère à une tribune publiée dans Le Monde le 7 décembre 2021 1, suite à la modification du protocole sanitaire par Blanquer dans les écoles (fin de la fermeture d’une classe si un cas positif, tout élève présentant un test négatif peut dorénavant rester en cours). Sans juger de la demande de retour à l’ancienne règle, cette tribune interpelle sur deux points.

La première est l’association, parmi les signataires de cette tribune, de certaines personnalités peu fréquentables avec des responsables syndicaux (SNUipp, Sud éducation et SNALC) censés défendre les droits des personnels. On y trouve par exemple Philippe Moreau Chevrolet cofondateur et président de MCBG Conseil, une société de conseil en communication et stratégie d’influence des cadres d’entreprise (présenté dans la tribune comme “professeur de communication politique à Sciences Po Paris”, où il ne fait que dispenser quelques cours !), Gilbert Deray, néphrologue habitué des plateaux télé, ayant reçu plus de 160 000 euros, en nature ou espèces, de l’industrie pharmaceutique…

Absence de rigueur scientifique ou fraude

La seconde concerne deux données chiffrées. La tribune analyse “la cinquième vague d’épidémie” en se fondant sur un “taux d’incidence jamais atteint chez les élèves de primaire et deux fois plus important que l’ensemble de la population”. Comme on l’a vu précédemment, utiliser le seul paramètre de taux de cas positifs pour analyser une épidémie ne témoigne d’aucune rigueur scientifique (aucun article scientifique ne pourrait être publié sur l’utilisation de cette seule valeur). En outre, la tribune ne daigne même pas préciser que sous le terme de “taux d’incidence” elle entend taux de cas positifs et non taux de malades : rappelons qu’avant l’apparition du Covid19 le “taux d’incidence” indiquait un taux de malades et non un taux de cas positifs (comme on peut le lire dans le Larousse ou le Robert, à “incidence”, sous l’item “médecine” 2. Ne pas préciser, c’est entretenir une confusion qui ne peut être anodine.

L’autre donnée chiffrée est celle de la dernière étude ComCor réalisée par l’institut Pasteur 3 qui “montre par ailleurs qu’avoir des enfants scolarisés dans son entourage proche augmente le risque d’être contaminé de 40 % en élémentaire et de 60 % en maternelle”. Or cette étude ne dit pas cela ! Elle conclut à une association entre deux paramètres : l’augmentation du risque d’être contaminé de 40 % et 60 % et le fait d’être un parent “de 40 ans et plus” ayant un enfant en élémentaire et en maternelle respectivement ; et pour les parents de moins de 40 ans, l’étude donne un risque diminué. La tribune du journal Le Monde, en omettant de mentionner l’âge de la population concernée, donne ainsi une information frauduleuse d’un point de vue scientifique. De même en est-il lorsqu’elle transforme le résultat de l’article, une association entre deux paramètres, en une causalité entre ces deux paramètres. De fait, l’étude ComCor est fondée sur des données de questionnaires remplis par des personnes infectées puis traités numériquement. Elle ne peut ainsi montrer de causalité entre des paramètres mais seulement des associations. En outre ces questionnaires ont été menés lors d’infections ayant eu lieu entre mai et août… Comment les signataires de la tribune peuvent-ils oser utiliser de telles données obtenues en partie pendant les vacances scolaires, et les utiliser pour critiquer un protocole sanitaire… dans les écoles ?

Des omissions récurrentes

Ce n’est pas la première fois que, dans le cadre de la crise du Covid19, le SNUipp co-signe une tribune dont la démarche ne présente aucune rigueur scientifique. On peut citer notamment une autre tribune du Monde, datant du 19 août 2021, alertant sur l’arrivée du variant Delta dans les écoles 4. Dans cette tribune aucune source, aucune référence scientifique n’est fournie aux assertions avancées, et nombre de paragraphes sont construits par accumulation de données de différents lieux sans préciser les contextes, et sans nuance. La lecture de la tribune donne l’impression d’une plus forte virulence du variant Delta chez les enfants. Et sur cette base, elle critique la décision de Blanquer de faire la rentrée de septembre avec un protocole sanitaire de niveau 2, demande un niveau 3 ; et explique clairement que, à ce jour, le masque ne pourrait être retiré en école élémentaire (niveau 1).

Outre ces manques de rigueurs scientifiques et de nuances, l’argumentaire visant à dresser un tableau de l’épidémie se fonde sur le triptyque : taux d’incidence (taux de cas positifs), taux ou nombre d’hospitalisations (rapporté au nombre de cas positifs) et séquelles. Comme indiqué plus haut, seuls les deux derniers paramètres peuvent donner une information sur la maladie, et sa gravité, mais encore faudrait-il, pour cela, pouvoir comparer avec… d’autres maladies. Ce que la tribune se garde bien de faire. De plus, pour conjecturer l’impact de cette maladie à l’échelle d’une population (ici les enfants), il faudrait connaître l’état du système immunitaire des enfants. Et là encore, aucun mot sur les recherches immunitaires effectuées par nombre d’équipes dans le cadre du Covid19, et qui sont plutôt très encourageantes (par exemple : une infection induit une réponse immunitaire robuste chez la majorité des individus et, aux États-Unis, il a été estimé que 35 % des enfants de 0 à 17 ans avaient été infectés en septembre 2021 5).

Ainsi des données de la littérature entrent en porte-à-faux avec une virulence de la maladie chez les enfants (que des médecins signataires de la tribune du Monde continuent à avancer en décembre) : une étude suédoise de Ludvigsson ne constate aucun décès et une faible incidence des formes graves de Covid19 sur près de deux millions de jeunes (âge de 1 à 16 ans), sans pratiquement aucun confinement ni masque ; une autre étude, anglaise, estime à 3,1 % le taux de Covid long (présence de symptômes plus de 28 jours) pour une primo-infection avec symptômes pour les 5-11 ans (contre 5,1 % pour les 12-17 ans, sachant en outre que beaucoup font des infections asymptomatiques) 6.

Un minimum d’honnêteté scientifique devrait amener tout médecin à citer ses sources et à prendre en considération l’ensemble des données de la littérature, quitte à les critiquer. Et il est extrêmement dangereux pour des directions syndicales de prendre partie pour tel ou tel courant médical dans le cadre d’un débat qui est loin de faire l’unanimité et qui peut être utilisé de façon néfaste pour les enfants.

Pression vaccinale ?

Le suivi du taux de cas positifs (“taux d’incidence”) dans les établissements scolaires ne semble pas alarmer de la même façon les différents syndicats de la FSU : alors que le SNUipp-FSU sonne l’alarme, le Snes-FSU, qui syndique les personnels enseignant en collège et lycée, reste silencieux. Pourtant, le taux d’incidence des 11-14 ans, entre le 8 novembre et le 2 décembre, suit de près celui des 6-10 ans, et leur taux de positivité est supérieur (taux de dépistage légèrement moindre). Comment alors expliquer l’absence de réaction du Snes-FSU ? Est-ce que parce que, à la différence des élèves de primaire, les jeunes de collège sont en grande partie vaccinés ? Devrait-on comprendre que le SNUipp-FSU par ses communiqués et tribunes souhaiterait influer sur la vaccination des enfants ?… ou que les Snes-FSU est inconscient de la gravité de la situation en collège ?

La position du SNES et du SNUipp, et au-delà de la FSU, relèvent d’un double langage concernant la vaccination. Officiellement, la FSU est opposée à l’obligation vaccinale pour les personnels salariés et soutient l’accès à la vaccination pour tous et toutes, élèves et personnels. Or, dans le contexte actuel de la loi qui transforme le “pass sanitaire” en “pass vaccinal”, la FSU reste muette. Tout comme elle ne revendique pas l’abrogation de la loi du 5 août (liberticide et qui impose la vaccination obligatoire pour le personnel soignant). Sollicitée par exemple par un collectif de PsyEN (Psychologues de l’Éducation nationale) à qui on impose l’obligation vaccinale, la FSU demande une modification des textes pour que les personnels PsyEN suspendus puissent retourner au travail 7.

Des positions piétinant la démarche scientifique

Ainsi le SNUipp-FSU, avec d’autres syndicats, analyse la situation sanitaire dans les écoles en s’appuyant sur des paramètres biaisés (taux de cas positifs, taux d’hospitalisation sans comparaison avec d’autres maladies), en assimilant tout élève positif à un test à un élève malade et contagieux (ce qui est faux), en s’appuyant sur certaines données non sourcées, parfois falsifiées, et en omettant de mentionner certains domaines de recherche et leurs résultats. C’est sur la base de ce piétinement de toute rigueur et démarche scientifique que le SNUipp formule des revendications de campagne hebdomadaire de tests dans les écoles, de fermeture de classe pour un cas positif et de maintien du port collectif du masque.

Ce piétinement de la démarche scientifique peut avoir plusieurs causes : une incompétence totale des syndicats d’un point de vue scientifique, une alliance avec des individus présentant des conflits d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, des liens politiques avec une partie de la bourgeoisie, et une soumission de l’appareil syndical à la politique de Macron.

Il est ainsi urgent que les directions syndicales cessent toute compromission et soumission à certains groupes de médecins et scientifiques (parfois liés l’industrie pharmaceutique) et au gouvernement de Macron. Urgent que les syndicats mettent en place leur propre veille sanitaire dans les écoles, de façon indépendante, pour évaluer par eux-mêmes la situation (et publier leurs propres données) et pouvoir formuler les revendications adaptées aux besoins des enfants, des enseignants et de tout le personnel intervenant dans les écoles.

D’un point de vue pédagogique, les campagnes hebdomadaires de tests, les fermetures de classe, le port collectif du masque sont néfastes pour les enfants comme pour le personnel.

D’un point de vue scientifique, il n’y a aucun consensus sur le port collectif du masque à l’école par les enfants (en intérieur ou en extérieur) 8, sur les fermetures de classe ou l’isolement d’élèves en cas de tests positifs, sur les campagnes hebdomadaires de tests.

Au sein des syndicats, l’omerta doit cesser : il est urgent que s’ouvre au sein de la FSU des débats sur la situation dans les écoles et sur l’ensemble des résultats des scientifiques  ayant travaillé sur les enfants dans le cadre de la crise du Covid. De façon ouverte, sans enfermer les personnels enseignant dans telle ou telle catégorie voulue par le gouvernement, sans stigmatisation. Un tel dialogue est nécessaire pour s’opposer à la politique de division du salariat voulue par Macron et accrue sous prétexte sanitaire, par l’instauration de “pass” et de l’obligation vaccinale de certaines professions, que les syndicats doivent combattre. Il est urgent que les syndicats renouent avec leur rôle historique : unir les salariés contre toutes les formes de division.

Laure Jinquot

  1. Revenir à la raison pour maintenir les écoles ouvertes, Le Monde, 7 décembre 2021 ↩︎
  2. Le Robert : Incidence, Médecine “Nombre de cas nouveaux d’une maladie déclarés dans une population pendant une période donnée. Taux d’incidence”. ↩︎
  3. Grant R, 25/11/2021, The Lancet. ↩︎
  4. Face à un variant Delta fortement contagieux et circulant intensément chez les enfants et les adolescents, une action ferme est attendue, Le Monde, 19/08/2021. ↩︎
  5. De très nombreux articles font état de la robustesse de la réponse immunitaire suite à une infection, d’un point de vue protection et durabilité. On peut citer notamment : Jackson Turner et al., 24/05/2021, Nature et Gaëlle Breton et al., 12/08/2020, bioRxiv, Estimation du taux de 35 % par la CDC (Center fo Disease Control and Prevention). ↩︎
  6. Étude suédoise : Ludvigsson J, NEJM, 06/01/2021 ; étude anglaise :  Molteni E, The Lancet, 01/10/2021. ↩︎
  7. Communiqué du 16 décembre 2021 : https://www.snes.edu/article/soutien-du-snes-fsu-et-snuipp-fsu, Sources SNES : “Soutien du SNES-FSU et SNUipp-FSU à la Lettre ouverte du Collectif des Psychologues de l’Éducation nationale « pour le droit d’exercer notre métier »”. ↩︎
  8. Par exemple l’étude effectuée par la CDC dans des écoles de Géorgie ne trouve pas de différence significative entre les incidences de cas positifs d’élèves dont les écoles imposent ou non le port du masque (Gettings J, 21/05/2021, CDC). ↩︎