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Du Harem ou de la distribution des rôles

Comme le dit et redit si bien Jacques Rancière, l’établissement de l’égalité – ou plutôt son rétablissement puisque l’égalité des capacités est au départ – est un combat universel et de tous les instants.

Il s’agit de subvertir la distribution des rôles assignés, institués pour certain·es depuis des siècles.

Pour reprendre le titre de l’essai de 1968, Ouvrir la cage, on n’a jamais fini d’ouvrir celle(s)-ci.

Les hommes dans leur majorité sous des formes plus ou moins brutales, cherchent pour leur sécurité psychique et l’entretien du sentiment de confiance en eux, en leur capacité de maîtrise de toute situation qui va de pair avec la supériorité que leur attribue la société, à reconstituer un harem symbolique.

Dans ce harem, les femmes occupent elles aussi des places bien définies et constituent dans leur ensemble un éventail très ancien : il y a les “fragiles”, les faibles qui ont besoin de secours et l’attendent du monde masculin, et il y a les prétendues fortes, indépendantes voire “intellectuelles”, qui tentent de s’affirmer comme êtres à part entière – disons le mot : les féministes ! Celles qui croit-on se suffisent et auxquelles on ne doit rien.

Tant que chacune reste à sa place, tout va bien : l’équilibre instauré permet même à l’homme de s’adjoindre une troisième compagne qu’il fréquentera non plus pour le sentiment, comme la première, l’intelligence et une certaine position sociale qui le valorise lui-même pour la seconde, mais pour la passion, intense, sans perspective de durée (au moins les premiers temps).

La perversion surgit quand pour améliorer l’équilibre de cette situation parfois acrobatique, il tente d’établir des passerelles entre ces femmes. Notamment celles qui sont les piliers majeurs de la construction durable : cela peut prendre la forme d’une demande d’aide à la plus “forte” à l’égard de la plus fragile ; moins au bénéfice de celle-ci qui y gagnerait un peu qu’au sien, le soulageant d’une partie du fardeau d’assistance qui l’aliène lui aussi, l’emprisonne.

Le nouveau lien qu’il tente d’instaurer sans aucun profit pour la “forte”, mais à son détriment, risquant de l’embarquer sur la mer incertaine d’un duo qui ne la concerne pas – ce qui s’appelait “tenir la chandelle” – où dans un esquif en passe de naufrage l’homme élude un engagement total, cherchant moins à fortifier la faible qu’à limiter pour lui le risque d’affaiblissement, alléger une charge dont il est las mais ne peut se défaire tant elle le convainc qu’il est indispensable. Justifiant cette impuissance par le “désir de ne pas faire de mal”… mais à qui ? À la fragile ou à lui-même, menacé alors de solitude ?

Il est difficile pour chacune d’entre nous de jouer notre partie le plus librement possible sur l’échiquier affectif tant les hommes, épaulés par le système entier, même quand ils disent aimer, ont le réflexe de nous utiliser à assurer leur confort affectif et leur avantage social.

Marie-Claire Calmus

  • Ouvrir la Cage, éditions Rafael de Surtis, 2008.