Le 8 mai 1945 a été à la fois la date de la capitulation de l’Allemagne nazie et le jour des massacres de Sétif et Guelma perpétrés par l’armée coloniale française. La barbarie n’était pas morte.
“Plus jamais ça”
Cela a été le cri de millions d’êtres humains après les horreurs de la Deuxième guerre mondiale. Des États, des armées, des systèmes politiques ont été vaincus, mais pas les idées qui les ont fait vivre : le racisme, le colonialisme, les suprématismes, le nationalisme, le militarisme, l’exploitation capitaliste, le populisme, la fabrication de romans nationaux meurtriers, l’utilisation de boucs émissaires, le mépris de la vie humaine…
“Plutôt Hitler que le Front populaire”, c’était la devise de bon nombre de capitalistes. À peine affaibli, le capital a repris le pouvoir, laissant à l’État le soin de relancer l’appareil productif pour s’en emparer dès qu’il est devenu rentable.
Pendant longtemps, les régimes d’extrême droite dictatoriaux ayant aboli l’état de droit, avaient une histoire particulière. Les dictatures sud-américaines, indonésienne, espagnole ou portugaise, c’était pour endiguer toute montée du communisme, réel ou supposé. Les régimes africains à parti unique, souvent gouvernés par des oligarchies héréditaires, c’était le moyen pour l’ancien colonisateur de conserver son pré carré.
Mais, en Occident, l’extrême droite restait marginale et était considérée comme infréquentable.
Aujourd’hui, dans le monde, de très nombreux pays se sont donnés, souvent au départ par des élections libres, des gouvernements qui ne s’étaient pas affirmés au départ comme d’extrême droite, et qui ont, une fois au pouvoir, détruit patiemment toute forme de contre-pouvoir. La liste est longue : Turquie, Hongrie, Pologne, Inde… Des partis de gouvernement, souvent d’inspiration libérale, se sont donnés des dirigeants particulièrement brutaux (Trump, Johnson). Des pays qui ont eu des régimes fascistes n’en ressortent apparemment pas vaccinés (Brésil, Italie…). En France, en Autriche, en Suède, en Flandre, l’extrême droite obtient des scores électoraux flatteurs.
Pour aboutir à cette poussée brune, il y a bien souvent des classes ouvrières qui ont subi des défaites majeures, des partis de gauche gagnés au libéralisme ou incapables d’esquisser une alternative, une parole qui n’a jamais été dite sur les crimes du colonialisme et le racisme systémique. Il y a aussi des forces cléricales qui imposent violemment leur obscurantisme. Enfin, bien souvent, les pauvres soutiennent l’extrême droite. C’est elle qui incarne le refus du statu quo en proposant des méthodes expéditives contre les exclu·es.
Israël : une hégémonie qui vient de loin.
Les mythes de “l’État juif et démocratique”, de “la seule démocratie du Proche-Orient” ou de “l’armée la plus morale du monde” n’ont plus comme adeptes que quelques propagandistes agressifs. Des personnalités qui n’ont rien trouvé à redire sur le nettoyage ethnique prémédité qui a abouti en 1948 à la création d’Israël ont alerté depuis longtemps sur une “fascisation” du pays qu’il est de plus en plus difficile de nier. Dès les années 1980, le philosophe Yeshayahou Leibowitz parlait de “mentalité nazie” pour décrire ce que la colonisation de la Cisjordanie produisait. Le journaliste Charles Enderlin a parlé de “rêve brisé”. Peu avant sa mort, l’historien Zeev Sternhell comparait l’évolution d’Israël à celle de l’Allemagne des années 1930. Et la sociologue Éva Illouz considère que la troisième force politique en Israël est constituée de “fascistes juifs”.
Pour qu’une idéologie devienne hégémonique, elle a besoin d’un terreau et d’une histoire à laquelle se référer.
Le terreau, c’est avant tout l’idéologie sioniste, réponse terrible à l’antisémitisme.
Le sionisme est une théorie de la séparation entre Juif·ves et non Juif·ves. “Nous constituerons là-bas [au Proche Orient] un morceau de rempart contre l’Asie. Nous serons la sentinelle avancée de la civilisation contre la barbarie” écrivait Theodor Herzl dans son œuvre majeure L’État des Juifs à la fin du XIXe siècle.
Pour celles et ceux qui s’étonnent des amitiés actuelles entre dirigeants sionistes et antisémites avérés, il faut savoir que le phénomène est ancien : Theodor Herzl entretenait de bons rapports avec Édouard Drumont, l’empereur Guillaume II ou Plehve, ministre du tsar et organisateur de pogroms, qui partageaient avec lui le désir que les Juif·ves quittent l’Europe.
Le sionisme a fabriqué un roman national meurtrier. “Ce pays est à nous. Nous avons été exilés il y a 2000 ans. Nous rentrons chez nous” dans une “terre sans peuple pour un peuple sans terre” (expression attribuée à l’écrivain britannique Israël Zangwill). Du coup le sionisme sera d’entrée un “colonialisme de remplacement” ayant comme projet l’expulsion des autochtones.
Le sionisme a copié ce qui était en vogue à l’époque : des nationalismes exclusifs, prônant la pureté ethnique. Mais le sionisme est un nationalisme particulier qui a inventé le peuple, la langue et la terre. Là où d’autres idéologies ont fini par échouer, le sionisme a fabriqué un “Homme nouveau”. Il était inéluctable que “l’État juif” se donne comme dirigeants les brutes racistes qui sont aujourd’hui à sa tête.
Pourtant l’extrême droite a été minoritaire jusqu’à 1977 en Israël et dans les institutions sionistes. Conquérir et occuper un territoire contre ceux et celles qui l’habitaient nécessitaient une organisation collective (le syndicat Histadrout, les kibboutz, les banques, les compagnies de transport ou de travaux publics…). La “gauche sioniste” a joué ce rôle historique avec la complicité du colonisateur britannique.
Minoritaire, l’extrême droite sioniste qui s’est elle-même intitulée “révisionniste” a été d’entrée violente. En 1920, son fondateur, Vladimir Jabotinsky, soutient le dirigeant ukrainien pogromiste Petlioura. En 1933, les révisionnistes assassinent un dirigeant travailliste Haïm Arlozoroff. Ils vont vite être fascinés par les dictatures qui s’installent en Europe. La veille de la Deuxième guerre mondiale, la radio des révisionnistes est à Civitavecchia et les nervis du Bétar s’entraînent militairement dans l’Italie fasciste.
Dès 1936, les groupes terroristes Irgoun puis Lehi (qui ont été dirigés par deux futurs Premiers ministres Menahem Begin et Yitzhak Shamir) se lancent dans un terrorisme particulièrement meurtrier contre la population civile palestinienne. Quand la Grande Bretagne décide de limiter l’immigration juive (1939), ces groupes lui déclarent la guerre. Le Lehi assassinera des soldats et des dignitaires britanniques alors que l’extermination des Juif·ves est en cours en Europe. Il fera des offres de collaboration à l’Allemagne nazie. Après 1945, les attentats se multiplieront contre les Palestinien·nes, contre les Britanniques et même contre les Juif·ves “déloyaux” qui faisaient rouler les trains ou marcher la poste.
Ce qui caractérise déjà l’extrême droite à cette époque, c’est qu’elle n’est pas jugée infréquentable. C’est l’Irgoun et le Lehi qui réalisent le massacre de Deir Yassine, mais c’est la Haganah (armée officielle, ancêtre de Tsahal) qui occupe le village. C’est le Lehi qui assassine le Comte Bernadotte (représentant de l’ONU) en 1948, mais les amis des assassins sont inclus dans le premier gouvernement d’Union nationale d’Israël. Cette complaisance n’a pas eu lieu dans la communauté juive états-unienne où les plus grands intellectuels (Einstein, Arendt…) ont signé à l’époque une pétition contre Begin, qualifié de “fasciste”.
La conquête
Aux premières élections israéliennes en 1948, la “gauche sioniste” dépasse les 52 % des voix alors que le parti de Begin n’a que 12 %. Trente ans plus tard, Begin prend le pouvoir et les héritiers de Jabotinsky ne le quitteront plus, sauf de façon très éphémère.
Le facteur déclenchant, c’est la conquête de 1967. La responsabilité des travaillistes est totale. Cette attaque était préméditée depuis 1948. Jusque-là, la grande majorité des Palestinien·nes ayant été expulsé·es, il était facile de donner à ceux et celles qui avaient échappé au nettoyage ethnique le droit de vote et une forme de sous-citoyenneté (18 ans de couvre-feu quand même et le vol de la plupart des terres). Le nombre des “Arabes” (on ne disait jamais “palestinien”) ne menaçait pas l’État ethnique qui s’était installé. Après 1967, il y a quasiment autant de Juif·ves israélien·nes que de Palestinien·nes entre Méditerranée et Jourdain. Ce sont les travaillistes qui vont décider de coloniser la Cisjordanie, qui vont annexer Jérusalem-Est et qui vont organiser la fragmentation de la Palestine. Ce sont eux qui vont décréter qu’il est hors de question de revenir aux frontières d’avant 1967 que le ministre des Affaires Étrangères de l’époque Abba Eban qualifiera de “frontières d’Auschwitz”. L’apartheid existait avant 1967, il était masqué. Les crimes de guerre ou les crimes contre l’Humanité existaient (Deir Yassine, Tantura, Kafr Kassem…), ils étaient niés ou qualifiés de bavures. Après 1967, Israël ne peut plus se présenter comme une victime qui a eu à se défendre ou un havre de paix pour Juif·ves persécuté·es. C’est devenu un État colonial féroce niant l’existence, les droits et la dignité du peuple colonisé. Pour cette tâche, l’extrême droite est totalement à l’aise.
Les religieux
La religion juive, la plus ancienne et donc la plus archaïque des religions monothéistes, est une religion messianique. Pour les religieux, le peuple (juif) est exilé tant que le Messie n’est pas arrivé. Jusqu’en 1967, la majorité des “haredim” (Juif·ves orthodoxes) avaient une conception non territoriale du judaïsme. “L’an prochain à Jérusalem” signifiait que les pensées étaient tournées vers Jérusalem, pas qu’il fallait y “retourner” et chasser les autochtones. “Le peuple élu” était celui qui avait le plus de responsabilités, pas celui qui avait le plus de droits. Les religieux seront majoritairement hostiles au sionisme quand celui-ci apparaîtra. La quasi-totalité des rabbins allemands signeront une pétition contre l’éventualité d’un congrès fondateur à Munich.
Pour ces religieux (dont la secte des Neture Karta est l’héritière), il était interdit de retourner en Terre Sainte avant l’arrivée du Messie.
La première fracture apparaîtra pendant le mandat britannique avec le grand rabbin Abraham Isaac Kook qui fait une synthèse entre religion et sionisme. Les religieux ne participeront pas à la guerre de 1948. Leurs partis participeront aux différents gouvernements avec comme préoccupation essentielle le financement des écoles religieuses et l’imposition de lois religieuses sur les mariages et les enterrements.
Là encore, la “gauche sioniste ” porte une responsabilité essentielle. La conquête de Jérusalem-Est provoque un élan de messianisme (perverti ?). Même des athées comme Moshé Dayan vont se recueillir au Mur des Lamentations (Les historien·nes sont unanimes pour dire aujourd’hui que c’est un mur romain). Le ministre travailliste Yigal Allon (également athée) décide et planifie la colonisation. Il ne trouve personne pour partir s’installer sauf… les disciples du Rabbin Kook, son fils et d’autres, particulièrement extrémistes (Moshe Levinger, Shlomo Aviner). Ces “fous de Dieu” créent le Gush Emonim (= Bloc de la foi) et s’installent dans le centre historique d’Hébron. Très vite, ce sionisme religieux (et colonial) supplante l’ancienne conception de la religion.
Tous les Premiers ministres, y compris Yitzhak Rabin, contribueront à la colonisation, sur les plans financier et militaire. 12 % de la population juive israélienne est constituée de colons. Ceux-ci sont ingrat·es. Qu’ils·elles soient colons économiques (banlieusard·es à la recherche de logements à bas prix) ou colons religieux, ils·elles votent quasi unanimement pour l’extrême droite, avec un choix possible entre différents partis religieux qui sont tous devenus des partis de colons. Le discours intégriste a été rodé. Pour les colons religieux, “Dieu a donné cette terre au peuple juif”. Ils·elles s’inspirent du livre de Josué, passage de la Bible hébraïque qui est une véritable apologie du nettoyage ethnique. Ils·elles éduquent leurs enfants à caillasser les écolier·es palestinien·nes et attaquent les oliveraies. Les plus fous parlent ouvertement de dynamiter l’esplanade des mosquées pour “reconstruire le Temple”. Leur composante la plus extrémiste va à présent gouverner. Non seulement des moyens colossaux vont être alloués à des nouvelles colonies, mais les “Juif·ves laïques” vont aussi subir la loi des intégristes.
Séfarades et Juif·ves orientaux
Cette composante du judaïsme intéressait peu les fondateurs du sionisme. Mais après 1948 et l’expulsion des Palestinien·nes, le nouvel État avait besoin d’un prolétariat. Tous les moyens seront utilisés pour faire venir plus d’un million de Juif·ves d’Afrique du Nord ou du Proche Orient, régions qui n’avaient rien connu de comparable à l’antisémitisme européen.
Ces “Juif·ves arabes” subiront des discriminations et des vexations systémiques. Ils·elles seront envoyé·es dans des zones inhospitalières et confiné·es aux emplois non qualifiés. Les enfants des Juif·ves marocain·es subiront des irradiations meurtrières massives aux rayons X pour soigner une teigne présumée. Les femmes juives yéménites subiront l’enlèvement de nombreux bébés dans les maternités. Ces Juif·ves seront sommé·es de faire disparaître leur “arabité” linguistique et culturelle. Leur révolte en 1971 (les Panthères Noires) sera écrasée.
L’extrême droite s’est donc tournée vers eux. En 1977, les Juif·ves orientaux se sont vengé·es de l’establishment ashkénaze (assimilé au parti travailliste) en votant massivement pour l’extrême droite. En 1984, le parti Shass est fondé. C’est un parti religieux séfarade, favorable à la colonisation, qui multiplie les “œuvres sociales” pour les défavorisé·es. Son fondateur, le Rabbin Ovadia Yossef (c’est pour s’être arrêté devant sa maison que Salah Hamouri a passé 10 ans en prison avant d’être expulsé) a le verbe cru : “À New-Orleans, ce sont des Nègres. Les Nègres ont-ils apporté la Torah ? Un ouragan s’est abattu sur eux…”. Depuis un demi-siècle, les Juif·ves orientaux (dont le taux de pauvreté est très supérieur à la moyenne) votent très majoritairement à l’extrême droite.
Les Russes
Vers 1880, la majorité des Juif·ves du monde entier vit dans l’empire russe. La politique antisémite du régime tsariste provoque une émigration de masse (surtout vers l’Amérique) et une perte de religion, les rabbins prônant la soumission à l’ordre établi. Beaucoup de Juif·ves adhèrent à des mouvements ou partis révolutionnaires. Le retour de l’antisémitisme et le stalinisme vont plus tard les en éloigner. Les Juif·ves soviétiques sont peu religieux et les “mariages mixtes” sont nombreux.
Quand Gorbatchev ouvre la possibilité de quitter l’URSS, la majorité des Juif·ves espère partir aux États-Unis ou en Allemagne. Seule une petite minorité y parviendra, les autres n’auront qu’une seule destination possible : Israël. Même ayant fait (contre leur gré) leur “alyah”, ils.elles se considèrent avant tout comme russes.
Ils·elles forment aujourd’hui le quart de la population juive israélienne. Une proportion non négligeable d’entre eux et elles a très peu (voire rien) à voir avec le judaïsme, les critères d’autorisation d’immigrer ayant été relâchés. D’où l’existence d’habitudes alimentaires (consommation de porc et de cheval) peu conformes aux lois israéliennes. Ils·elles sont aussi venus avec la mafia.
L’armée
La tradition militaire israélienne est une invention du sionisme. Cette armée, bâtie avec l’assentiment du colonisateur britannique, a reçu un armement important, y compris en provenance des pays de l’Est, qui lui a permis de gagner la guerre de 1948. Ben Gourion et ses généraux ont réalisé le “plan Daleth” (la lettre D en hébreu) qui consistait à chasser la population en dynamitant les villages et à massacrer au besoin. Les généraux de cette armée se voulaient “socialistes” : Rabin, Dayan, Allon. L’ouverture des archives montre, chaque jour un peu plus et malgré un déni persistant, la multiplication des crimes commis à l’époque par les forces israéliennes (Palmach, brigade Alexandroni…).
Cette “armée la plus morale du monde” a rapidement produit ses tueurs et ses psychopathes. Sharon, issu du Palmach, s’est illustré dès le massacre de Qibya (1953) qui annonçait Sabra et Chatila (1982) ou Jénine (2002). Ses conceptions militaires étaient simples : “tout le monde doit bouger, courir, et s’emparer d’autant de collines qu’il est possible pour agrandir les colonies parce que tout ce que l’on prendra maintenant restera à nous”.
D’autres grands chefs militaires passés à l’extrême droite viennent aussi du camp travailliste. Citons Rafael Eitan ou Rehavam Zeevi qui commettront de nombreux crimes de guerre en exécutant sommairement des prisonniers égyptiens.
On dit d’Israël que ce n’est pas un État doté d’une armée, mais une armée dotée d’un État. Le service militaire (trois ans pour les garçons et deux ans pour les filles) contribue à décerveler la jeunesse. En 2008-2009, ces jeunes conscrit·es ont délibérément été transformé·es en assassins lors de l’opération “Plomb Durci” à Gaza.
Pendant longtemps, seuls les handicapé·es et les religieux pouvaient échapper à l’armée et un vrai mouvement politique s’était constitué : les Refuzniks. Désormais, il est facile de se faire réformer. Par contre, les “fous de Dieu” se précipitent dans l’armée. Celle-ci épaule ouvertement les colons dans les exactions quotidiennes contre la population palestinienne. Les militaires votent désormais à une large majorité à l’extrême droite. Et ses chefs ne s’embarrassent pas dans leurs propos à l’image de Benny Gantz en 2014 : “Nous ramènerons Gaza à l’âge de pierre”.
L’état de droit et les barrières morales se sont effondrés
L’éducation en Israël fabrique une idéologie dont il est très difficile de sortir. Au jardin d’enfants, on fabrique des tanks avec des bouchons. Les écolier·es écrivent aux soldat·es. L’école apprend que les Arabes veulent jeter les Juif·ves à la mer et qu’on a raison de résister. Les universitaires savent qu’Abraham, Moïse, Josué, David et Salomon sont des légendes. Ils·elles savent aussi que la théorie de l’exil des Juif·ves et de leur retour est une construction historique. Mais les programmes scolaires disent l’inverse.
Les institutions qui auraient dû servir de contre-pouvoir ne le font plus. La Cour Suprême a légalisé la torture “raisonnable” et elle autorise l’armée à expulser 1200 villageois·es de Masafer Yatta au sud d’Hébron. De toute façon, Nétanyahou veut la supprimer, pour être sûre de ne pas aller en prison.
Sûr de la puissance militaire du pays, une majorité de la population ne comprend pas que les Palestinien·nes résistent encore. Plus un·e politicien·ne profère des déclarations racistes ou meurtrières et plus il·elle gagne des voix. Naftali Benett, colon qui a été Premier ministre, a déclaré en 2013 : “J’ai tué beaucoup d’Arabes dans ma vie, je ne vois pas où est le problème”.
L’apartheid a été officialisé avec la loi “Israël État Nation du peuple Juif” votée en 2018. Ce qui était censé faire consensus depuis 1945 (“Les hommes naissent libres et égaux”) est aboli. Seule la moitié de la population vivant entre Méditerranée et Jourdain a des droits.
Israël est donc aujourd’hui un laboratoire. Comment réprimer et enfermer une population réputée dangereuse ? Comment réussir une reconquête coloniale, avec un large consensus dans la population ? Comment faire en sorte que même les pauvres (20 % de la population juive) se sentent des privilégié·es ? Le pays est un exemple et celles et ceux qui veulent vivre normalement quittent le pays.
Les dernières élections ont opposé deux coalitions d’extrême droite et, comme dans le film Les Damnés de Visconti, ce sont les plus fous qui l’ont emporté. Israël aujourd’hui, c’est ce qu’aurait été la France si l’OAS avait gagné la guerre d’Algérie. Il y a même une nouveauté : les nouveaux ministres vont s’en prendre aussi aux “Juif·ves déloyaux”.
L’horizon est-il définitivement bouché ? Non, tant que les Palestinien·nes n’auront pas abdiqué. Et nous avons la tâche difficile mais impérative de faire cesser l’impunité d’Israël et la complicité dont ses dirigeants jouissent.
Ce pays n’est certes pas le seul à violer quotidiennement les droits humains. Mais il le fait depuis des décennies. Et il montre que des formes modernes de fascisme peuvent s’imposer dans une société et durablement triompher si on ne les combat pas.
Pierre Stambul