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Matthews, c’est moi

Voilà ce qu’a dit, en substance, Mads Peder Nordbo à Nantes, le 4 décembre dernier, dans le cadre du Festival Impressions d’Europe qui avait choisi d’honorer cette année les littératures nordiques. Côté polar, on a pu entendre le Danois présenter sa trilogie noire basée au Groënland, le pays du mattak (peau de baleine avec du lard) et de l’ulo (outil en demi-lune réservé aux femmes pour nettoyer la peau des phoques), de la neige et de la glace, avec Nuuk pour capitale à 240 km au sud du cercle polaire arctique, à peine 20 000 habitant·es (1/3 de la population totale du Groënland), ce pays où, en décembre, le soleil se lève à 10 heures et se couche à 14 heures.

Nordbo est de nationalité danoise ; il a suivi des études de lettres, de communication et de philosophie, a travaillé au Groenland à la mairie de Nuuk et a écrit trois romans sur ce territoire dont deux sont aujourd’hui traduits en français (par Terje Sinding, chez Actes Sud, actes noirs) : La fille sans peau et Angoisse glaciale (qu’il faut lire dans l’ordre sous peine de divulgâcher comme disent d’autres hommes du froid, les Québécois).

La fille sans peau s’ouvre sur une découverte extraordinaire : un Viking congelé est découvert près de Nuuk, au Groënland, en 2014. Mais le lendemain, le corps a disparu et le policier qui le surveillait est retrouvé nu éviscéré comme un phoque. Et ça, ça résonne comme des vieilles affaires non élucidées d’antan. Matthew Cave, journaliste danois, en deuil (il vient de perdre sa femme et son futur enfant dans un accident de voiture) enquête et se heurte à des intérêts locaux et découvre un peuple laminé par la misère et son corollaire pas toujours reluisant.

Partir au Groenland, c’est apprendre de l’homme et de son rapport avec la nature : “Quand nous tuons un animal, c’est uniquement pour nous nourrir et pour nous servir de sa peau. Nous respectons la nature et nous demandons pardon chaque fois que nos prenons une vie. Même quand il s’agit d’un poisson” (page 107).

Le Groënland, le pays dans lequel on demande pardon lorsqu’on prend une vie animale. Mais “Personne n’a demandé pardon pour ce meurtre”.

Le Groënland, ce pays que Trump a proposé d’acheter, que les Chinois convoitent et que les Danois exploitent. La question de l’indépendance est posée. La question économique aussi : l’exode vers Nuuk l’attractive laisse des villages entiers ressembler à des villes fantômes (comme celle décrite dans Angoisse glaciale, le tome 2).

L’enclavement pour futur : “Le Groenland, c’est comme ça. Sans bateau ni avion, tu es coincé. Ici, la nature est toujours plus forte que toi” (page 231) avec pour seul horizon la famille. Et c’est parfois le cœur du problème ou la clé des solutions. Rien n’est sûr. Matthew l’apprendra. En partant sur les traces de son père, il retrouvera une sœur. Insaisissable. “Assise sur la falaise… elle avait disparu” (haïkaisation* de La fille sans peau).

Ses deux romans noirs sont, par essence, des romans engagés. Ils dénoncent essentiellement les abus de pouvoir : ceux sur l’avenir surtout, ceux sur les enfants et ceux sur la nature. Et comme la confiance qu’on peut avoir en la police, la justice et la politique, au Danemark comme ailleurs, est toute relative, Nordbo met tout son espoir dans le journaliste Matthew, un double de lui-même. Car, comme le disait La Boétie, il y a fort longtemps, “ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux”.

François Braud

  • Mads Peder Nordbo, La fille sans peau, traduit du danois par Terje Sinding, Actes sud, actes noirs, 2020, 379 pages, 22e80.
  • Mads Peder Nordbo, Angoisse glaciale, traduit du danois par Terje Sinding, Actes sud, actes noirs, 2021, 395 pages, 23e.
  • À commander à l’EDMP (8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr).