Réalité et fiction
Quand les lectures rejoignent l’actualité et les souvenirs !
Il fait chaud, c’est le moment de lire un roman policier, histoire de ne pas trop se fatiguer les méninges. Je me plonge dans Silverview de John le Carré. Plus j’avance dans ma lecture, plus j’ai l’impression d’être en terrain connu.
Les lieux décrits : le Suffolk, une petite ville au bord de la mer, des villages avec leurs charmants cottages et les jardins naturels et soignés en même temps, une idylle campagnarde.
Les noms des villes et même des villages me sont familiers. J’ai séjourné dans cette région en 1956, dans une famille rencontrée deux ans plus tôt lors d’un échange scolaire sur l’île de Guernesey.
Retour en 1956
Ma correspondante et moi-même avions 14 ans. À l’école, les jeunes filles portaient des uniformes pas vraiment sexy, mais, après l’école, veste stricte et jupe plissée cédaient la place à pettycoat et jupe large dévoilant à chaque coup de vent des petites culottes bordées de dentelle. Ma “corres” avait déjà un boy-friend et disait à qui voulait entendre que c’était incroyable que moi je n’en aie pas.
Vite lassée du guet dans les rochers pendant qu’elle s’amusait avec les garçons, j’ai préféré la compagnie de la famille venue du Suffolk, deux frères, leurs femmes et leurs enfants. Ils m’ont invitée à venir chez eux, dans ce charmant Suffolk, j’y suis allée en 1956.
À cette époque, le souvenir de la deuxième guerre mondiale était très présent en Angleterre. On m’a emmenée voir une exposition sur “Battle of Britain”, je me souviens d’une photo montrant le sucre des entrepôts de Londres transformé en rivière de caramel. On n’oublie pas ça !
Les messieurs de ces deux familles me parlaient souvent de la guerre et de leur engagement dans la résistance. L’un d’eux s’était engagé dans la marine, l’autre me parlait de son engagement dans “l’Intelligence”. J’ai appris que ce mot signifie services secrets. Il racontait qu’il s’était engagé dans un groupe formé dans le plus grand secret dans des tunnels de la région et avait été parachuté en Italie, car il parlait italien. Mission : contacter des groupes de résistance partout en Europe, commettre des attentats contre la Wehrmacht et ses alliés, en attendant que les USA entrent en guerre. Avec son costume trois pièces strict, mon interlocuteur n’avait rien d’un baroudeur, j’avais du mal à le croire. Je me disais qu’il voulait en imposer à une jeune fille de 16 ans.
Et voilà qu’en 2023
Je lis le polar de John Le Carré, lui-même ancien de l’Intelligence service, mes souvenirs de 1956 refont surface. Et si ces messieurs très britishs, avec leurs costumes trois pièces, avaient dit vrai ?
Étrange coïncidence, je vois sur Arte une émission sur les commandos parachutés en 1943 sur les territoires occupés. C’est une “Dokufiktion”, comme on dit en Allemagne.
Désireux de déstabiliser la Wehrmacht et de concurrencer les groupes de résistance le plus souvent communistes, Churchill a recruté des hommes et des femmes parlant différentes langues et assez intrépides pour être parachutés en France, en Italie, en Yougoslavie, en Belgique, en Hollande. Les commandos furent formés dans les lieux secrets dont on m’avait parlé en 1956. Ils auraient contacté des groupes de résistance dans différents pays, seraient restés discrets pendant un moment et seraient ensuite passés à l’action. Les opérations menées en Belgique auraient considérablement contribué à la libération du pays. En Yougoslavie, cette stratégie fut un échec, les partisans de Tito étaient trop nombreux et trop bien implantés.
En 1956, les récits de messieurs très sérieux, leurs histoires d’Intelligence service, en 2023, le polar de John le Carré, avec ses personnages polyglottes à identités multiples, et, pour finir, Arte.
La réalité dépasse la fiction
.Françoise Hoenle