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George Orwell, notre contemporain

1984 et La ferme des animaux sont mondialement célèbres, mais George Orwell apparaît aussi puissant, lumineux, prémonitoire dans ses Écrits politiques, ses essais, critiques littéraires, articles de journaux qui analysent la situation de son époque. Condamnations radicales du colonialisme qui génère des rapports “d’un esclave avec son maître”, de l’impérialisme de Grande-Bretagne, en Birmanie notamment, d’un capitalisme qui provoque “la grande misère de l’ouvrier britannique”, le chômage, la mendicité. Des textes clairs, limpides, irréfutables.

Témoin oculaire et engagé de la guerre d’Espagne, il n’aura de cesse de dénoncer à la fois le franquisme, le fascisme, et le totalitarisme à l’Est. “Réchappé de peu d’une balle franquiste qui lui a traversé la gorge et réchappé de tout aussi peu des griffes de la police gouvernementale, aux ordres des communistes, qui les recherchait, lui et sa femme, au seul motif qu’il avait combattu Franco dans les milices du POUM. Ce qui l’émeut, bien sûr, c’est le sort de ses camarades du POUM […]. Mais ce qui l’effare et l’indigne plus que tout, c’est que les journalistes et les intellectuels de gauche britanniques nient purement et simplement des faits avérés et fassent tout pour l’empêcher de témoigner sur ce qu’il a vu. Cette expérience quasi traumatique a sur Orwell l’effet d’une illumination : les mécanismes de la pensée totalitaire peuvent être efficaces sans camps ni matraques, jusque sur le sol anglais”, souligne Jean-Jacques Rosat dans sa préface.

Après cette expérience douloureuse évoquée avec lucidité, de retour en Angleterre, George Orwell appelle à la révolution pour gagner la guerre contre le nazisme, puis observe le monde d’après, les espoirs suscités par le gouvernement travailliste et ses limites. Dès 1944, il écrit : “L’URSS sera la dynamo du socialisme aussi longtemps que les gens croiront en elle […] je ne voudrais pas voir l’URSS détruite et je pense qu’elle doit être défendue si nécessaire. Mais je souhaite que les gens perdent leurs illusions sur elle et prennent conscience qu’ils doivent construire leur propre mouvement socialiste, sans interférence russe”. Il note que les petits États sont obligés de s’abriter sous le parapluie des grandes puissances et souligne la persistance des nationalismes à commencer par celui qui subsiste dans son pays autour de la famille royale.

Voilà qui fait écho à l’actualité la plus récente, à la déferlante médiatique inégalée autour des obsèques d’Élisabeth II. La foule était au rendez-vous, comme les têtes, couronnées ou non, de presque tous les États du globe. Et pendant ce temps-là, une brève dans le journal télévisé de France 2 (quelques secondes) : au Pakistan, un tiers du pays est sous l’eau… un tiers ! Qu’importe, Sa Majesté est morte !

Autre comparaison : à la même période, Gorbatchev décède. Un seul chef d’État assiste à ses funérailles : extraordinaire amnésie occidentale autour de son cercueil ! Avec la fin de l’ère soviétique et la mort des anciens dictateurs on aurait pu imaginer de moins sombres perspectives, mais les super États et les menaces totalitaires sont loin d’avoir disparu. À propos de La Ferme des animaux, Orwell explique : “les révolutions n’engendrent une amélioration radicale que si les masses sont vigilantes et savent comment virer leurs chefs […] une dictature bienveillante, ça n’existe pas”.

Et aujourd’hui le capitalisme se frotte les mains

Où en sommes-nous, aujourd’hui ? Nous avons bien vu avec quelle facilité la pandémie a pu anéantir toute liberté individuelle à l’échelle planétaire. Après la phase de sidération, on a constaté que cette épidémie, certes meurtrière, n’était ni la peste, ni Ébola et que les mesures prises en France (passe sanitaire, puis vaccinal au moment où le vaccin démontrait son échec à freiner la transmission et la maladie elle-même) permettaient davantage de contrôler la population que de prévenir le mal. Puis est arrivée la période électorale ; le pouvoir a trouvé mieux pour continuer à inoculer la peur, la menace de guerre en Europe. Alors brusquement, fini le masque, terminées les précautions, le COVID n’a pas disparu mais le gouvernement n’en a cure : exit le virus, voici l’Ukraine ! Un signe qui ne trompe pas : un petit drapeau ukrainien a flotté sur l’application “tous anti COVID”, indiquant le changement de cap de nos responsables. Une application sanitaire qui sert à des fins de propagande politique, pour la bonne cause ? Ils avaient juré que non.

Nous ne sommes pas dupes ? peut-être… Les empires, à l’Ouest comme à l’Est, ont encore de beaux jours devant eux. Et pendant ce temps-là le capitalisme se frotte les mains, la concentration de richesses n’a jamais été aussi forte, les actionnaires aussi prospères. Qui, aujourd’hui, met l’accent sur la condition ouvrière, en France et dans le monde ? Les maladies professionnelles, les accidents du travail, l’espérance de vie diminuée par des métiers pénibles, dangereux dans le bâtiment, la chimie, le traitement des déchets, la métallurgie, l’agriculture, le transport… ? Les capitalistes peuvent continuer à exploiter les peuples tranquillement, la lutte des classes est reléguée derrière d’autres préoccupations, et l’on évoque juste les cas extrêmes, comme la mortalité des esclaves modernes chargés de construire les infrastructures de la Coupe du monde de football au Qatar.  Il faudrait s’interroger sur les sujets traités et les combats menés, même dans les syndicats. Orwell mérite d’être lu et relu au XXIe siècle.

Marie-Noëlle Hopital

  • Écrits politiques (1928-1949), Sur le socialisme, les intellectuels et la démocratie, Agone, Banc d’essai, 2009, 432 p., 25,40 €.
  • À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr