Barbara Stiegler développe sur France Culture en juin 2022, ce concept d’adaptation à tout prix des individus, sous la férule autoritaire du néo-libéralisme. Rien de nouveau là-dedans.
Quiconque a traversé les yeux ouverts la crise sanitaire sait de quoi il retourne : à l’incurie gouvernementale de vieille date, dénoncée par elle-même, Jacques Rancière et d’autres penseurs et penseuses, la seule issue proposée par nos politiques était de s’adapter selon leurs diktats.
Quant à ceux et celles qui refusaient de le faire, du port du masque au tardif vaccin, tant pis pour ce qui leur adviendrait : renvoi de leur poste, maladie avec la menace d’un tri ultime entre les malades obéissant·es et les autres et possible mort.
C’est une chose de s’adapter à ce qui ne dépend pas de nous et peut être changé, et une autre que de s’accommoder des fautes et défaillances de ceux ou du système qui pourraient l’être, faisant enfin place à une véritable démocratie. Ce qui nous ramène à l’imposture électorale récente.
Les esprits sont depuis longtemps préparés à cette soumission par un certain nombre d’“experts”, relayés par les media.
Sans doute le travail psychologique vantant la résilience était-il déjà à l’œuvre avec les spécialistes de la santé mentale, comme Cyrulnik, offrant la commodité d’une pensée accessible à tou·tes et noyant dans des laïus personnels un certain nombre d’évidences. Des titres provocateurs autour des bienfaits de la souffrance comme Merveilleux malheur lui valurent aussi un grand succès commercial. Certains auteurs ont dénoncé le piège.
Dénoncer le piège
Thierry Ribault 1 a découvert la résilience à Fukushima. Là-bas, cet art du “vivre avec” a été érigé en politique d’État après la catastrophe nucléaire. “Il est devenu un nouveau paradigme mondial, promu en France par les collapsologues de l’Institut Momentum et Emmanuel Macron. Loin d’être neutre, cette administration du désastre à un coût social, culpabilisant les victimes et retardant la lutte contre les racines du mal… les mères de Fukushima qu’on force d’y retourner, inquiètes pour la santé de leur enfant, sont qualifiées de « radiophobes ». ou de « mamans irradiées de la cervelle”. Cet essai s’oppose à cette “technologie du consentement qui voudrait changer l’homme en « novhomme », apte à souffrir sans broncher pour que rien ne change”. “La résilience serait un penchant naturel en chacun de nous et non une idéologie du consentement au pire, agencée à travers le chantage à la survie économique, idéologie ayant pour principale visée de garantir la survie des dominations et même de continuer la vie comme elle va quand bien même elle va mal. L’analyse que je mène, conclut Ribault, va à l’encontre de ce type d’affirmations : les hommes ne sont pas « résilients par essence » mais ils apprennent à l’être ou plus précisément certains en amènent d’autres à le devenir”.
Sur le plan médical Georges Canguilhem dans le Normal et le Pathologique 2 nuance la notion d’adaptation à propos des ressources de l’organisme et y réintroduit de la liberté : “Il existe une forme d’adaptation qui est spécialisation pour une tâche donnée dans un milieu stable mais qui est menacée par tout accident modifiant ce milieu. Et il existe une autre forme d’adaptation qui est indépendance à l’égard des contraintes d’un milieu stable et par conséquent pouvoir de surmonter les difficultés de vivre résultant d’une altération du milieu. Or nous avions défini la normalité d’une espèce par une certaine tendance à la variété : sorte d’assurance contre la spécialisation excessive sans réversibilité et sans souplesse, qu’est une adaptation réussie”.
Dans le verbe surmonter comme dans le nom souplesse on voit bien que pour lui ce sont les initiatives physiologiques et non la résignation à la maladie qui peuvent l’emporter. Dans la conclusion de son livre il reviendra sur la part active du corps à la structuration du milieu. “Nous avons appelé normalité la capacité biologique de mettre en question les normes usuelles à l’occasion de situations critiques et proposé de mesurer la santé à la gravité des crises organiques surmontées par l’instauration d’un nouvel ordre physiologique”.
Marie-Claire Calmus