Sommaire

Sommaire

Affrontements des impérialismes et résistance des peuples (3ème partie)

Cette série de trois articles fait suite à un débat organisé dans le cadre de la Semaine Émancipation de juillet 2024. Le premier de ces articles revenait sur la notion d’impérialisme, et mettait en évidence, en particulier, l’apparition, aux cours des dernières décennies, de nouveaux impérialismes, chinois et russe. Le second article traitait de certains traits fondamentaux que revêtent les affrontements inter-impérialistes dans la période actuelle. Ce troisième article s’intéresse à divers aspects des résistances populaires face à ces évolutions.

Des peuples en résistance

Constatons d’abord que la résistance des peuples s’exerce à la fois contre les dominations impérialistes et colonialistes et face aux attaques du capital contre les conditions de vie et de travail, partout y compris dans les pays impérialistes et contre divers régimes politiques autoritaires et assassins, auquel cas un impérialisme n’est pas toujours directement impliqué, même s’il n’est pas très loin derrière.

Les résistances populaires ont donc lieu dans des pays divers sur des revendications diverses, mais il s’agit toujours, d’une façon ou d’une autre, d’une résistance contre le capital et ses logiques injustes et barbares. Après avoir dressé un panorama assez général, cet article traitera de façon plus détaillée de la lutte des peuples contre l’impérialisme français.

Des résistances populaires de divers types

Des peuples très divers sont en lutte contre les impérialismes, directement ou contre leurs relais locaux. Nous ne dirons que quelques mots ici de la tragique actualité que vivent les peuples palestinien et ukrainien, déjà largement évoquée ailleurs. Le premier est engagé dans une longue lutte historique contre le colonialisme sioniste, qui s’est transformé en régime d’apartheid et mène aujourd’hui une guerre génocidaire à Gaza. Israël n’est pas un pays impérialiste, mais une puissance régionale alliée aux impérialismes occidentaux, à commencer par celui des États-Unis. La lutte du peuple palestinien n’est pas une lutte anti-impérialiste directe, mais une lutte de libération nationale et une lutte anticoloniale contre le sionisme, ce dernier étant soutenu politiquement et militairement par l’ensemble des impérialismes occidentaux. En Ukraine, le peuple soutient massivement et avec un coût humain élevé une lutte qui est une guerre d’indépendance contre l’impérialisme grand-russe. Précisons aussi que ce qui menace le peuple et les travailleur·euses d’Ukraine, ce n’est pas seulement la guerre immédiate et barbare menée par Poutine, mais c’est aussi un double dépeçage impérialiste en cas d’accord de “paix” : par l’amputation du territoire ukrainien par l’impérialisme russe au moyen des conquêtes guerrières au Donbass, en Crimée, peut-être ailleurs et dans d’autres zones du pays via l’OTAN et au profit de l’UE, grâce aux mesures socio-économiques prises par le gouvernement Zelenski contre ses propres travailleur·euses.

Au sein des pays impérialistes mêmes, des luttes sociales ont lieu contre les attaques du capital. Récemment, ces luttes par exemple ont touché des pays tels que la France (contre la réforme des retraites de Macron en 2023), le Royaume-Uni avec plus d’une année de luttes salariales intenses et nombreuses en 2022 et 2023 ou l’Allemagne avec des grèves massives dans les transports, pour les salaires et la durée du travail, notamment au début 2024. Les luttes des travailleur·euses aux États-Unis, en particulier pour de meilleurs salaires et pour le droit à l’organisation syndicale, sont également dans une phase ascendante.

Dans les pays dominés, des peuples se lèvent contre des régimes pourris et des coups d’État. On l’a vu, notamment, pendant plus d’une décennie, en Syrie avec un peuple résistant mais massacré par le boucher Bachar el Assad et ses alliés (notamment Poutine). On l’a constaté, plus récemment, en Iran, avec un vaste mouvement des femmes en 2022 et 2023 suite à l’assassinat de la jeune Kurde Jina Mahsa Amini.

Plus près d’aujourd’hui encore, les 26 et 27 juin 2024, la résistance et le soulèvement du peuple et des travailleur·euses de Bolivie ont permis de faire échec à une tentative de coup d’État.

Grève générale en Bolivie contre la tentative de coup d’État

La Bolivie a souvent subi des coups d’État, avec une armée nationale qui condense la violence particulière de ses classes dominantes. Après les élections de 2019, notamment, et la démission et la fuite du président Evo Morales sous la pression de la droite, le Mouvement vers le socialisme (MAS), parti de Morales, avait repris les affaires en main après la victoire de Luis Arce en 2020. Mais le 26 juin, il y a eu une tentative de coup d’État impliquant des éléments de l’opposition, accusant le gouvernement d’inefficacité et de corruption, et un secteur de l’armée sous la houlette du général Zuñiga, cherchant à renverser le gouvernement. Des troupes putschistes se sont massées jusque devant le palais présidentiel. Luis Arce a appelé à la résistance et à la mobilisation populaires face à cette tentative.

Bolivie : mobilisation populaire contre un putsch d’extrême droite.

Le peuple est massivement descendu dans la rue, et la Centrale Ouvrière Bolivienne (COB) a déclaré une grève générale illimitée, paralysant l’économie, surtout les transports, l’éducation et la santé. Les grévistes ont exigé des augmentations de salaire, des améliorations des conditions de travail et des réformes de structures économiques pour lutter contre la pauvreté et les inégalités. Des négociations se sont engagées entre le gouvernement et les syndicats sur les revendications des grévistes. Dès le 27 juin, le coup d’État était vaincu : Zuñiga a été arrêté et démis de ses fonctions.

Des peuples en lutte contre l’impérialisme français

L’impérialisme français, on l’a expliqué dans un article précédent, est en déclin. On l’observe de façon différenciée en Afrique avec un affaiblissement de la domination néo-coloniale française, et en Kanaky où le colonialisme français tente de renforcer sa domination directe. Mais dans ces deux cas, l’impérialisme français fait l’objet d’un rejet massif et suscite des luttes populaires 1.

Peuples africains en lutte et recul de la Françafrique

La perte d’influence française en Afrique se manifeste différemment selon les pays, avec des exemples marquants de changement d’alliances politiques, économiques et militaires. Les peuples d’un nombre croissant de pays africains se dressent contre la Françafrique, et parfois cela conduit les gouvernements à rompre avec celle-ci ou à s’en éloigner. Voici quelques exemples. Ces pays ne sont pas tous sahéliens, et cette dynamique pourrait encore s’étendre…

En 2022, au Mali, le gouvernement a demandé le retrait des troupes françaises de l’opération Barkhane et les forces françaises ont quitté le pays. Le Mali a renforcé ses liens avec la Russie, en invitant le groupe Wagner, société militaire privée russe, à aider à combattre les opposants armés au régime, notamment les groupes séparatistes du nord du pays. Ceci signale un changement de dépendance militaire, de la France à la Russie.

En janvier 2023, le Burkina Faso a lui aussi demandé le départ des troupes françaises qui y stationnaient. La réduction de la dépendance vis-à-vis de la France se traduit par un renforcement des liens avec d’autres partenaires pour les questions de défense et de sécurité, en particulier la Russie et la Chine.

Le Tchad, autre bastion de la Françafrique, connait aussi une instabilité politique, et la présence militaire française, nombreuse et historique, y est contestée. Depuis la mort du dictateur françafricain Idriss Déby en 2021, le nouveau gouvernement de transition cherche également à diversifier ses alliances internationales.

En République centrafricaine (RCA), on observe aussi à la fois la présence du groupe Wagner, sur appel du gouvernement du pays, et une réduction de “l’aide” militaire et financière française à la RCA en réponse à l’engagement accru de la Russie dans ce pays.

Le 26 juillet 2023, le Niger a vu le renversement de Mohamed Bazoum par une partie de sa garde présidentielle. Ce président françafricain, élu en 2021 et fortement soupçonné de corruption, refusant de démissionner, est toujours retenu en otage et son immunité présidentielle a été levée en juin 2024, afin qu’il soit jugé. Le pays a connu une série de manifestations d’une ampleur croissante à l’été 2023, contre la présence militaire française. Le rejet de la Françafrique est massif au sein de la population. Le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie qui a pris le pouvoir explore de nouveaux partenariats. Le rejet par cette junte militaire des positions pro-Bazoum de Biden semble avoir mis l’impérialisme étatsunien hors-jeu et aide au rapprochement constant du nouveau régime avec Moscou.

Enfin, le 6 juillet 2024, les trois régimes sahéliens les plus opposés à la Françafrique (Mali, Burkina Faso et Niger) ont décidé d’une intégration plus poussée entre eux, en rupture avec les autres États d’Afrique de l’Ouest. Ils ont lancé une “Confédération des États du Sahel”. Ils avaient déjà quitté la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), un instrument consacré de la domination françafricaine, en janvier de cette année.

La Kanaky : tentatives coloniales autoritaires et lutte populaire kanak

La Kanaky est un cas de colonialisme français encore actif, avec une dynamique spécifique. Depuis 1853, le peuple autochtone, kanak, subit une domination coloniale, prenant en particulier la forme d’une colonie de peuplement. C’est cette logique que la macronie veut réaffirmer contre la ferme volonté indépendantiste des Kanak·es. Sans pouvoir présenter ici la longue et sombre histoire de la violence colonialiste, rappelons le contexte historique plus récent qui forme le socle des tensions et de la lutte actuelle de la population autochtone.

Après l’insurrection kanak des années 1984 à 1988, une “pause historique” dans la lutte indépendantiste avait été actée avec les accords de Matignon en 1988. La même logique s’est poursuivie avec la signature des Accords de Nouméa en 1998. Ceux-ci prévoyaient des réformes de structures (ne remettant toutefois pas en cause la nature de la propriété et du pouvoir, ni l’inégalité profonde que subit le peuple kanak) et une série de référendums sur l’indépendance du territoire vingt ans plus tard.

Le premier référendum, tenu comme prévu en 2018, avait donné une majorité de plus de 56 % contre l’indépendance ; deux ans plus tard, en 2020, le rejet de l’indépendance était moins majoritaire avec environ 53 %. La droite coloniale locale, les Caldoches et le colonialisme français ont commencé à se dire que le oui à l’indépendance pouvait finalement l’emporter. Un troisième référendum devait avoir lieu. Le pouvoir macroniste a voulu l’organiser fin 2021, au moment même où le peuple kanak enterrait ses mort·es du Covid-19, selon ses propres rites, c’est-à-dire sans pouvoir mener campagne. La macronie est parvenue à imposer cette date, malgré l’appel au boycott des organisations indépendantistes. À ce troisième scrutin (décembre 2021), une hyper-majorité a voté contre l’indépendance, avec une faible participation, du fait du boycott très suivi par la population indépendantiste.

Après cette insulte faite au peuple kanak et à sa culture, la macronie fait un pas de plus pour marginaliser davantage le peuple colonisé sur sa propre terre, en décidant de “dégeler” le corps électoral précisé par les Accords de Nouméa, pour intégrer les nouveaux/elles arrivant·es et éloigner davantage le “danger” d’une indépendance voulue par les Kanak·es.

C’est cette décision qui a conduit, le 13 mai dernier et les jours qui ont suivi, à une situation insurrectionnelle hautement prévisible : des dizaines de milliers de Kanak·es, souvent jeunes, sont descendu·es dans les rues et ont installé des barrages en de nombreux points du pays, au moment même où le parlement français commençait à discuter du texte constitutionnel pour “dégeler” le corps électoral en Nouvelle-Calédonie.

Cette mesure colonialiste a été suspendue, mais la répression a été féroce 2 : couvre-feu, envoi de 3 500 membres des forces répressives depuis la France, et un état d’urgence donnant libre cours à la police et à la gendarmerie ; neuf morts par balles officiels (plus selon certaines sources kanak) ; des tirs à balle réelle et au flash-ball à courte distance, des intrusions au domicile de la population kanake ; 1 187 personnes arrêtées officiellement ; du 12 mai au 19 juin, 1 102 gardes à vue, 164 déferrements, 94 comparutions immédiates et 73 personnes incarcérées. Des milices caldoches, fascisantes et copieusement armées sont venues jouer le rôle de supplétifs aux forces répressives officielles. Ajoutons à cela le matraquage médiatique raciste et colonialiste, le choix de criminaliser tout particulièrement la CCAT (Cellule de coordination des actions de terrain), et le retour des peines de déportation ! Ainsi sept membres de la CCAT ont été envoyé·es en détention provisoire en France, à 17 000 km de leur foyer. Christian Tein se trouve ainsi à la maison d’arrêt de Mulhouse, tandis que Brenda Wanabo Ipeze, mère de trois enfants dont un de quatre ans, est prisonnière à Dijon !

Mais le “calme” cher à Macron et Darmanin n’est toujours pas revenu en Kanaky et la CCAT n’a jamais cessé d’exiger le retrait pur et simple du projet de loi de dégel électoral 3.

En guise de conclusion

Ce que l’on doit d’abord souligner, c’est que le monde connait une situation toujours plus tendue et des contradictions qui s’exacerbent. Le capitalisme, clairement en crise depuis 2007-2008, nécessite un durcissement, nécessaire pour imposer ses exigences. Cela a toute une série de conséquences, et notamment :

– des tendances à la polarisation sociale un peu partout ;

– le développement des courants d’extrême droite, en Europe mais aussi ailleurs, comme en Amérique latine ;

– le développement des risques de guerre : cela a déjà commencé, en particulier entre les blocs et les nations. Mais cela pourrait facilement conduire à de plus vastes déflagrations.

Quelle attitude devons-nous avoir dans ce contexte ? Nous sommes des syndicalistes de combat, c’est pourquoi nous devons toujours nous trouver au côté des peuples, pas des blocs ou des camps ! Et cela doit prévaloir, qu’il s’agisse aussi bien des travailleur·euses que de toutes les catégories sociales et des nations opprimées :

  • Face aux attaques du capital.
  • Face à un régime autoritaire.
  • Face à une domination coloniale.
  • Face aux menées des impérialismes (dont des guerres contre des nations opprimées).

Patrick Krasso

  1. Aussi bien pour l’Afrique que pour la Kanaky, le site de l’association Survie est une mine d’informations : https://survie.org/ ↩︎
  2. Pour plus de détails, voir en particulier : https://survie.org/billets-d-afrique/2024/338-ete-2024/article/la-france-coloniale-s-acharne-contre-les-kanak ↩︎
  3. Depuis la discussion du mois de juillet 2024 lors de la Semaine Émancipation, la situation en Kanaky est restée profondément tendue et instable, et la répression massive, policière et judiciaire, contre les indépendantistes s’est poursuivie. Toutefois, il semble que Barnier veuille jouer la carte de l’apaisement – sans changer l’orientation sur le fond – mais il a annoncé le 1er octobre que le projet de loi sur le dégel du corps électoral ne serait pas soumis au Congrès, et que les élections provinciales étaient reportées à fin 2025. Mais le colonialisme français est aussi maintenant confronté à une lutte de masse qui a démarré plus récemment en Martinique. L’extrême cherté du coût de la vie joue le rôle de goutte d’eau, et conduit à une vague de grèves et à des émeutes. Malgré le couvre-feu et la répression, les autorités coloniales ne semblent pas en mesure d’apaiser la colère populaire. ↩︎