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À propos du “Collectif pour l’école publique laïque”

Début 2024 s’est constitué un “Collectif pour l’école publique”. Il est composé d’un certain nombre d’organisations syndicales (FSU, Sud éducation, UNSA…) et associatives (Libre Pensée, LDH, CREAL 76…). Il se fixe comme objectif “la construction d’un plan de sortie du financement public de l’école privée”. À ce titre, cette démarche intéresse tous ceux et toutes celles qui entendent défendre la laïcité de l’École et de l’État. Nous interrogeons ci-dessous Dominique Goussot, responsable de la commission “Droit et laïcité” de la Libre Pensée, et qui représente cette organisation au sein du collectif.

L’Émancipation : Bonjour Dominique, et merci pour cet entretien. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu un tel rapprochement entre organisations, qui ont pu avoir de nombreuses divergences. Comment pourrait-on l’expliquer ?

Dominique Goussot : Plusieurs évènements ont conduit le camp laïque à se rassembler en faveur de l’École publique, victime du financement par l’État et les collectivités territoriales des établissements privés d’enseignement sous contrat, pour l’essentiel catholiques. En juin 2023, la Cour des comptes publiait un rapport thématique particulier mettant notamment en évidence que les douze à treize milliards d’euros d’aides publiques versés chaque année à l’enseignement catholique se traduisaient par une aggravation des inégalités sociales et scolaires. En avril 2024, Paul Vannier, député LFI, et Christopher Weissberg, député Renaissance des Français de l’étranger déposaient sur le bureau de l’Assemblée nationale le rapport de la mission d’information sur le financement public de l’enseignement privé sous contrat. Ils confirmaient les constats de la Cour, insistaient sur l’absence de contrôle de l’emploi des fonds et soulignaient les dérives dans leur allocation, les collectivités publiques traitant avec “les réseaux”, tels que la Fédération nationale des organismes gestionnaires de l’enseignement catholique (FNOGEC) et les directions diocésaines concernées. Récemment, les sociologues Pierre Merle et Stéphane Bonnery mettaient au jour que la dégradation des moyens dévolus à l’enseignement public de 1998 à 2022 a nourri un afflux d’élèves vers l’enseignement privé : dans un contexte de recul démographique, l’un perdait 200 000 élèves ainsi que 56 000 professeur·es tandis que l’autre recevait 100 000 enfants de plus. Enfin, à peine nommée en qualité de ministre de l’Éducation nationale, Mme Amélie Oudéa-Castera faisait une déclaration tonitruante par laquelle elle jetait l’opprobre sur les professeur·es de l’enseignement public et faisait l’éloge du collège Stanislas, pour le moins en délicatesse avec la loi, où se pressent les enfants de la grande bourgeoisie du sixième arrondissement de Paris.

L’Émancipation : Le dernier texte du Collectif rappelle son objectif d’un plan de sortie du financement public de l’école privée, tout en précisant qu’il peut y avoir “une ou plusieurs voies de sortie de ce financement”. Quelles seraient les différentes voies ? Quels sont les débats sur ce point ?

D. G. : Ce texte est un compromis entre des acteurs dont le rassemblement n’efface pas les divergences. Au risque d’être un peu caricatural, il me semble que trois positions se dessinent actuellement, si l’on met de côté celle consistant à penser, comme le sénateur Pierre Ouzoulias, que les dispositions issues de la loi Debré du 31 décembre 1959 constituent un horizon indépassable.

D’une part, au vu des éléments recueillis par la Cour des comptes et la mission d’information, d’aucuns pensent qu’il importe dans un premier temps de faire appliquer la loi avant d’envisager une sortie du système de financement public de l’enseignement privé sous contrat. Certains préconisent au surplus de mettre en place rapidement un dispositif de modulation des aides publiques à l’enseignement privé sous contrat tenant compte des efforts accomplis par ses établissements pour lutter contre les inégalités sociales et scolaires. Dans les deux cas, les partisans de ce travail exigent une intensification des contrôles et, s’il y a lieu, une rupture des contrats.

D’autre part, la Libre Pensée estime qu’il importe d’ores et déjà de présenter un plan de sortie du financement public de l’enseignement privé sous contrat. Dès les déclarations de Mme Amélie Oudéa-Castera, la L.P. s’attelait à dessiner les contours de ce plan qui reposerait sur l’abrogation des textes issus de la loi Debré et l’ouverture d’une période de transition de six ans au terme de laquelle cesserait le versement d’aides publiques à l’enseignement catholique et seraient accueilli·es dans le public les élèves et les professeur·es venant du privé sous contrat. Ce travail traite un aspect important de la question, son volet immobilier.

Animatrice du collectif, la FSU s’emploie à ne rien figer à ce stade mais rappelle en permanence que l’objectif à atteindre reste bien la fin du système de dualité scolaire issu de la loi Debré du 31 décembre 1959. Sur ce point, la Libre Pensée est en parfait accord avec la FSU.

L’Émancipation : Il est question de tenir compte “du cadre constitutionnel et juridique”. Tu es responsable de la commission “Droit et laïcité” de la Libre pensée, pourrais-tu préciser quels sont les enjeux à ce sujet ?

D. G. : Il s’agit probablement de rassurer et de maintenir la cohésion du collectif, ce qui est essentiel. Cette formulation peut donner lieu, me semble-t-il, à deux lectures possibles.

La première considère qu’il faut se placer dans le cadre institutionnel actuel. Selon moi, elle fait l’impasse sur une donnée historique majeure. La Cinquième République et la loi sur les rapports entre l’État et l’enseignement privé sont étroitement imbriquées. L’une et l’autre sont l’œuvre du même homme, Michel Debré, à qui le Vatican a accordé pour faire advenir la loi de 1959 sur l’enseignement privé un soutien sans faille que le Saint-Siège avait refusé en 1956 au gouvernement de Guy Mollet poursuivant le même but. Les critiques du financement public de l’enseignement privé sous contrat prennent actuellement de l’ampleur probablement parce que les institutions de la Cinquième République connaissent elles-mêmes une crise sans précédent mettant à l’ordre du jour, pour certain·es, l’élection d’une assemblée constituante souveraine. Les propos de Mme Amélie Oudéa-Castera sont peut-être le syndrome de ce double phénomène.

Tout le monde n’est pas obligé de partager cette analyse. Néanmoins, la formulation en question peut convenir à l’ensemble des forces composant le collectif. Aux termes du point 13 de Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, repris en tête de celle de 1958, “La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État”. Il suit de ces dispositions que la puissance publique a pour seule obligation de mettre à la disposition de tous et toutes une École publique garantissant l’égal accès à l’instruction et à la culture. Le financement public de l’enseignement catholique n’est qu’une faculté soumise à conditions par le Conseil constitutionnel : le législateur “[…] doit notamment prévoir les garanties nécessaires pour prémunir les établissements d’enseignement public contre des ruptures d’égalité à leur détriment au regard des obligations particulières que ces établissements assument” (1). Au vu des informations recueillies par les différents rapports et études évoqués plus haut, ce n’est manifestement pas le cas. Plutôt que de rafistoler un système de dualité scolaire défavorable à l’enseignement public, il devient urgent de s’en tenir au seul devoir que doit remplir l’État selon le Préambule de 1946 : l’organisation d’un enseignement public gratuit et laïque dispensant une instruction de qualité.

Dernier point : la sortie du système de financement public de l’enseignement privé sous contrat entraînerait-elle une indemnisation de l’enseignement privé par l’État ? La question ayant été soulevée lors d’une réunion du collectif, la Libre Pensée a tenté d’y répondre. Dans la mesure où il n’est pas question de nationaliser l’enseignement privé ni de préempter son patrimoine, il ne semble pas que cela soit nécessaire. En effet, dans l’esquisse de plan de sortie dessinée par la Libre Pensée, il ne serait pas porté atteinte au droit de propriété, les contrats de droit public – qui ne sont pas des marchés publics ni des concessions de service public – seraient résiliés dans un but d’intérêt général et des mesures de transition seraient prévues. Sous réserve d’inventaire, cela paraît conforme à la jurisprudence du Conseil d’État.

L’Émancipation : La question de la situation des personnels de l’enseignement privé a-t-elle été discutée dans le Collectif ? Y a-t-il un point de vue qui fasse consensus ?

D. G. : Le collectif n’a pas abordé de front cette question. Néanmoins, la prise en compte des intérêts des personnels fait l’objet, semble-t-il, d’un accord de principe unanime. De même, la négociation du devenir des agents par les organisations syndicales ne fait pas débat.

De son côté, la Libre Pensée s’est penchée sur le sort des personnels enseignants et non-enseignants des établissements privés. Si le reclassement des premiers dans l’enseignement public ne devrait pas soulever de difficultés majeures, sous réserve d’un aspect particulier, en revanche, le sort des seconds nécessiterait un plan d’accompagnement plus complexe.

Depuis la loi Censi du 5 janvier 2005, les 132 000 (en équivalent temps plein) professeur·es de l’enseignement privé sous contrat ont la qualité d’agents publics. Ils et elles sont rémunéré·es par l’État depuis 1960, selon une grille comparable à celle de l’enseignement public. Dans ces conditions, leur intégration en qualité de titulaires ou de contractuel·les de droit public dans la Fonction publique ne se heurterait pas à de graves obstacles. Toutefois, ils et elles relèvent actuellement d’un régime de retraite additionnel sans équivalent dans le public : financé par de faibles cotisations durant l’activité, il sert un complément de pension de 8 % du salaire de référence, sans compter les droits ayant été accordés gratuitement au début. Cette situation appellerait une étude approfondie.

Pour les 80 000 personnels non-enseignants, qui sont des salarié·es de droit privé relativement précaires (temps partiels nombreux, faibles rémunérations, forte féminisation) la transition paraît plus complexe si l’objectif consiste à leur garantir le maintien de leur emploi. Un plan d’accompagnement comportant plusieurs volets – recrutement sans concours au premier grade de la catégorie C, ouverture de concours spéciaux de l’Éducation nationale, plan de formation, mesures spécifiques d’accompagnement par France Travail – serait indispensable.

L’Émancipation : Quelles sont les prochaines questions sur lesquelles le Collectif va réfléchir ? Y a-t-il des initiatives en débat ?

D. G. : Le collectif a fixé un calendrier de rendez-vous au cours duquel seront entendus des experts. Une professeure de droit public a déjà présenté un exposé sur les obligations des établissements privés d’enseignement sous contrat. D’autres s’exprimeront dans les semaines et les mois à venir, notamment un de ses éminents collègues de la Ligue de l’enseignement. L’objectif est de sortir un document aussi complet que possible dans l’année qui vient.

Entretien réalisé par Quentin Dauphiné

Dossier : Attaques contre la laïcité