Émancipation a participé au deuxième convoi en Ukraine organisé par le Réseau International de Solidarité et de Lutte (RISIL) fin septembre début octobre 2022. Ci-après, le compte-rendu de cette initiative de solidarité internationale entre des travailleurs, travailleuses et leurs organisations.
Varsovie, première étape du convoi
Organisé au plan international par le réseau, il fait suite à un premier convoi qui avait eu lieu en avril avec l’appui mais sans la présence d’Émancipation. Les deux convois ont le même objectif : apporter d’une part du matériel dont la liste avait été dressée par les syndicats de Kryvyi Rih, et d’autre part le soutien internationaliste des travailleurs et travailleuses d’autres pays aux travailleurs ukrainiens et travailleuses ukrainiennes à qui nous reconnaissons le droit à l’auto-détermination et le droit de résister et se battre pour leurs droits même ou surtout en temps de guerre. C’est aussi un soutien de syndicats à des syndicats indépendants. Ceux-ci provenaient du Brésil (CSP Con Lutas), d’Italie (ADL-COBAS), d’Espagne (COBAS), de France (Solidaires et Émancipation) et de Pologne (IP). D’autres pays comme la Grande Bretagne (TUC d’Écosse) ont participé au recueil de dons pour le convoi. À Kryvyi Rih, ce sont les syndicats indépendants des mineurs et des chemins de fer qui nous ont accueillis.
Pause internationaliste en Pologne
Avant l’Ukraine, c’est à Varsovie en Pologne, que tous et toutes les membres du convoi se sont rencontré·es et où nous attendait une première tâche internationaliste. Varsovie a été l’étape obligatoire de ce deuxième convoi car le transfert et la sécurité du matériel et des personnes jusqu’à l’Ukraine, donc hors de l’espace Schengen, a été organisé sous l’égide de syndicats indépendants polonais.
Ceux-ci ont voulu profiter du passage du convoi pour faire ressortir toute l’importance de l’internationalisme dans les luttes au plan syndical. Une conférence de presse internationale a dont été organisée réunissant des syndicats indépendants polonais, le syndicat des mineurs ukrainien de Kryvyi Rih en visio, de même que l’organisation politique ukrainienne “Mouvement Social” (Sotsialnyi Rukh) en visio également, et enfin les membres du convoi représentant leur syndicat ou organisation respectifs. Le titre de cette conférence est évocateur : “Nous ne voulons pas être les travailleurs et travailleuses bon marché de l’Europe”.
L’importance de la traduction et de l’accompagnement
Un merci spécial à elles et eux. Un membre du syndicat indépendant des artistes polonais a rempli le rôle d’accompagnateur et d’organisateur dès le début de la construction du convoi par visio-conférence puis en tant que membre du convoi. Un autre membre polonais-ukrainien a accompagné le camion et servi de traducteur du russe et de l’ukrainien à l’anglais et vice-versa. Leurs rôles ont été indispensables et cruciaux. Quatre autres traducteurs, bénévoles, se sont relayés lors de la conférence de presse à Varsovie. Les traductions se faisaient à partir du russe, du polonais et de l’ukrainien, à l’anglais et l’espagnol, et l’inverse bien entendu. Les traductions ont fonctionné remarquablement de bout en bout de cette conférence de presse en simultané. Ceci dit, les prises de notes étaient difficiles. Et nous relatons ci-après les faits qui nous ont semblé les plus importants. Merci aux traducteurs dont le rôle est crucial dans de telles réunions internationales.
L’indépendance comme fondement du syndicalisme
En Pologne, en Ukraine et dans le reste du monde, seuls les syndicats indépendants des gouvernements au pouvoir peuvent être les défenseurs et défenseuses indéfectibles des travailleurs et travailleuses. Ils sont les seuls à même de mener à bien la solidarité concrète entre les travailleurs et travailleuses de tous les pays.
Combat internationaliste à Amazon
En Pologne tous les droits des travailleurs et travailleuses sont attaqués mais principalement le droit de grève. Réprimé, il est rendu quasi impossible actuellement. La judiciarisation des conflits qui en découle impose le recours à une justice de plus en plus coûteuse pour le travailleur ou la travailleuse qui doit payer une justice sans moyens.
La conférence a mis l’accent sur l’organisation au plan international des travailleurs et travailleuses d’Amazon. Une déléguée syndicale, dirigeante d’un entrepôt, licenciée d’Amazon depuis plus d’un an, a conté les expériences de grève et de résistance à Amazon pour les salaires et les conditions de travail, et contre le travail intérimaire. En Pologne certains entrepôts Amazon comptent plus de 10 000 travailleurs et travailleuses (dont les 2/3 d’intérimaires). Et beaucoup viennent d’Allemagne. Le but, casser les droits des travailleurs et travailleuses d’Allemagne et profiter des salaires polonais trois fois plus bas. La résistance des travailleurs et travailleuses s’est faite au travers de leur nouveau syndicat indépendant. Celui-ci s’organise de façon horizontale, par entrepôt. Cette organisation permet le plus de réactivité face aux problèmes qui surgissent à tout moment. Les entrepôts sont en lien constant les uns avec les autres, les polonais, et ceux des autres pays. Leur but : résister au fait qu’ils sont les travailleurs et travailleuses pas cher·es de l’Europe, instrumentalisé·es pour casser les droits du travail dans les autres pays. Ils et elles ont donc créé des liens avec les entrepôts des autres pays jusqu’aux USA. Ils et elles communiquent en permanence pour se battre ensemble sur des objectifs communs. Ils et elles ont créé l’AWI (L’Internationale des Travailleurs d’Amazon) qui privilégie cette stratégie et s’oppose à celle du dialogue social avec le patronat, utilisée systématiquement par l’autre syndicat présent dans les entrepôts, Solidarnoc, avec qui ils coopérent parfois néanmoins de façon ponctuelle.
Les tâches syndicales urgentes en Ukraine
Y. P., le dirigeant du syndicat indépendant des mineurs de Kryvyi Rih, s’est joint en visio depuis le sud de l’Ukraine. Il a détaillé les tâches que se donne le syndicat depuis que la guerre a commencé : continuer à défendre tous les droits, s’assurer de la vie ou de la survie de tous les travailleurs et de leur famille, qu’ils soient au front, au travail ou sans travail et aussi de les former militairement quand c’est nécessaire. En octobre 2022, date de passage du deuxième convoi, tous les salarié·es de Kryvyi Rih étaient encore payé·es. Mais les lois scélérates qui ont été votées par le gouvernement suppriment, entre autres, l’obligation pour les patrons de payer les travailleurs qui sont au front. Pour toucher le revenu du soldat parti se battre, la famille de l’appelé ou du volontaire va devoir prouver qu’il est au front. Cela entraîne de nouvelles démarches administratives très lourdes. Des démarches qui ne vont pas pouvoir se faire et des familles vont se retrouver dans le besoin comme cela commence à se passer déjà maintenant. Cette attaque de la part du gouvernement est lourde de sens, sinon injustifiable, car ceux qui font la guerre sont pour 90 % des salariés. Ainsi, le gouvernement, qui devrait avoir pour préoccupation de leur assurer leurs revenus, les en prive, en accord avec le patronat. Ces lois scélérates marquent un tournant très important, vers une droite très dure, qui montre la soumission du gouvernement Zélensky aux diktats néo-libéraux venant des pays occidentaux. Pour preuve, à peine les lois passées, Zélensky, a été invité à l’université d’été du MEDEF. Il a prononcé le discours inaugural et a demandé aux patrons du MEDEF de venir monter leurs entreprises en Ukraine. Conséquence de ces lois, les tâches des syndicats indépendants vont s’alourdir énormément.
Les tâches politiques du “Mouvement Social” en Ukraine
Le “Mouvement Social”, était invité à la conférence de Varsovie en visio, lui aussi, depuis l’Ukraine. Nombre de membres du réseau en font partie. Au début de l’offensive russe, devant l’afflux massif et spontané de volontaires pour se battre, devant toutes les casernes du pays, il s’est donné pour tâche d’être partie prenante de l’organisation matérielle des volontaires au front, et d’élaborer une analyse politique de gauche de la situation de l’Ukraine en guerre pour unir ceux qui se battent ou qui résistent, et contrer l’influence potentielle de l’extrême droite (disparue du paysage politique depuis Marioupol).
Avant tout, il est important de comprendre que le commandement militaire de Zélensky n’est aucunement contesté. Mais derrière cette réalité, le Mouvement Social insiste sur l’urgence d’occuper le champ politique à gauche, et ce même dans un pays en guerre, car si bien que ce commandement militaire est respecté pour l’heure, il est légitime de redouter que les travailleurs et travailleuses soient instrumentalisé·es par la guerre. La vigilance doit être là tant il est certain que le capitalisme mondialisé ne recule devant rien. Les lois scélérates du gouvernement Zélensky en sont la preuve. Les travailleurs et travailleuses doivent préparer la riposte.
Ainsi, depuis l’extérieur, la Russie attaque leur droit démocratique à l’auto-détermination. Ceci dit Poutine, qui coche toutes les cases du dictateur, ne s’arrêterait pas là s’il gagnait. Comme cela se passe déjà dans les républiques auto-proclamées de l’Est. Et depuis l’intérieur, le gouvernement Zélensky supprime tous les autres droits. Une première tentative ratée a eu lieu en 2019. La résistance syndicale l’a stoppée. Et c’est en temps de guerre, de façon scandaleuse, qu’il revient à la charge et parvient à ses fins. Ces lois n’ont rien d’un effort de guerre comme certains l’affirment. Selon le Mouvement Social, “Sotzialnyi Rukh”, il y a urgence à analyser, et élaborer un programme et des perspectives. Vitali Dudin, le secrétaire du Mouvement Social, en visio conférence, a détaillé ces tâches que le Mouvement Social s’est données lors de son congrès/conférence tenu au plan national quelques jours auparavant. Ci-dessous un résumé.
Le constat
Les réformes du gouvernement Zélensky en Ukraine
- visent à déréguler, précariser, empêcher toute négociation collective (qu’ils appellent dialogue social) ;
- ce sont les plus radicales depuis 1991, qui changent la nature de la relation employeur/employé·e, les droits au chômage et suppriment l’inspection du travail.
La réforme transforme le contrat de travail. Celui-ci établissait que les obligations de l’employeur vis-à-vis de l’employé·e découlaient d’un lien de subordination juridique. À présent, le contrat est de droit civil (ou de gré à gré ou de personne à personne), ce qui permet le licenciement sommaire et arbitraire des travailleurs et travailleuses.
Les réformes impliquent que
- 35 % vont perdre leur emploi,
- les salaires vont baisser de 15 %,
alors que
- des centaines de travailleurs et travailleuses sont mort·es sur leur lieu de travail sous les bombes russes,
- les organisations syndicales sont détruites par la guerre et le nombre de syndiqué·es diminue.
En conséquence les travailleurs et travailleuses sont acculé·es à accepter n’importe quelles conditions de travail.
La défense des droits
- Les organisations syndicales ne peuvent plus empêcher les licenciements, ni faire grève pour défendre les droits collectifs des travailleurs et travailleuses.
- Les tribunaux n’ont plus de moyens et les travailleurs et travailleuses doivent payer eux et elles-mêmes s’il/ elles les saisissent.
Les lois scélérates récentes du gouvernement Zélensky
- La loi 2136 autorise la suspension du travail (sans paie), augmente le temps de travail jusque 60 heures par semaine et autorise le licenciement plus rapidement qu’avant.
- La loi 2352 autorise les patrons à ne plus payer ceux qui partent en guerre, et introduit nombre de nouvelles raisons de licencier.
- La loi 2421 autorise les contrats zéro heure, donc des salaires insuffisants pour vivre.
- La loi 2434 intronise les contrats gré à gré et un nouveau type de licenciement sans motif mais avec compensation !
Les exigences (mots d’ordre)
- •Abolition de toutes ces lois.
- Une nouvelle loi pour rétablir l’Inspection du travail.
- La participation des syndicats au management de l’entreprise.
- Interdiction pour le gouvernement d’adopter des lois rejetées par les syndicats.
- Augmenter les salaires au niveau européen pour éviter la compétition entre les travailleurs et travailleuses.
- (Remarque : on peut s’interroger sur la troisième exigence. D’une langue à l’autre, des ambiguïtés peuvent exister et les mêmes mots parfois n’ont pas la même signification. Mais la discussion à ce sujet n’a pas pu avoir lieu).
Intervention des membres du deuxième convoi
Dans un contexte de crises économique, sociale, écologique et politique, partout, les droits des travailleurs et travailleuses sont attaqués. Face à cette offensive généralisée, émerge une résistance sous des formes multiples : petits et grands mouvements de résistance auto-organisés à la base, sous forme de grèves et mobilisations, la convergence des luttes, les caisses de grève, les fronts unis avec les mouvements politiques vraiment à gauche, mais aussi l’émergence des syndicats ou courants syndicaux indépendants souvent seuls à même de faire le lien indispensable entre les secteurs en lutte, et qui dénoncent le dialogue social comme unique stratégie des syndicats officiels.
La solidarité internationale, commence à s’imposer, comme stratégie incontournable pour répondre au caractère mondialisé du néo-libéralisme : pétitions, campagnes communes, prises de positions officielles, grèves simultanées dans plusieurs pays…
Ont été évoquées les grandes grèves et mobilisations en cours, dont celle de la mine de charbon de Novovolynsk en Ukraine victorieuse contre la privatisation malgré l’interdiction du droit de grève. Celle des raffineries en France et en Italie, en cours pour une augmentation de salaire. Celle des compagnies aériennes low-cost en Italie pour les salaires. Celle des associations paysannes au Brésil contre l’artificialisation des terres entre autres. Et celles en Angleterre qui devraient se poursuivre après la mort de la reine ainsi que les mobilisations qui s’organisent dans tout le pays contre l’augmentation des factures d’énergie.
Au nom d’Émancipation, je suis intervenue sur le frein à la grève que constitue la stratégie unique du dialogue social avec le gouvernement auquel participent toutes les directions syndicales en France. Stratégie qui, basée sur des grèves et mobilisations d’un jour, exclut de fait la construction d’un vrai rapport de force avec les travailleurs et travailleuses dûment informé·es et organisé·es, seule condition pour que la riposte contre les lois scélérates françaises, ait une chance d’être victorieuse.
De Varsovie à Kryvyi Rih, en Ukraine
À Varsovie, avant le départ pour l’Ukraine
La conférence de presse était organisée l’après-midi du premier jour à Varsovie, Varsovie étant le lieu de regroupement du convoi. La camionnette remplie de matériel, avait voyagé de France, les deux jours précédant avec des membres de Solidaires. Son départ de Varsovie était prévu le lendemain matin, tôt, avec un chauffeur qui nous a accompagné·es jusqu’au retour, et deux des dix membres du convoi pour l’Ukraine. Les huit autres membres partaient en fin d’après-midi en bus par une ligne régulière, moins chère. Concernant le chauffeur de la camionnette, Y., il a été militant de Solidarnosc à Gdansk à sa création en 1980. Le syndicat Solidarnosc, fut à l’origine du renversement du régime communiste pro-soviétique, en 1989, après la chute du mur de Berlin. Y. et nous avons été très fier·es d’être ensemble dans ce convoi.
Les quelques heures passées à Varsovie ont été mises à profit pour acheter des sprays d’auto-défense pour les femmes. Et le temps restant, pour faire une visite au musée du ghetto de Varsovie. Devant cette partie de l’histoire qui dépassera toujours l’entendement, et parmi les louanges et les critiques que l’on peut faire, je ne puis m’empêcher de faire une critique toute personnelle, c’est le regret que la révolte plus qu’héroïque de Treblinka ne soit pas plus remémorée ni honorée dans ce musée.
Bien sûr nous n’étions pas là pour visiter, mais en traversant la ville de Varsovie, son histoire saute aux yeux. Entièrement détruite lors de la Deuxième guerre mondiale, sauf un tout petit centre que nous n’avons pas vu, sa reconstruction complète à laquelle un musée est dédié, est remarquable : de larges avenues, des immeubles d’habitation bas, des parcs qui émaillent la ville, des arbres partout. Une mention spéciale pour le Palais de la Culture, juste à côté de la gare, offert par Staline, dont la présence écrase tout ce qu’il y a autour. Sa ressemblance avec l’Empire State Building de New York est indéniable, lui fait concurrence et rappelle la guerre froide. Rejeté par beaucoup du seul fait de son origine, il semble agir comme repoussoir de l’Union Soviétique toujours bien présente dans toutes les têtes. Une remarque concernant la carte bancaire. Tout se paye par carte partout en Pologne, même dans les petits magasins, même pour les petites sommes, un indice de la mondialisation de cette technologie en même temps que de l’idéologie attenante. Quant au taux de change avantageux pour l’Euro, il témoigne, lui, d’une tierce mondialisation certaine de la Pologne. Les très bas salaires le confirment.
Premiers contacts avec l’Ukraine et Kryvyi Rih
Il y a eu 28 heures de bus dont trois passées à la frontière polonaise (frontière de l’espace Schengen). À partir de la frontière ukrainienne, nous avons traversé de nombreux postes de contrôle routier, surtout aux abords des villes. Des murs de sacs de sable, des cabanes, entre lesquels il fallait louvoyer, et des militaires les encadrant. Aucun contrôle ne nous a été imposé.
Quant à la campagne traversée, de rares vaches souvent seules dans de grands prés très verts, la pluie ayant été au rendez-vous la moitié du temps. Les Ukrainiens et Ukrainiennes mangent peu de viande bovine, mais du cochon et du poulet dont les énormes élevages en batteries ponctuent la route. Nous avons aussi traversé les terres noires d’Ukraine, le Tchernoziom, des centaines de kilomètres de plaines à peine ondulées parfois entourées de haies, recouvertes de monocultures de maïs et de tournesol essentiellement. Ce n’était la saison ni du blé ni des autres céréales.
L’arrivée à Kryvyi Rih, nous a étonné·es quand nous avons découvert que la ville avait 140 km de long, articulée de chaque côté des puits de mines et du chemin de fer comme une longue colonne vertébrale. À notre arrivée, le sud de la ville jouxtait la ligne de front mais le front s’est éloigné depuis. Incroyable ville d’environ 660 000 habitant·es avant la guerre nous a-t-on dit, très boisée, accueillante, parsemée de parcs et de plans d’eau. Les puits de mines sont tous privatisés et appartiennent à des oligarques russes, ukrainiens et au grand capitaliste indien Arcelor Mittal. Le chemin de fer, encore service public en Ukraine, la fierté des travailleurs et travailleuses rencontré·es, transporte toutes les richesses de l’Ukraine. Pour cela ses rails sont plus écartés pour supporter plus de poids. À Kryvyi Rih, c’est le minerai de fer qu’il transporte, l’un des plus riches au monde. C’est un minerai riche à 65 % de teneur en fer, très prisé car d’extraction peu onéreuse. Et la veine exploitée actuellement se trouve au-delà de 300 m de fond. Tout cela explique l’importance stratégique de cette ville qui fut l’un des plus gros complexes miniers et sidérurgiques au monde avec peut-être encore les plus gros hauts fourneaux du monde.
L’arrivée dans une ville en guerre
Arrivé·es tard le soir, la rencontre avec les syndicats indépendants a été reportée au lendemain matin. La cause en est le couvre-feu de 22h à 6h, très respecté par tous et toutes. Une preuve manifeste de la confiance, s’il en était, dans le commandement militaire de Zélensky et de son armée, conséquence d’une mobilisation massive volontaire, générale et spontanée dans tout le pays, dès le premier jour, démontrant la volonté sans ambiguïté de résister. Les discussions avec les syndicats, nous ont bien montré que tous les travailleurs des mines ou des chemins de fer sont soit au front, soit ont un ou deux ou plus de membres de leur famille au front, et qu’ils ont pour certains des postes de commandement.
C’était la première fois qu’une si nombreuse délégation internationale se déplaçait à Kryvyi Rih. Tous les membres du bureau du syndicat des mineurs se sont déplacés à cette occasion, ainsi que les dirigeants du syndicat des cheminots : environ 30 personnes en tout. Tout cela sous une surveillance de tous les instants.
Le syndicat des mines
C’est un syndicat d’industrie. Les métiers qu’il représente sont : mineurs, sidérurgistes, métallurgistes, mécaniciens et même membres de l’enseignement, plus de 70 000 travailleurs, travailleuses de la ville. Il existe depuis 30 ans et a gagné ses titres de noblesse en se différenciant des syndicats des “bananes”, les jaunes, affidés du gouvernement.
Les membres du bureau ont parlé chacun de leur champ d’intervention (y compris un secteur handicapé) et des difficultés en ce temps de guerre. La personne en charge des affaires juridiques a expliqué les conséquences qu’auraient les lois scélérates dans la vie des travailleurs, travailleuses et de leur famille de Kryvyi Rih. Des familles sans père se retrouvent déjà sans ressource. Et “avec la baisse des salaires” a-t-elle conclu, “il nous faudra travailler 12h par jour ou mourir de faim”.
D’autre part ceux ou celles qui osent résister aux nouvelles lois qui commencent à s’appliquer, sont sanctionné·es. Comme I., mineur-artificier, premier licencié de la mine d’Abramovic, l’oligarque russe, pour avoir contesté un changement de conditions de travail. Depuis qu’il est propriétaire de la mine, celui-ci a exercé tant de pressions sur tous ses collègues artificiers, qu’il ne reste que trois artificiers syndiqués sur les 1000 avant.
Y.P. a souligné l’importance de l’aide internationaliste, matérielle et morale car les attaques patronales vont jusqu’au crime parfois. Et l’armement est très important pour le monde du travail car les employeurs, à Kryvyi Rih, ont mis sur pied une armée privée forte de 600 hommes. D’autre part, aucun mineur affilié aux syndicats des “bananes”, n’a été envoyé au front. Alors que la moitié du syndicat indépendant a été mobilisée, dont beaucoup de délégués. Et de même que pour les cheminots, les mineurs, dit-on, sont très prisés par l’armée car ils ont l’esprit d’équipe. (Surtout ceux des syndicats indépendants – ndlr).
Quant aux droits syndicaux des mineurs, ils sont fortement remis en cause. Nous avons pu constater l’état lamentable du siège du syndicat des mineurs, situé sur la propriété d’Abramovic. Nous y sommes allés à pied à la fin de la réunion internationale. L’état du petit immeuble est très dégradé et l’électricité et l’eau y sont coupées en toute illégalité depuis plusieurs années par l’oligarque russe. On nous a aussi demandé de rentrer ostensiblement dans les locaux en présence de I., le mineur-artificier licencié abusivement, en guise de mini-manifestation internationale pour sa défense. Sachant que tout est filmé dans l’enceinte de la mine, il s’agissait de faire un pied de nez à Abramovic, faire pression sur lui pour aider à la réembauche et aux compensations du licenciement d’I.
Le syndicat des cheminots
Ce syndicat rassemble les différents métiers des chemins de fer qui sont encore Service Public d’État, contrairement aux mines et au complexe métallurgico-sidérurgique qui sont privés. Le syndicat a 30 000 membres dans le pays (13 % des cheminots). Aujourd’hui, 10 % sont réquisitionnés pour assurer la sécurité des villes en général, et celle des convois en particulier à Kryvyi Rih. Le rôle des cheminots est crucial dans le blocage de certaines villes, qui assurent le transport du matériel de guerre, des soldats, et des migrants et migrantes. Le syndicat, à l’égal de celui des mineurs s’assure de la santé, de la vie et de la sécurité des cheminots tant au travail qu’au front. Pour son dirigeant local, W., l’internationalisme, doit être une réalité dans le syndicalisme pour le renforcer.
W. est conducteur de train et accessoirement ex-commandant dans l’armée. Les conducteurs sont souvent moteurs dans l’action syndicale. W. a fait part de la crainte des cheminots quant à un éventuel changement de perspectives de la guerre en cours, conséquence du changement politique dû au passage des lois scélérates par le gouvernement Zélensky. Avec elles les patrons, vont regagner un pouvoir d’exploitation énorme, imposant à la société un retour vers le féodalisme. Ces lois vont transformer jusqu’à la nature de la guerre. Car est-ce que les salariés en guerre, vont accepter de se battre avec pour seule perspective, de retourner dans une société qui va les exploiter bien pire qu’avant. Pour eux c’est inconcevable et c’est le nœud du problème.
Notre réunion s’est achevée par des photos puis nous avons essayé de discuter autant que possible avec les délégués. Si la langue a été parfois une barrière difficile à dépasser, l’important était ailleurs. Un repas nous a permis de passer un moment convivial tous et toutes ensemble.
C’est après le repas de midi que le matériel a été acheminé vers sa destination finale : des générateurs électriques, des lanternes, des sous-vêtements thermiques, des trousses de premiers secours tactiques, des boîtes à outils et autres choses nécessaires dans les réalités modernes, des choses ménagères. Des mineurs syndiqués mais dans l’armée devaient s’occuper de les décharger et les sécuriser. Seuls cinq membres du convoi ont été autorisés à y participer.
La fin du convoi, quelques à côtés
À Kryvyi Rih, malgré la guerre à deux pas, la vie continue comme si de rien n’était, comme s’il n’y avait pas les sirènes qui retentissent à tout bout de champ, auxquelles personne ne fait attention. Deux nuits sous le couvre-feu, ont aussi permis de graver dans les mémoires de certains et certaines, une voie lactée comme dans le désert au-dessus d’une ville immense. Après une nuit réparatrice, dans un hôtel impeccable, à deux par chambre, nous avons appris qu’un obus était tombé quelque part au sud de la ville.
Le matériel a été déchargé sans encombre. Deux jours après, un syndicat officiel, le KVPU a même officialisé le passage du convoi dans un journal et publié une liste partielle du matériel.
Le but du voyage étant atteint, nous avions deux ou trois heures de libres avant le couvre-feu. Y.P. nous a invité·es dans un salon de thé et à marcher un peu dans la ville. Des arbres et des parcs partout, des trottoirs avec beaucoup d’herbe, des immeubles d’habitation bas et sans murs autour. Nous sommes passé·es devant un monument particulier au sujet duquel on nous a tristement expliqué qu’il s’agissait des vestiges d’un grand théâtre public de marionnettes autrefois renommé. Privatisé à la chute du mur, il n’a jamais été entretenu. Il est tombé en ruines et a été détruit.
Nous sommes reparti·es le lendemain matin.
31 heures de bus nous attendaient pour un retour pourtant plus direct qu’à l’aller. La frontière de Schengen nous a retenu·es six heures cette fois de nuit sans en connaître la raison.
Avec ce message des syndicats officiels ukrainiens, notre convoi était ainsi officialisé. Et en ce 6 octobre 2022, trois jours après le retour d’Ukraine, de bonnes nouvelles nous parviennent du front. Aujourd’hui, l’armée ukrainienne progresse partout dans l’Est. Cela ne peut que conforter l’existence des convois d’aide internationale humanitaire dont nous sommes convaincu·es du caractère essentiel tant au plan matériel que moral pour tous ceux qui se battent en Ukraine pour repousser l’armée russe.
Ci-après, la traduction du communiqué, postérieur au convoi, d’une confédération de syndicats ukrainiens non indépendante.
Dans le cadre du deuxième convoi humanitaire international d’aide à l’Ukraine à Kryvyi Rih, il y a eu une réunion des travailleurs syndicaux européens et des dirigeants du mouvement syndical indépendant de la ville et de la région.
La délégation du Réseau international de solidarité et de résistance a remis la cargaison humanitaire aux professions de Kryvyi Rih. Les membres des organisations syndicales de la ville qui défendent l’Ukraine sur le front ou sur les bancs de l’Assemblée. Les forces armées d’Ukraine ont reçu des générateurs électriques, des lanternes, des sous-vêtements thermiques, des trousses de premiers secours tactiques, des boîtes à outils et autres choses nécessaires dans les réalités modernes, des choses ménagères.
Merci aux collègues polonais pour leur soutien !
Marie Contaux