La FSU (Fédération syndicale unitaire) est l’une des principales organisations de la Fonction publique, et surtout la principale fédération syndicale de l’éducation. 80 % de ses adhérent·es travaillent en effet dans le secteur de l’éducation. C’est une fédération syndicale réformiste assez classique, avec toutefois une particularité démocratique : le droit de tendance.
Elle se caractérise aussi par une structuration corporatiste, qui accepte voire entretient les divisions catégorielles (entre profs du primaire et du secondaire, entre fonctionnaires et précaires..). Elle regroupe environ une vingtaine de syndicats professionnels différents…
… et peut-être bientôt un syndicat professionnel de plus, et pas n’importe lequel : un syndicat de police, le SNUIPN (Syndicat national unitaire de l’Intérieur et de la Police nationale).
Une intégration discrète et presque honteuse ?
En effet, le 10 avril, le conseil national de la FSU (en quelque sorte un “parlement” syndical regroupant une centaine d’élu·es nationaux) a voté un “protocole d’association” avec le SNUIPN. Ce “protocole d’association”, valable pour trois ans, n’est pas à proprement parler une intégration directe à la FSU, mais il constitue une étape décisive dans cette direction. Il permet en tout cas au SNUIPN d’arborer le logo de la FSU dans ses manifestations publiques (y compris par exemple des manifestations avec d’autres syndicats de policiers…).

Deux remarques s’imposent sur la forme. Tout d’abord, il faut bien constater que cet accord a été voté à une très large majorité : sur 98 votant·es, seulement 10 voix “contre” (essentiellement les tendances Émancipation et Front unique). Ensuite, il faut bien constater aussi que cela s’est fait très discrètement : les débats n’ont pas dépassé en général les instances nationales des syndicats, limitées à quelques dizaines de personnes. La seule exception notable est le SNES (syndicat des collèges et lycées), qui en a traité lors de son congrès national en mars. Les deux questions sont liées : c’est probablement parce que le débat a été très restreint que l’appareil syndical a gardé le contrôle de la discussion et a pu obtenir une approbation aussi massive de son conseil national. La direction de la FSU, pourtant peu avare de communiqués, n’a rien laissé transparaître publiquement.
Pourtant, bien des choses pourraient alerter les militant·es de la FSU. Car le SNUIPN, s’il dénonce certains aspects de la politique policière du pouvoir, défend aussi des positions qui posent problème.
Ainsi, il refuse de reconnaître le racisme et la violence systémiques de la police française : pour lui il n’y aurait pas de “violences policières” liées à l’institution elle-même, mais seulement quelques dérives individuelles. Au sein de la FSU, les débats ont été importants sur cette question ces dernières années : la FSU a fini par accepter cette notion dans ses textes de congrès. Remarquons d’ailleurs que le protocole d’accord entre la FSU et le SNUIPN contourne pourtant hypocritement cette question, en parlant uniquement de “certaines pratiques policières”, ce qui est tout à fait creux.
Mais au-delà de certaines positions du SNUIPN, la question centrale est une question politique : un syndicat de police a-t-il sa place dans le mouvement ouvrier ?
Syndicat de police, police dans les syndicats ?
Pour la direction de la FSU, le fond de la discussion est le suivant : les policier·es sont des travailleur·es de la Fonction publique comme les autres, avec des spécificités professionnelles certes, mais comme toutes les autres professions de la Fonction publique. C’est d’ailleurs le sens de l’intervention du porte-parole de la tendance majoritaire Unité & Action 1 : si on devait refuser des policier·es dans la FSU parce que la police réprime, alors pourquoi pas refuser aussi les profs puisque l’Éducation nationale organise le tri social ?
Or, rien n’est plus faux. Si toutes les institutions de l’État ont aussi pour rôle de maintenir le pouvoir des classes dominantes, l’institution policière joue un rôle réactionnaire particulier.
Pour le mouvement ouvrier, cela pose la question de faire la différence entre les personnels qui travaillent dans une institution, et l’institution qui les emploie. Oui bien entendu, il est possible qu’il y ait des policier·es subjectivement progressistes dans la police ; mais la police comme institution est une institution de répression qui en dernier ressort défend le pouvoir d’État capitaliste et ses gouvernements. Elle est structurellement raciste et violente.
La direction de la FSU propage les mêmes illusions réformistes que d’autres directions syndicales au sujet de la police. Pour elle, l’institution elle-même n’est pas un problème : la police est au service de la population. Et ce dans une situation où l’on a connu des vagues de répression policière sans précédent : contre les Gilets jaunes, les travailleur·es mobilisé·es pour le retrait de la réforme des retraites, les Soulèvements de la Terre, les mobilisations féministes, les jeunes révolté·es des quartiers populaires…
Pour la direction de la FSU comme pour les responsables du SNUIPN, s’il y a des violences policières (concept qu’ils mettent discrètement sous le tapis comme on l’a vu), ce n’est pas parce que le gouvernement décide délibérément de déchaîner la violence contre les contestataires, ni parce que tel est le rôle de la police… mais parce qu’il y a des dérives individuelles de certain·es policier·es, voire parce les policier·es manquent de moyens, de formations, et sont en sous-effectifs ! Arguments qui par ailleurs, partent d’un constat hautement discutable 2.
Cette discussion sur le rôle de la police et la possibilité d’une police “progressiste” n’est pas une discussion nouvelle dans le mouvement ouvrier, elle revient ici sous les mêmes formes : au final, c’est une discussion sur la nature de l’État dans une société capitaliste.
La position de la direction de la FSU même si l’intégration du SNUIPN n’est pas encore réalisée, et même si au final elle pourrait en théorie ne pas avoir lieu (ce qui est assez peu probable), est donc néfaste pour le mouvement syndical et ouvrier. Elle entre en contradiction frontale non seulement avec l’expérience de larges couches de travailleur·es mobilisé·es ces dernières années, mais aussi avec l’expérience politique concrète d’un grand nombre de syndiqué·es et de militant·es de la FSU elle-même. Elle va à l’encontre de l’une des tâches centrales du mouvement ouvrier, qui est de s’organiser pour se défendre (juridiquement comme dans la rue) contre la répression de la police d’État. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si par exemple le SNUIPN, même si par ailleurs il condamne les LBD, refuse toute revendication allant à l’encontre de la militarisation de la police. Dans le protocole d’accord qui a été voté par le Conseil national de la FSU, on sent d’ailleurs quelque peu l’embarras : « Sur les questions d’ordre général concernant les libertés publiques et les pratiques policières, les mandats du SNUIPN pourront être portés au débat par lui, mais ne sauraient limiter ou contraindre la façon dont le positionnement fédéral se construira et sera défendu publiquement »… il est difficile de faire plus alambiqué… car au final, comment prétendre empêcher que le SNUIPN influence les positions de la FSU sur ces questions ?
Car c’est un dernier point, qui aggrave les autres : le fonctionnement et la structuration de la FSU. Contrairement aux syndicats “d’industrie” (regroupement des travailleur·es des différentes catégories présentes sur un lieu de travail, dans le même syndicat)… la FSU est organisé en syndicats dit “de métiers” (profs du primaire, du secondaire, administratif, personnels agents…), chaque catégorie ayant son propre syndicat. Cela pousse à reproduire et entretenir les divisions catégorielles, gênant la construction de l’unité de tous les travailleur·es face à l’État-patron. Mais cela a aussi une autre conséquence très concrète : dans ce fonctionnement, les positions de la Fédération syndicale sur un sujet précis, reprennent celles du syndicat concerné (par exemple : sur le fonctionnement de l’école primaire, ce seront les positions du syndicat du primaire qui s’appliqueront). En toute bonne logique, sur toutes les questions liées à la police et aux violences policières, la FSU devrait reprendre les positions du SNUIPN… on comprend qu’elle soit un peu gênée aux entournures 3.
Au final, on l’a dit, cet épisode montre une nouvelle fois les impasses auxquelles mènent les illusions de la gauche réformiste par rapport à l’État capitaliste et sa police. Il est nécessaire que ces questions soient débattues publiquement, et pas uniquement dans le cadre feutré des instances syndicales nationales.
Quentin Dauphiné
- L’une des particularités de la FSU est le droit de tendance, qui est statutairement reconnu. Il y a en tout cinq tendances, Unité & Action est la tendance majoritaire, dont les positions sont proches de celles du PS et du PCF. ↩︎
- Voir par exemple à ce sujet le livre très utile de Paul Rocher : Que fait la police ? et comment s’en passer, La Fabrique, 2022. Ainsi, il réfute l’hypothèse d’une diminution des moyens de la police, montrant même que l’évolution est inverse depuis les années 1990 au moins. ↩︎
- La tendance École Émancipée, qui co-gère la direction de la FSU, est encore plus gênée… mais a soutenu le “protocole d’association” avec le SNUIPN. ↩︎