Bouchard, c’est de l’or en page et du cœur en ligne. Ça brille et ça saigne. Comme un hakapik. Le dernier roman de l’auteur québécoise, Le Murmure des hakapiks est le 3e volet des aventures de Joaquin Moralès, d’origine mexicaine à la cinquantaine en crise, inspecteur désabusé, membre de la SQ – Sûreté du Québec – qui voit sa vie s’étioler en arrivant sur un nouveau poste en Gaspésie. Sa femme qui devait le rejoindre ne le rejoindra pas. Il se plonge alors dans son travail, se frotte à ses nouveaux collègues, peine à comprendre les habitant·es – et leur mauvaise volonté – de ces terres léchées par la mer.
Une vague
Alors que Moralès attend, la voiture pleine du déménagement, l’arrivée de sa femme qui ne semble pas vouloir arriver, il doit affronter le ressentiment de toute une province marquée par la mort de Marie Garand d’un méchant coup de bôme. Et que si certains semblent la regretter, comme Cyrille, d’autres lui en veulent même après sa mort, comme Guylaine. Qui était vraiment Marie ? Moralès cherche. Au même moment une femme, Catherine Day, cherche aussi, elle, ses origines…

Nous étions le sel de la mer est une promesse (tenue) ; celle de damer une narration noire en s’envolant dans les embruns, éclaboussés par cette poésie qui tranche dans le vif et révèle l’amère certitude que l’on peut manquer sa vie mais réussir sa mort. Et pis pour trouver la solution, Cyrille le dit à Moralès, faut pas voir le cadavre mais la femme vivante. Et ne pas alourdir son sac à remords.
Deux vagues
Moralès arrive sur une enquête avec 14 heures de retard. Sa collègue Simone le lui reproche et ça coince entre eux. En Gaspésie où on vit de ce que la mer nous prête sous le reflet et la surveillance de la lune, une femme a disparu à bord de son bateau. La femme c’est Angel Roberts qui “a la foi rêveuse des damnés de la mer”, une des rares femmes à pêcher dans le coin.
C’est son chum Cyrille, qui est en train de mourir et qui attend qu’il lui raconte la mer, chaque jour, qui pousse Moralès à enquêter : “– Parce que c’est une femme qui a disparu” et “– Cette fille-là aussi, c’est la fille de quelqu’un !”.

Empreint d’une poésie noire qui ne laisse d’autre espoir que celui de se réjouir d’avoir vécu : “Elle ouvre grands les yeux, regarde la lune une dernière fois, et ne les referme plus”. La Mariée de corail nous fait assister à la fin d’Angel, à son identification, aux circonstances de son décès, au constat de sa disparition, à son rapport d’autopsie avant même que Moralès s’y intéresse. “Il n’y a aucun témoin direct dans cette affaire”, si ce n’est nous le lecteur et son instigateur… “Continue à regarder la mer pis je te le jure : à un moment donné, tu vas la voir.”
Trois vagues

Le Murmure des Hakapiks scinde Simone et Moralès alors que chacun tombe amoureux de l’autre sans oser se l’avouer. Ils se sont précédemment dédaignés pour finir par manger un soir ensemble, et ont regretté de n’avoir pas su dire ou faire plus. Simone, des Pêches et Océans Canada, embarque à bord du Jean-Mathieu comme observatrice de la chasse aux phoques (elle surveille l’abattage) qui s’annonce difficile. “T’as-tu un problème ?” Oui, Simone en a deux. Une météo et un équipage hostiles (ce dernier met les policiers au niveau des animalistes, c’est dire) vont rendre le voyage plus que dangereux. Moralès, lui, a cédé aux vacances et se tient prêt à un périple en ski avec des collègues qui ont emporté un dossier. Au fur et à mesure que Simone, “du genre à crier Feu ! […] devant [son] propre peloton d’exécution” comprend qu’elle est embarquée pour autre chose que les phoques et qu’elle est en danger, Moralès tente de relier les fils dans son enquête sans comprendre qu’elle est liée à ce que vit Simone…
Plus noir que les précédents, moins consensuel – “C’est quoi ton hostie de problème ?” – car la mer ne juge pas ; la chasse aux phoques impressionne, les chasseurs sont bruts et colériques mais “aiment tout de la mer” et les animalistes hautains et hargneux, voire hypocrites mais médiatiques – “C’est-tu assez clair ?”. Le Murmure des Hakapiks confirme le talent de Roxane Bouchard qui sait, dans un huis-clos terrifiant, nous faire évader du glaçant de la banquise vers les cœurs qui battent et qui saignent et, quand on pleure, on a “les yeux emplis de sel”. “Tabarnak !”. Bouleversant. “Souffrir, c’est aussi ça, être vivant”.
François Braud
- Nous étions le sel de la mer, Roxanne Bouchard, L’Aube, Mikrós noir, 2023, 363 p., 11€90 € / Prix des lecteurs Quais du Polar 2023.
- La Mariée de corail, Roxanne Bouchard, L’Aube, Mikrós noir, 2024, 640 p., 12€90 €/ Prix Mystère de la Critique 2024.
- Le Murmure des Hakapiks, Roxanne Bouchard, L’Aube noire, 2024, 301 p., 19€90 €.
Voir aussi l’entretien avec Roxanne Bouchard : https://emancipation.fr/?page_id=10999