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Les possibilités du noir

François Braud s’est entretenu avec Roxane Bouchard.

L’Émancipation : Vous semblez avoir fait le choix du noir. Pourquoi ?

Roxane Bouchard : J’écris de toutes les couleurs ! Au Québec, j’ai publié de la blanche, des essais sur l’univers des militaires (dont j’ai fait une pièce de théâtre), des nouvelles (dont une érotique) et la série Moralès, qui bat en ce moment sous pavillon français.

Le noir, c’est une littérature avec ses codes, oui, mais elle permet de parler de politique, de société ; de faire découvrir un monde. J’aime ses possibilités.

L’Émancipation : La Gaspésie et vous, ça semble être une histoire d’amour. Elle semble plus contrariée pour Joaquin, du moins au départ. Qu’est-ce qui vous attire là-bas ?

R. B. : J’ai été membre d’équipage sur divers voiliers et, de fil en aiguille, j’ai succombé au charme des histoires de pêche. La mer, c’est un monde à part et Moralès va l’apprivoiser le jour où il acceptera de se confier aux pêcheurs, qui en sont les premiers habitants.

L’Émancipation : Votre premier roman publié en France, Nous étions le sel de la mer, semble prendre le prétexte d’une intrigue pour épuiser les dérives des sentiments humains en jouxtant locaux et migrant·es. Êtes-vous plus fond que forme, l’inverse ou les deux ?

R. B. : Dans les polars qui m’intéressent, j’aime l’histoire de l’enquête et l’histoire de l’enquêteur. Je veux qu’on me dévoile une intrigue, mais aussi qu’on me parle de l’humanité. Alors j’essaie de faire de même. À partir du moment où je lis un auteur, je ne choisis pas uniquement le récit qu’il ou elle m’offre, mais sa voix, également. Fond et forme sont ainsi intimement liés à ce que j’appelle le rythme. Ça fait comme une musique.

L’Émancipation n : Quel est votre personnage principal : Joaquin, la victime (Marie, Angel) ou la mer ?

R. B. : Mon premier directeur littéraire disait que c’est l’histoire d’un village qu’une morte vient déranger…

L’Émancipation : La Mariée de corail vient d’obtenir le Prix Mystère de la Critique 2024. Ça a une importance pour vous, un prix ?

R. B. : Un prix pareil, c’est une joie, un coup d’adrénaline qui donne envie d’écrire ; qui propulse le livre et l’autrice. C’est fou ! Mais c’est aussi une responsabilité, celle de ne pas s’enfler l’ego et de poursuivre l’écriture avec authenticité afin de ne pas décevoir, si possible, les lecteurs qui décideront de me lire, de me suivre, peut-être.

L’Émancipation : On qualifie souvent votre musique narrative de poésie. En êtes-vous heureuse, gênée ou marrie ?

R. B. : J’aime beaucoup votre expression “musique narrative”. La poésie est un art en soi et les poètes que j’admire me mettent à genoux. Je ne sais pas écrire de la poésie, mais j’aimerais ça.

L’Émancipation : Vous considérez-vous comme une femme engagée ? une écrivaine féministe ? une auteure de romans policiers ?

R. B. : Une autrice qui manque de temps pour bien écrire et mener à bien les projets d’écriture dont je rêve. Être autrice, c’est déjà une grande responsabilité.

L’Émancipation n : Les parallèles sont évidents entre Nous étions le sel de la mer et La Mariée de corail. Pensez-vous, comme on dit parfois, qu’un écrivain écrit toujours le même livre à l’aune de ce qui le travaille intimement ? Pour vous : la mort – la trace qu’on laisse, la mer – pour son indécision – , la mère – ce qu’on lui doit ou ce qu’elle nous doit ?

R. B. : Vous le savez mieux que moi. Les lecteurs, les lectrices sont les vrais analystes de nos romans.

J’aimerais parler de nostalgie, de filiation, de désarroi et de minuscules instants qui nous bouleversent. Les enquêtes ne sont qu’un prétexte.

L’Émancipation : Comment écrivez-vous ? En silence ou en musique ? Chez vous devant votre ordinateur ou en voyage sur un petit carnet moleskine ? De jour ou de nuit ?

R. B. : J’écris tout le temps. Dans ma tête, ça invente. Je vampirise ce que je vois ainsi que mes propres émotions. J’écoute souvent de la musique latino-américaine, pour le rythme. J’ai beaucoup de carnets, aucun moleskine.

L’Émancipation n : Pourriez-vous vivre en France ? Et où ? Vous considérez-vous nomade ou sédentaire ?

R. B. : Antoine de Saint-Exupéry disait : “On est de son enfance comme on est d’un pays”. Je vivrais pendant des mois en France… en alternance avec chez-moi !

L’Émancipation : Faites-vous vôtre la citation qu’on prête à Aristote : “Il y a trois sortes d’hommes : les vivants, les morts et ceux qui vont en mer” ?

R. B. : Moi, j’aime ceux qui s’abritent derrière le silence et qui prennent le temps pour s’ouvrir et s’offrir. Ce sont ceux qui portent des perles. Avec eux, j’ai tout mon temps.

L’Émancipation : Pouvez-vous nous parler de votre prochain roman qui sort en France en août 2024 : Le Murmure des Hakapiks ?

R. B. : C’est un thriller. Je vous emmène dans une chasse aux phoques, sur la banquise glacée, dans le détroit de Northumberland. Une femme forte et fière, Simone Lord, n’aurait jamais dû embarquer sur ce bateau. Mais moi non plus, je ne fais pas toujours les bons choix…

L’Émancipation : Quelles sont vos lectures de chevet ?

R. B. : En ce moment, sur ma table de nuit : Les Mauvaises de Séverine Chevalier, Qimik de Michel Jean. Ça change tout le temps. Je n’ai pas d’auteur fétiche, mais je ne manque aucune parution de Dennis Lehane ni de Marie-Hélène Poitras.

L’Émancipation n : Quelle est la réponse à la question que vous auriez aimé que l’on vous pose ?

R. B. : La langue québécoise, ce n’est pas qu’un accent et des blasphèmes religieux. C’est un rythme nord-américain qui peut se traduire par écrit. Qu’on peut entendre aussi dans un livre. L’Émancipation n : Merci pour votre temps, votre intérêt et votre patience. Vraiment.