Loin d’être cette fête fraternelle, pacifique et multiculturelle tant vantée par le pouvoir et les médias, les Jeux Olympiques méritent une démythification.
À commencer par cette flamme qui parcourt le monde et dont les origines remontent… au nazisme, à 1936. Quant à l’amateurisme, prôné par Pierre de Coubertin, on n’y est plus du tout : les revenus des champions du foot et du tennis atteignent des sommes extravagantes.
Un Etat policier
Avec Paris 2024, on se situe aux antipodes d’une atmosphère de fête spontanée et populaire (qui fut celle de 1998, quoi qu’on pense de la Coupe du monde de football). Aujourd’hui, les indésirables, SDF, immigré·es… sont viré·es manu militari des trottoirs et des places de la capitale. La ville nettoyée, soumise à un quadrillage policier inédit est devenue en partie inaccessible à ses propres habitant·es. Tout est contrôlé, canalisé, étroitement surveillé. Ce tissu citadin militarisé, Macron le vante sans plaisanter : il s’agit de “l’héritage social” des Jeux, sous haute sécurité !
Nouvel opium du peuple
Les stades aux dimensions considérables sont les monuments les plus spectaculaires de notre époque, ils détrônent parfois la religion et déchaînent les passions ; certes, on n’immole plus d’animaux ni d’êtres humains (même si l’on garde en mémoire l’époque pas si lointaine des massacres de Pinochet), mais les JO, quel merveilleux outil de conditionnement ! Ces Jeux, on les vit “par procuration, devant son poste de télévision”, à commencer par la cérémonie d’ouverture où des artistes ont parfois participé et chanté “virtuellement”. Dans cette société du spectacle, le sport agit comme un nouvel opium du peuple qui doit gober la fiction d’une unité nationale retrouvée : il faut camoufler les problèmes politiques du pays, son gouvernement démissionnaire, son Jupiter qui cumule 80 % d’opinions défavorables, sa minorité présidentielle lourdement et triplement sanctionnée par les urnes mais qui continue à diriger la France comme si elle avait gagné. On oublie la Nouvelle-Calédonie, les guerres qui continuent à embraser la planète et les conséquences catastrophiques du réchauffement climatique.

L’on assiste à des débauches de chauvinisme, voire de nationalisme, d’autant plus absurdes que nombre d’athlètes s’entraînent à l’étranger et, dans les domaines sportifs les plus lucratifs, résident dans des paradis fiscaux (ou des pays où ils paient moins d’impôts), qu’ils ou elles jouent dans des clubs rivaux où on les rémunère mieux que dans leur nation. L’appât du gain va même jusqu’à la naturalisation si le pays natal est pauvre. Car la compétition à l’échelle mondiale s’avère parfaitement injuste. Peu de nations ont les moyens d’offrir à leurs sportifs et sportives de haut niveau des conditions d’entraînement et de rémunérations qui permettent d’obtenir des médailles d’or, et c’est encore plus vrai pour les Jeux Paralympiques où il faut un système de santé et d’appareillage médical performant, des installations spécifiques onéreuses, sophistiquées, un suivi sanitaire et social de grande qualité.
Malgré la mondialisation du milieu sportif, l’esprit de compétition est exacerbé. On ne dit pas : “que le meilleur gagne” mais “que les Bleu·es l’emportent à tout prix”. Ce qu’ils ou elles réussissent avec brio dans des disciplines professionnalisées, alors que la base même des Jeux, les fondamentaux de l’athlétisme sont délaissés en France, probablement parce qu’on n’y fait pas fortune. Soulignons la militarisation du sport de haut niveau, beaucoup d’athlètes appartenant aux armées qui leur donnent sans doute du temps et des méthodes idéales de préparation. Dans ce contexte on cherche la victoire : tensions plutôt que sérénité, agressivité plutôt que beau jeu dans les sports collectifs où les différences entre les équipes sont quelquefois infimes. Cinq minutes de plus ou de moins, le résultat serait inversé. La violence sur le terrain ou entre supporters n’est pas rare. Éthique et esthétique sont oubliées.
Une prétendue neutralité
Autre hypocrisie, la supposée neutralité des Jeux : le comité reflète les positions du camp occidental qui exclut la Russie et la Biélorussie tout en souhaitant la bienvenue à Israël ; loin de respecter la trêve olympique, Tsahal poursuit pendant les jeux ses massacres à grande échelle de la population de Gaza, et ses expéditions punitives au Liban, en Iran (par exemple 93 mort·es dans une école sous prétexte d’éliminer des “terroristes” : pourtant, Israël a prouvé en Iran que son armée savait ajuster son tir !). On aimerait connaître le coût pharaonique des mesures de protection pour assurer la sécurité des athlètes israélien·nes, pendant que leur pays noie les territoires palestiniens sous un bain de sang.
Des coûts considérables
Il faudrait évoquer les sommes disproportionnées qu’un État déjà très endetté consacre à ces Jeux, pour couvrir Paris d’uniformes, ou pour que quelques épreuves olympiques se déroulent sur la Seine ! “En même temps”, les départements ultramarins n’ont pas toujours accès à l’eau potable. On lésine sur l’entretien des ponts et des routes, on ferme des services d’urgence à l’hôpital, on n’a plus d’argent pour les dépenses indispensables de santé ou d’équipement, notamment. Les JO mettent en avant un volet culturel, mais hormis les spectacles d’ouverture et de clôture, ils se déroulent au détriment des nombreux festivals qui, chaque été, font rayonner l’ensemble des régions et dont beaucoup ont été annulés, reportés, ou, comme celui d’Avignon, ont eu lieu à des dates moins favorables à une large fréquentation du public. Quant à Paris, le moment était mal choisi pour arpenter ses musées, avec les restrictions de circulation. D’où une baisse de fréquentation. La capitale, une des villes les plus visitées au monde, n’avait nul besoin des JO pour être mise en valeur. Une poignée de privilégié·es a certes tiré profit des Jeux et aura des retombées économiques, mais qu’apportent-ils à la masse des gens ? Il faut ajouter que la couverture excessive des événements sportifs par le service public de l’audiovisuel a laissé très peu de place à d’autres informations (politiques, sociales) et à d’autres ouvertures culturelles (cinéma, séries, art…). La diversité devrait être de mise, alors que l’espace médiatique a été saturé par un unique sujet.
Il va de soi que l’éducation physique et sportive, l’esprit de jeu collectif, l’épanouissement des corps dans des activités où se dépense l’énergie, où se recherchent la perfection du geste, l’harmonie, le contact avec la nature (les vagues…) sont à promouvoir, mais dans d’autres contextes. Dans ce système néocapitaliste, les enjeux financiers, les rivalités nationales, l’inégalité des chances entre les pays, la surenchère sécuritaire, l’idéologie libérale rendent caduques les “valeurs” que les JO sont censés incarner.
Marie-Noëlle Hopital