Il n’est qu’à entendre les nouvelles, les citations et interviews à la radio ou à la télévision à propos des événements et des personnalités : ce ne sont que chiffres de records, nombre de ventes de livres, d’albums, nombre de concerts et de représentations, nombre de récompenses et prix obtenus, de spectateur·trices présent·es…etc., etc. Même exhibition des records dans le domaine sportif.
La jeunesse, c’est à dire ici la précocité du succès est aussi mise en avant : là c’est le plus petit chiffre de l’âge qui est valorisé. Le très grand l’est parfois aussi, rarement, mais pour une mise en montre comme d’animaux de zoo – davantage pour la longévité que pour l’activité même et la ténacité qu’elle illustre, et toujours limitée à l’“amateur·e”.
Dans tous les cas, sauf le dernier, il s’agit d’une course à la gloire et à la fortune, et secondairement contre la vieillesse et la mort. Plus tôt on “réussit”, mieux et plus admirable, enviable c’est. Nous retrouvons le culte de la vitesse lié au profit dénoncé dans le commerce courant – exaspérant au quotidien où l’on se sent réduit, malgré une amabilité de façade, au rôle de machine à sous devant fonctionner sans raté.
Dans le domaine sportif, le chiffrage de cette vitesse devient hallucinant avec la technologie : une émission édifiante du “Téléphone sonne” sur France Inter détaille, à quelques critiques près, les bienfaits de la montre connectée, y compris pour les non professionnel·les. À tous moments connaître le rythme de son cœur, le fonctionnement de ses poumons, sa tension et autres caractéristiques de sa santé serait un stimulant euphorique à l’effort et à l’accélération.
Je n’en suis pas persuadée. Je vois là la mine désespérée des champion·nes médiatisé·es. Pour l’amateur·e, ce bonheur de sentir son corps vivant et confirmant, voire étendant progressivement ses capacités dans le long terme auquel je crois puisque encore pratiquante de l’exercice physique, et qui est évoqué aussi par certain·nes “branché·es”, ne peut se vivre pleinement, joyeusement que quand ce corps se sent libre de tout outil – en dehors de l’instrument de son activité : vélo, ballon ou balle, volant, raquette etc.– et de toute contrainte autre que celle de l’effort dans un espace- temps donné, selon un choix strictement personnel. Il ou elle se fixe lui ou elle-même chaque fois ses objectifs et ses dépassements, selon l’état des forces, la nature de l’environnement et, dans les jeux collectifs, la disposition et l’action de ceux et celles qui l’accompagnent.
Se “connecter” techniquement c’est devenir machine et s’isoler, se déconnecter d’autrui, refuser de faire société pour se vouer au culte de la performance personnelle celui-ci atteignant les plus naturels des mouvements comme ceux de la marche puisque les smartphones permettent de compter les pas accomplis en tel ou tel temps et distribuent proportionnellement des récompenses financées (1) !!
Nul branchement technologique possible et nulle comptabilité de cet ordre dans un sport d’équipe !
Un médecin présent à l’émission eut l’honnêteté de dire que le chiffre, dans de tels résultats techniques, était une sanction souvent plus décourageante qu’incitative ! Et que l’incitation même pouvait être dangereuse et pousser à dépasser ses limites.
Une auditrice de 76 ans, s’adonnant par plaisir à la marche dite “active” tous les jours sur 10 kms, a balayé joliment tout cela à la fin en parlant du bonheur physique et émotionnel d’une telle pratique hors “data”, permettant d’allier mouvement et découverte du paysage urbain ou rural.
M. C. Calmus