Sommaire

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Programmes de Sciences économiques et sociales et écologie sociale et politique

Pour comprendre dans quel esprit les problématiques environnementales sont abordées en SES, il nous faut d’abord revenir sur un bref historique de la discipline.

Brève histoire de la discipline

Les SES ont été créées à titre expérimental pendant l’année 1966-1967 dans les classes de seconde des lycées d’enseignement général puis étendues aux classes de première et de terminale avec la création de la section B qui deviendra la série ES en 1993. En cinquante ans, la discipline a connu cinq modifications majeures de ses programmes. Elle a aussi vu se produire des transformations importantes dans ses pratiques et dans son statut même. Elle a connu aussi des attaques récurrentes venant de plusieurs fronts (le patronat, la droite et certains universitaires) et fait l’objet de débats internes assez virulents.

L’esprit des SES

La réforme menée par le ministre Christian Fouchet, qui cherche à élargir l’accès au lycée, conduit à la création des bacs techniques F et G en 1965 et du bac B “économique et social” en 1966. L’objectif est de “mettre l’enseignement de plain-pied avec le monde moderne”. Mais il est également de faire entrer au lycée “d’autres formes de culture” à côté de la culture scientifique et de la culture littéraire.

Christian Fouchet demande alors à Charles Morazé, un historien, normalien comme lui, de créer de toutes pièces le nouveau programme. Une commission réunit économistes (Jean Fourastié, Raymond Barre…), sociologues (Pierre Bourdieu, Raymond Boudon…), démographes, historiens, etc. Marcel Roncayolo, géographe et Guy Palmade, historien, qui devient inspecteur général de la discipline de sa création jusqu’au début des années 1990, joueront un rôle majeur. Ils sont des proches de Fernand Braudel, partisans de l’unité des sciences sociales. Leur projet est de faire se croiser, autour d’objets économiques déterminés – la famille, l’entreprise, l’économie d’un pays – les approches de la démographie, de la sociologie, de la science politique, de la statistique, de la science économique, de l’histoire, de la géographie…

Les grands principes énoncés dans les instructions officielles de juillet et octobre 1967, même s’ils reposent sur des idées qui correspondent à l’air du temps, vont marquer durablement les caractéristiques de l’enseignement des Sciences économiques et sociales. Ce nouvel enseignement repose sur le postulat de “l’unité didactique” des sciences sociales. Il prône en conséquence une approche pluridisciplinaire intégrée, seule susceptible de dépasser des clivages disciplinaires jugés alors périmés. L’enjeu est surtout de favoriser la motivation des élèves. Face à une question complexe (les fameux “objets-problèmes”) et qui doit faire sens pour les élèves, il faut convoquer plusieurs sciences sociales pour en comprendre les enjeux.

Les instructions officielles de 1967 consacrent de longs développements à la mise en œuvre de la démarche pédagogique et accordent un statut privilégié à “la constitution et au commentaire de dossiers documentaires” tant au niveau de l’enseignement que de l’évaluation du travail des élèves. La manière dont est conçu le travail sur documents est particulièrement novatrice pour l’époque. Ce travail intervient dans toutes les phases de la démarche pédagogique : les documents permettent de sensibiliser les élèves aux problèmes à étudier, de les aider à construire une problématique et à élaborer un plan ; ils nourrissent également leur réflexion et servent à alimenter la synthèse qui leur sera ensuite demandée ; la constitution de dossiers documentaires par les élèves eux-mêmes pour prolonger ou approfondir des éléments du cours et la production de documents, à la suite de visites d’entreprises ou de la réalisation d’enquêtes, sont aussi fortement encouragées.

Le souci des fondateurs de la discipline est d’éviter de confronter trop tôt les élèves à des modèles théoriques déconnectés de la réalité. Le choix de privilégier le travail sur documents correspond également à une conception des apprentissages qui se refuse à dissocier les résultats de la recherche de l’analyse des données qui ont servi à les produire. Plutôt que d’accumuler des connaissances, il s’agit de développer chez l’élève “une certaine attitude intellectuelle” et de le former à l’esprit expérimental. C’est enfin un moyen de modifier les rapports entre professeurs et élèves au sein de la classe en remplaçant le cours magistral par “le dialogue permanent” entre maître et élèves. Il s’agit donc de mettre les élèves en position de recherche active en leur permettant d’appuyer leurs raisonnements sur des informations diversifiées correspondant à la complexité de la réalité sociale et aux multiples interprétations qui peuvent en être faites. L’ambition pédagogique est déjà de favoriser le développement de l’autonomie de l’élève par des méthodes actives. Ce qui est à l’époque relativement nouveau et singulier dans une école marquée par une pédagogie très frontale et traditionnelle. Plus généralement, avec ces instructions de 1967 et les stages de formation qui vont suivre, il y a la volonté de faire de cette discipline scolaire un enseignement de culture générale et de formation à la citoyenneté plutôt qu’une propédeutique à des études universitaires spécialisées.

L’évolution des pratiques

En premier lieu l’évolution des pratiques des enseignant·es

Dans les années 1970 et le début des années 1980, les cours de SES étaient ceux “où on faisait des débats et des travaux de groupe”. Une bonne partie de la spécificité de cet enseignement reposait alors sur les méthodes actives. On peut dire que l’évolution des pratiques enseignantes en SES s’est faite à rebours des autres disciplines. Alors que les débuts de la matière étaient marqués par une pédagogie “nouvelle”, les études réalisées aujourd’hui montrent que la norme actuelle est en fait celle du cours dialogué alors que l’innovation pédagogique s’est développée dans les autres matières. Les pratiques innovantes, si elles existent toujours, sont moins fréquentes et cantonnées à des espaces spécifiques tels que les travaux dirigés et l’accompagnement personnalisé. Cette régression est le résultat d’une triple évolution : la lourdeur et l’exigence plus grande des programmes, l’apparition de nouveaux dispositifs (TPE, EMC…) dispensant de ces pratiques et enfin la lassitude d’une partie des enseignant·es et leur volonté de “respectabilité” et de se rapprocher d’une posture universitaire.

En second lieu, l’usage des documents s’est transformé

Dans cette première période, les documents utilisés dans la constitution et le commentaire des dossiers documentaires relèvent d’une approche essentiellement inductive ou du moins empirique en étant essentiellement des documents descriptifs. Bien sûr on y trouve, dès le départ, de nombreux documents statistiques mais aussi des articles de presse, des témoignages, des résultats d’enquêtes. La taille des documents est très variable et on n’hésite pas à faire étudier des extraits relativement longs de romans ou de reportages ou encore des dessins de presse. On notera qu’on n’étudie jamais un document seul mais bien un ensemble de documents de natures diverses. Le travail sur documents est donc omniprésent dans les pratiques de classe, même si les textes envisagent la possibilité de recourir épisodiquement au cours magistral à la demande des élèves.

Les manuels scolaires de SES qui apparaissent dans les années 1980 et qui constituent donc la deuxième génération institutionnalisent l’usage du document. Ils apparaissent alors comme atypiques comparés à ceux des autres disciplines. Ils sont en effet constitués essentiellement de documents de toute nature avec très peu de “cours” rédigé au sens strict du terme. Un des manuels les plus utilisés s’appuie notamment sur une bande dessinée (Obélix et Compagnie) pour construire le cours sur l’entreprise.

Avec les années 1990, l’usage des documents s’est transformé et réduit. C’est d’abord sous l’influence d’une critique de l’inductivisme. On a vu en effet de plus en plus de “vrais-faux” documents constitués d’extraits d’ouvrages de vulgarisation ou de manuels du supérieur. Et bien souvent la lecture des documents consistait à trouver la réponse contenue dans le document au lieu de partir du document pour construire une problématique. Une autre critique portait sur un trop grand relativisme puisque l’on mettait sur le même plan des documents de types très différents comme par exemple un texte d’auteur·trice avec une bande dessinée ou un dessin satirique. Enfin, l’apprentissage rigoureux des techniques d’analyse (et notamment pour les documents statistiques), pouvait être quelquefois négligé par peur de bloquer l’expression spontanée des élèves.

Enfin, on a vu aussi la taille des documents se réduire

Dans les manuels, c’est d’abord pour des raisons éditoriales qu’on a limité la taille et adopté une standardisation limitant la séance à une seule et même double-page. Pour l’évaluation au baccalauréat, on a là aussi codifié l’usage, le nombre et la taille des documents. Des dix à douze documents des dissertations des années 1970, on est passé à trois ou quatre documents purement factuels aujourd’hui. Les textes ne doivent pas dépasser 1300 signes et 65 données chiffrées pour les tableaux statistiques. On peut dire que la question de l’utilisation des documents est un bon analyseur de l’évolution de la discipline. Le travail sur documents n’induit pas, à lui seul, des pratiques de classe fondamentalement différentes du cours magistral. Tout dépend de la manière dont les documents sont effectivement exploités. La nature (apparition de “vrais-faux” documents) et l’usage se sont modifiés depuis la création de la discipline. Ils apparaissent souvent comme une permanence du passé mais sans avoir forcément conservé l’esprit initial et avec quelquefois un caractère presque “rituel”.

La rupture des programmes de 2012

S’il ne s’agit pas de revenir sur les cinq générations de programme, on ne peut pas faire l’impasse sur la dernière génération de programmes et leur genèse.

C’est dans le contexte d’attaques récurrentes sur les programmes et sur fond de polémique à propos des manuels de SES que le ministre Xavier Darcos demande à l’économiste Roger Guesnerie de réunir une commission chargée de les examiner. Mais très vite l’objet de la commission va au-delà et s’intéresse aux contenus d’enseignement. La Commission Guesnerie rend son rapport le 3 juillet 2008. Plus nuancé dans ses critiques que certains médias le laissent entendre, le rapport prône néanmoins un enseignement “recentré” sur l’étude d’outils et de concepts (les “fondamentaux”), laissant peu de place au débat et à la mise en perspective.

Dans le cadre de la réforme du lycée menée d’abord par Xavier Darcos puis par Luc Chatel (2008 et 2009), la réécriture des programmes de SES, effectuée par un “groupe d’experts”, s’est appuyée sur les conclusions du rapport Guesnerie. Les programmes actuels sont le résultat de ce travail.

La Seconde inclut désormais des “enseignements d’exploration” dans lesquels sont placées les SES à raison d’1h30 en concurrence avec les Principes fondamentaux de l’économie et de la gestion (PFEG) dans un premier niveau d’enseignement d’exploration obligatoire.

Quant aux programmes du cycle terminal (Première et Terminale), c’est son préambule qui va constituer une modification majeure par rapport à l’esprit des SES. Il est à noter que c’est la première fois depuis 1967 qu’on trouve un préambule si long et détaillé. Ce qui est bien le signe qu’il ne s’agit pas de modifications de façade.

Et surtout, tout le préambule insiste sur le nécessaire apprentissage “rigoureux” des disciplines savantes de référence et l’initiation à une démarche scientifique (de l’économiste, du sociologue et du politiste). On part donc des connaissances propres à chaque discipline avant d’éventuellement “croiser les regards”.

Pour le dire autrement il s’agit désormais de “former à ” et non “par” la science économique, la sociologie, la science politique. La nouveauté réside aussi dans la préconisation forte (presqu’une injonction) d’une démarche pédagogique reposant sur une certaine conception des apprentissages. On préconise en effet de partir des “fondamentaux ” pour aller vers une “complexification progressive”. Cela rentre en collision avec la logique des “objets problèmes” qui prévalait à la création de l’enseignement et où on partait d’une situation complexe et d’une question sensible (motivante et qui a du sens) pour recourir aux différentes approches et les approfondir.

On peut donc repérer trois origines à cette rupture. La première se situe dans l’évolution de la finalité du lycée. Les années récentes sont marquées par la volonté ministérielle de créer un continuum bac-3/bac+3 dans la perspective de conduire 50 % d’une classe d’âge au niveau licence. La deuxième s’incarne dans les critiques des universitaires et de certains lobbys patronaux et qui sera exprimée dans le rapport Guesnerie de 2008, où l’on insistait aussi sur la nécessité de mieux préparer les élèves aux études universitaires correspondant à ces savoirs. La troisième origine de ces nouveaux programmes est évidemment à chercher dans le débat récurrent sur la légitimité de la discipline scolaire que sont les Sciences économiques et sociales.

Concernant le traitement de l’écologie par ces programmes de 2012, on n’en trouve trace qu’en terminale avec un thème sur “l’économie du développement durable”. Le questionnement est “la croissance économique est-elle compatible avec la préservation de l’environnement ?”. L’une des notions obligatoires est celle de la “soutenabilité” avec deux variantes : la “soutenabilité faible” (les quatre capitaux – physique, humain, naturel et institutionnel – nécessaires au développement durable sont substituables, c’est-à-dire que la consommation de capital naturel est compensée par la constitution d’un stock plus important des trois autres capitaux) où la croissance économique et le progrès technique sont les seules solutions aux problèmes environnementaux et la “soutenabilité forte” où les capitaux ne sont pas substituables mais complémentaires, c’est-à-dire que l’utilisation d’un type de capital implique nécessairement celle des autres, par exemple, un stock de capital physique important ne peut pas compenser un environnement devenu invivable ; le capital naturel est irremplaçable et il faut donc le préserver. Il existe donc un seuil critique de capital naturel au-delà duquel l’existence même de l’humanité est remise en cause. Le recours au progrès technique n’est donc pas la solution à tous les problèmes environnementaux et le recours au principe de précaution est fortement préconisé.

Par ailleurs, la question de la “décroissance ” n’est pas posée par le programme qui s’en tient à l’idéologie officielle du “développement durable”, pas facile donc d’introduire le débat avec les élèves… Sur les six manuels qui se partagent le “marché” des SES, deux seulement consacrent un ou deux documents sur la décroissance mais celle-ci est présentée de manière négative…

Les aménagements de 2019

Il s’agit bien de modifications à la marge puisque, concernant l’écologie, il n’y a toujours rien en seconde et en première ES et pour la classe de terminale, les aménagements ne remettent pas en cause le modèle de croissance capitaliste : la notion de “développement durable” n’est pas confrontée à celle de “décroissance”.

On trouve donc :

* un objectif d’apprentissage sur le premier questionnement en science économique (quels sont les sources et les défis de la croissance économique ?) : “Comprendre qu’une croissance économique soutenable se heurte à des limites écologiques (notamment l’épuisement des ressources, la pollution et le réchauffement climatique) et que l’innovation peut aider à reculer ces limites” ;

* un questionnement : “quelle action publique pour l’environnement ?” avec quatre objectifs d’apprentissage :

Savoir identifier les différents acteurs (pouvoirs publics, ONG, entreprises, experts, partis, mouvements citoyens) qui participent à la construction des questions environnementales comme problème public et à leur mise à l’agenda politique ; comprendre que ces acteurs entretiennent des relations de coopération et de conflit.

Comprendre que l’action publique pour l’environnement articule différentes échelles (locale, nationale, européenne, mondiale).

En prenant l’exemple du changement climatique : connaître les principaux instruments dont disposent les pouvoirs publics pour faire face aux externalités négatives sur l’environnement : réglementation, marchés de quotas d’émission, taxation, subvention à l’innovation verte ; comprendre que ces différents instruments présentent des avantages et des limites, et que leur mise en oeuvre peut se heurter à des dysfonctionnements de l’action publique ; comprendre qu’en présence de bien commun les négociations et accords internationaux liés à la préservation de l’environnement sont contraints par des stratégies de passager clandestin et les inégalités de développement entre pays.

Par rapport aux manuels de SES

Six éditions se partagent le “marché” : Belin, Bordas, Hachette, Hatier, Magnard et Nathan.

Le programme est suivi à la lettre contrairement à auparavant où certains manuels traitaient des points hors-programme (Nathan sur la décroissance par exemple).

Le paradigme du marché est omniprésent : marché des quotas d’émission de CO2, la “vraie” valeur du carbone (Belin p. 440).

Même si parfois critique : sur le carbone, Dominique Dron (Bordas p. 385).

Une formulation des questions qui n’invite pas au débat : “Comment les quotas d’émission contribuent-ils à préserver l’environnement ?” (Hatier p. 330).

En somme, pas de changement dans ces aménagements. On est bien loin de l’esprit des SES voulu par les fondateurs de la discipline. Le libéralisme est passé par là : il fallait évacuer la dimension critique des programmes ainsi que les possibilités de débat dans les classes, condition nécessaire pour la formation d’un esprit critique chez les élèves/citoyen·nes. Le changement de nature des documents, de la formulation des questions posées (y compris pour les sujets de bac évidemment) ainsi que l’abandon de la référence obligatoire aux auteurs sont les principaux moyens utilisés par le ministère et l’inspection générale pour arriver à leur fin. Plus encore, la réforme de la formation des futurs enseignants de SES en 2021 parachève ce processus en restreignant leur liberté pédagogique.

François Marchesseau