Les programmes de Physique Chimie mettent en avant la nécessité de porter les préoccupations écologiques dans les enseignements. La prise en compte de ces préoccupations nécessite une approche sociale et politique qui nous place souvent aux limites de la matière.
Si l’approche pluridisciplinaire est nécessaire pour répondre pleinement à ces préoccupations, les programmes de Physique Chimie laissent tout de même quelques opportunités pour mettre le doigt sur les contradictions entre la préservation de l’environnement, la satisfaction des besoins sociaux et… le mode de production actuel.
Quelques précisions et exemples au sujet des programmes
Au collège
Dans les programmes du cycle 4 du collège, 1h 30 par semaine est consacrée à la discipline à partir de la Cinquième. En Troisième : dans le thème 1“Organisation et transformations de la matière”, dans la partie “Décrire la constitution et les états de la matière”, on pourra aborder “la matière et l’environnement”. Dans le thème 2 “Mouvement et interactions” une partie est consacrée à “identifier les sources, les transferts, la conversion et les formes d’énergie, utiliser les conversions de l’énergie”. C’est dans ce cadre, seulement en classe de Troisième, que “l’élève traduit une situation donnée par une chaîne énergétique, il en identifie les différents éléments et l’exploite en termes scientifiques et sociétaux”.
Au lycée général
L’enseignement commun en Seconde prévoit trois heures de Physique Chimie, puis quatre heures en Première, six heures en Terminale pour l’enseignement de spécialité. C’est seulement dans les programmes de spécialité que les enjeux sociaux et environnementaux sont abordés. En Première, dans la partie “Constitution et transformations de la matière”, ce n’est que dans une sous-partie “Conversion de l’énergie stockée dans la matière organique” du chapitre 3 “Propriétés physico-chimiques, synthèses et combustions d’espèces chimiques organiques”, qu’on propose d’aborder “Combustions et enjeux de société”. Les enjeux en question sont cadrés : “Citer des applications usuelles qui mettent en œuvre des combustions et les risques associés. Citer des axes d’étude actuels d’applications s’inscrivant dans une perspective de développement durable”. En Terminale, l’introduction du programme affirme : “La mise en œuvre des programmes doit aussi être l’occasion d’aborder avec les élèves […] des questions citoyennes comme par exemple la responsabilité individuelle et collective, la sécurité pour soi et pour autrui, l’éducation à l’environnement et au développement durable”. Mais c’est uniquement dans la partie “L’énergie : conversions et transferts”, que le chapitre 2 “Effectuer des bilans d’énergie sur un système : le premier principe de la thermodynamique” permet de “discuter qualitativement de l’influence de l’albédo et de l’effet de serre sur la température terrestre moyenne”.
Au lycée technologique
Il est plus difficile de définir précisément les horaires puisque certaines options font intervenir une part de Physique et/ou de Chimie. Les volumes horaires hebdomadaires dédiés explicitement à la Physique Chimie (et aux Mathématiques) varient de 2h pour les ST2A (Arts Appliqués) et 6h pour les STI2D (Développement Durable). Les repères pour l’enseignement, inscrits dans les programmes, stipulent : “Le professeur contextualise son enseignement dans les domaines thématiques de la vie courante, de la production et des services. Il fournit aux élèves des éléments de compréhension pour aborder les grands débats de société du XXIe siècle (ressources énergétiques, climat, etc.)”. Cependant, en STI2D, les références à l’environnement et à l’écologie s’effacent pour laisser place à celle du “développement durable” ou à celle de “chimie verte” en STL (Techniques de Laboratoires).
Une nécessaire remédiation des activités proposées dans les manuels scolaires
En troisième, malgré l’appel à exploiter une situation donnée par une chaîne énergétique en termes scientifiques et sociétaux, les activités proposées dans les manuels scolaires évacuent la dimension sociétale, et incitent rarement les élèves à questionner les enjeux environnementaux. Ainsi en Quatrième on peut proposer aux élèves d’aborder “les dangers qui menacent l’atmosphère”, sans vraiment poser la question des origines de ces dangers.
À tous les niveaux, les activités sont souvent marquées par une forme de “solutionisme” que l’on pourrait définir par le fait de proposer une solution à un problème sans traiter les nouveaux problèmes créés par cette solution.
Par exemple, en Terminale, une activité propose de comparer la production de dioxyde de carbone d’un moteur automobile électrique avec celle d’un moteur à essence. Tous les documents fournis montrent évidemment que le moteur électrique n’émet pas de CO2 contrairement au moteur à essence. Un seul document intitulé “Vers une production d’énergie propre” souligne qu’il faut prendre en compte tout le long de la chaîne de production, et qu’il faut déplacer le problème et l’étendre à toutes les filières de production de l’énergie. Cependant aucun document ne permet de faire cette prise en compte même seulement partiellement : quel est le coût énergétique et environnemental de l’extraction des métaux rares pour les batteries ? Quel est l’impact de la fabrication des batteries sur les ressources disponibles en eau douce ? Quelles sont les problématiques liées à l’utilisation du nucléaire pour fournir l’électricité nécessaire à leurs charges ? Quelles sont celles liées à la production de dihydrogène ?
Un exemple d’ordre de grandeur : aujourd’hui, il faut environ 1kg de dihydrogène pour parcourir 100 km avec une pile à combustible mais la production de 1kg de dihydrogène par le processus industriel communément utilisé s’accompagne de 13kg de dioxyde de carbone, soit à quelque chose près ce qu’un véhicule thermique produit toutes proportions gardées.
Les conditions d’enseignement poussent souvent à se saisir des activités “clé en main” ou à cibler et segmenter les concepts pour permettre leurs évaluations. Cependant, dans des conditions idéales qu’il reste à définir, quelques outils existent pour proposer aux élèves une réflexion plus large.
Il y a par exemple le schéma des “limites planétaires” (neuf à ce jour) et des seuils de bien-être social qui permet de dépasser le “solutionisme” pour aborder les problématiques de manière plus contradictoire. Le concept de “limite planétaire” renvoie à celui de seuil au-delà duquel l’écosystème planétaire subit un changement d’état irréversible.
Ce schéma permet par exemple à la fois d’interroger l’impact d’une diminution de production de CO2 (lié à la limite “changement climatique”) sur les autres limites : “utilisation mondiale de l’eau” (eau douce pour la production des membranes de batteries) ou encore “changement d’utilisation des sols” (par exemple relativement à l’utilisation des métaux rares). Permettre de réaliser que “ce qu’on gagne par rapport à une limite, on le perd sur une autre”, en plus d’appréhender le principe de contradiction, c’est permettre de prendre conscience que l’ensemble des problématiques ne peuvent être appréhendées qu’en remettant en question les niveaux de production actuels et les inégalités sociales. Les seuils de bien-être social constituent également des thèmes permettant de tisser des liens avec d’autres disciplines : éducation, équité sociale dans les pays d’extraction de métaux rares par exemple…
Serge Da Silva
Dossier : L’écologie sociale et politique : quelle prise en compte à l’école ?
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