Sommaire

Sommaire

Les Talibans, Trump et les idiotes de la Cinquième République

Je ne peux avoir l’ambition de rivaliser avec les grandes voix féministes, celles qui ont bercé mon adolescence et celles qui, maintenant, poussent à l’action partout dans le monde. Pour ces voix-là, il ne s’agit pas seulement de se faire entendre. On entend un murmure, une rumeur, un cri mais cela n’est pas assez. Les témoignages à charge qui se multiplient ne suffisent plus, les hashtags se noient dans un océan de boue et les scandales succèdent aux scandales tel un bruit de fond désormais familier.

Quelles contre-attaques ?

Se pose à moi et à d’autres, de plus en plus nombreux·ses, la question du “Comment faire ?”. Écrire sur une pancarte que je ne suis pas d’accord avec le sort infligé aux femmes afghanes, obligées à nouveau, après une parenthèse, de porter la burqa dans l’espace public, est un début mais pas une fin en soi. Jamais je n’avais pris conscience de mon statut de “femme privilégiée” comme aujourd’hui et cela n’est pas une bonne nouvelle. La bonne nouvelle serait même l’exact inverse, pouvoir se dire qu’en tant que femme, le choix ne se résume pas à la réserve pour espèces protégées (par les hommes) ou à la niche et au martinet pour animaux domestiqués. Entre les deux, mon cœur balance, va pour la réserve plus vaste que la niche.

Je peux m’indigner, inventer des néologismes de combat, les gueuler dans la rue, le tintamarre de la broyeuse couvre ma voix. Apprendre le matin, au petit-déjeuner, que le droit à l’avortement est remis en cause par la Cour Suprême (six juges sur neuf sont pro-life) aux États-Unis est une nouvelle glaçante qui ne passe pas. Trump, en quatre ans, a miné le sol américain, noyauté l’administration, les contre-pouvoirs et son absence est une présence. Il n’a jamais reconnu son échec aux élections présidentielles et aura été un des premiers présidents du fantasmé “monde libre” à encourager un coup d’État que l’on aurait tort de réduire à une tête de bison entre deux cornes.

De la publicité aux expos de CDI, on avance ?

Violence faite au corps féminin, encore et encore. Dans sa version occidentalisée, policée, publicitaire, le corps lisse, mince, aveugle au monde, qui ne mange ni ne boit et se donne à voir, à consommer. Rien n’a vraiment changé depuis les années 1970 où, pour vendre une Citroën GS, on flanquait une pin-up de calendrier sur le capot de la voiture. La publicité, en cinquante ans, aura appris à contourner les obstacles et les polémiques et s’il ne s’agit plus de promettre au mâle qui rêve de domination, le fouet de Babette ou le haut de Myriam, il est question maintenant de montrer que les filles peuvent faire aussi bien que les garçons (même mieux parfois, n’est-ce pas le message martelé par les services de communication des rectorats ? ). Dans les établissements scolaires, de l’école élémentaire au lycée, on multiplie les ateliers sur les stéréotypes de genre et les petites filles apprennent qu’elles ont un avenir au-delà de leur sexe de naissance. Elles pourront entreprendre et réussir leurs études comme les garçons et d’ailleurs, les expositions de CDI, organisées par des associations militantes, leur montrent des femmes pompières souriantes et des soldates bien coiffées sous leurs calots, figées dans un garde à vous impeccable.

Et donc ai-je envie de dire ? On ne remet pas en question les bonnes intentions, le volontarisme pédagogique à l’origine de ces initiatives mais on s’interroge. L’école serait donc censée anticiper les ravages de la “vraie vie” qui attendent les filles à la sortie du sanctuaire scolaire ? L’Éducation nationale donne des armes, fournit le kit de résistance mais ne change ni les cadres aux manettes, ni les structures ni la sélection version Parcoursup. En avant, démerde-toi avec cela. Dès le premier emploi, tu rentres dans le vif du sujet. Salaires, postes à pourvoir, hiérarchie, concurrence, discriminations, absence de loyauté, bienvenue dans le monde patriarcal.

Estime-toi heureuse si on te met moins la main aux fesses, reconnais les progrès quand il y en a. Ne sois pas mauvaise joueuse.

Payées pour être idiotes

J’ai toujours l’impression que chaque avancée positive est perçue comme une offrande faite à une inférieure et que l’État ressemble à un patron paternaliste qui offre des jouets aux enfants d’ouvriers. Et je ne parle même pas de Marlène Schiappa responsable jusqu’en 2020 de l’égalité femmes/hommes. Elle aura beaucoup fait pour alimenter le folklore misogyne, aura régalé de ses perles le Canard Enchaîné et tendu le dos aux coups de bâton. Comme Sibeth Ndiaye, début 2020, payée pour être idiote ce qu’elle n’est sûrement pas. Ni des cadeaux ni des services rendus à la cause féministe. Juste les fusibles utiles et salariés de la parité.

Il se murmure dans les antichambres de l’Élysée que Macron pourrait désigner une femme “de tête”, comme le pâté, un peu de gauche et écolo pour assurer la transition jusqu’aux Législatives. Après on la vire comme Édith Cresson en son temps. On passe aux choses sérieuses. Un mec à Matignon pour ne pas rompre l’équilibre du monde.

Et là, je ne parle que du sort réservé à la femme occidentale des classes moyennes et supérieures.

L’euphémisation du réel est le premier des crimes

Je ne parle pas des femmes beaucoup plus nombreuses sur les cinq continents, en bas de l’échelle du vivant, à peine au-dessus du dernier vertébré connu, vouées à la survie et dont les corps ont depuis longtemps oublié qu’ils pouvaient se mouvoir par eux-mêmes ou même qu’ils avaient une existence propre. Pour quelques corps féminins révolutionnaires et iconiques, combien d’autres asservis sans espoir de changement ?

J’ai encore en tête les déclarations de Jean-Yves Le Drian, en août 2021, qui faisait semblant de penser que les Talibans avaient peut-être changé en vingt ans. Leur volonté de mettre en place une société “ouverte et inclusive” (sic) ne trompait que celles et ceux qui voulaient bien l’être. L’euphémisation du réel en matière de discrimination sexuelle est le premier des crimes, moins spectaculaire que d’ensevelir un être vivant dans un linceul mais tout aussi efficace quand il s’agit, au nom de la diplomatie pragmatique, de valider l’innommable.

Combatives

Que faire donc pour ne pas perdre en route ses illusions, son énergie et sa vaillance ? Sûrement ce que nous faisons déjà, chacune selon sa position dans le monde et ses moyens. Témoigner, manifester, écrire, discuter, éprouver de l’empathie et ne pas se considérer, en tant que femmes, comme une espèce à sauvegarder. Je n’ai pas besoin d’attention, de commisération, d’hommages bêtifiants venus d’hommes qui confondent féminisme et guimauve. J’ai besoin du même salaire que “mon-homologue-masculin”, de la même représentativité à l’Assemblée nationale, dans la vie publique, d’un travail qui me convient, à la campagne comme à la ville. Donner des coups et en recevoir s’il le faut, se foutre du pouvoir et des modèles à suivre pour être bien considérée ? Pas de problème, ici et ailleurs, la douceur féminine est un trompe-l’œil inventé par et pour les jobards. Depuis quelques années et au grand dam de certains, les femmes progressent, agissent, sont en tête dans les organisations syndicales et les cortèges. Quand elles ne font pas la grève pour leurs maris, leurs amants, leurs fils, leurs frères disparus dans le tumulte de l’histoire et dans des guerres ineptes.

Quatre candidates, trois boulets et un lot de désolation

Un mot pour finir sur les récentes élections présidentielles. Quatre femmes sur douze candidat·es. La représentante du Rassemblement national (souvent, curieuse habitude, appelée par son prénom) digne fille d’un pétainiste, tortionnaire en Algérie et soutien fervent de la famille et de la natalité, la madone défraîchie des Républicains, version édulcorée et technocratique  de la première, la gardienne du chantier de fouilles archéologiques du PS et la cheville ouvrière de la Lutte, caricaturée sous les traits d’un Playmobil asexué et trotskiste, pâle héritière d’Arlette Laguiller, elle-même objet de quolibets ou d’attendrissements douteux (les mêmes que ceux éprouvés pour les vieilles idoles de la fin des années 1960).

Je ne sais pas ce que vous en pensez mais il y a du boulot et encore je n’ai pas mentionné Brigitte Macron qui, au soir du 24 avril sur le Champ de Mars, Grande Sauterelle tout droit sortie d’un film de Georges Lautner, rendait hommage à son mari comme une poule de luxe à son souteneur dans un vieux film de gangster.

Vous froncez les sourcils, l’image passe mal, vous rechignez à souscrire à ce genre de propos ? Vous avez raison, la séquence filmée était plus insupportable que ne le laisse supposer ma comparaison cinématographique.

Ne laissons pas le féminisme tomber dans n’importe quelles mains. Voilà ce que je me dis parfois.

Sophie Carrouge