Un peu plus de 400 congressistes se sont retrouvé·es à Montpellier pour affiner les mandats et les propositions du SNES établies lors du “demi-congrès” de Paris qui avait dû se tenir en distanciel en 2021. Nous avons retrouvé une structuration des débats en quatre thèmes : “Redonner du sens et du commun au second degré” (thème 1), “Pour des personnels respectés et revalorisés” (thème 2), “Pour une société juste et solidaire” (thème 3) et “Faire évoluer notre organisation pour un syndicalisme renforcé et moteur de progrès social” (thème 4). Nous tâchons ci-dessous de rendre compte des propositions que nous avons défendues en tant que tendance Émancipation et de plusieurs points ayant marqué les débats, sans pouvoir être exhaustif tant le nombre de points traités a été important dans ce congrès de cinq jours.
Les enjeux du congrès
Pour Émancipation, l’objectif de ce congrès était de partager des propositions en matière de revendications, de modes d’action et de construction syndicale, qui permettent d’identifier le syndicat comme un outil pour établir des rapports de force décisifs avec les pouvoirs publics et les capitalistes.
Ce congrès était notamment pour nous l’occasion de faire le bilan des occasions ratées ces dernières années et de proposer au SNES de rebondir sur trois axes :
- – Proposer des revendications immédiates : créations massives de postes statutaires, titularisation immédiate de tous et toutes les précaires, augmentations uniformes des salaires, abrogation de l’ensemble des contre-réformes de ce gouvernement…
- – Lier ces revendications immédiates à des perspectives : celle de la lutte des classes, de la démocratie directe et de l’émancipation de toutes les oppressions, de la marchandisation des êtres humains, comme de l’environnement. Cela passe notamment dans notre secteur par la mobilisation autour d’un autre projet d’école, la défense et l’extension des services publics et du statut des personnels, par l’éradication de la précarité.
- – Proposer une rupture avec la stratégie du “dialogue social” qui enferre les syndicats dans le rôle de “partenaires sociaux” créant de la méfiance chez les personnels qui veulent se battre, sans gagner significativement les personnels qui ont une relation plus conflictuelle avec… la conflictualité.
Nous avons tenté de décliner ces axes dans les différents thèmes.
Les points saillants du congrès
Concernant le thème 1 : “Redonner du sens et du commun au second degré”
Nos propositions de perspectives d’un lycée polytechnique et polyvalent accompagné d’une scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans sans orientation était certes une perspective à long terme. On peut cependant penser que la référence acritique aux trois voies, générale, technologique et professionnelle dans les réflexions portées par la majorité ne portent pas les germes d’une école visant la fin de la division sociale du travail. Si les aspirations égalitaires et inclusives sont réaffirmées, elles ne permettent pas d’envisager autre chose qu’un correctif aux inégalités sociales fortement déterminées en dehors de l’école. De même, si les textes adoptés condamnent les effets des réformes Blanquer et vont parfois jusqu’à en demander l’abrogation ou l’abandon, elles ne s’accompagnent pas d’un plan de mobilisation ni d’une proposition de nouvelle architecture pour le lycée. Par exemple, si la majorité s’oppose à la création de nouveaux enseignements de spécialité, elle s’est prononcée pour le maintien du volume horaire des spécialités par rapport au tronc commun. La manière de gérer ces contradictions est pour le moment renvoyée à un colloque…
Sans que le projet du SNES pour le lycée soit défini, plusieurs remontées d’académies ont insisté pour que les mandats ne reprennent pas le terme “d’autonomie” des établissements qui véhicule aujourd’hui la concurrence entre établissements, la gestion locale de la pénurie de moyens et la mise en concurrence entre les équipes. Il faudra se résigner à composer avec… la réaffirmation des dirigeant·es de U&A de faire de l’autonomie un synonyme de fonctionnement démocratique des établissements, ayant été validée par une écrasante majorité du congrès. On attend le plan pour permettre une clarification contre l’utilisation volontairement ambigüe de ce terme par les gouvernements successifs…
Concernant le thème 2 : “Pour des personnels respectés et revalorisés”
Avec le projet de “pacte” pour les enseignant·es annoncé par le Président Macron, qui contient notamment le projet de recrutement des enseignant·es par les chef·fes d’établissements et les objectifs de la Loi Fonction publique de recourir à la contractualisation, des propositions fortes étaient attendues pour s’adresser aux personnels précaires enseignants et non enseignants. Pour les AESH, la revendication de reconnaissance du métier et du statut sont affirmées. Ce n’est hélas pas le cas pour les enseignant·es non titulaires auxquel·les le SNES continue de poser le concours comme une digue pour la titularisation. De fait avec ou sans la CDIsation, ce sont plus de 20 % de collègues qui enseignent déjà sans conditions de concours ni de nationalité à nos côtés. Comment alors justifier de ne pas revendiquer la titularisation immédiate et sans condition de concours ni de nationalité des non titulaires pour “stopper l’hémorragie” puis enfin ne recruter que sur concours ? Pourquoi renvoyer à un énième plan de titularisation dont les bases et le calendrier ne sont toujours pas posés ? Concernant les AED, le refus de relayer la revendication de création d’un statut d’éducateur/éducatrice scolaire ou d’animateur/animatrice scolaire pourtant posée par la coordination nationale des AED l’année dernière, a fait face à une argumentation basée sur le fait que ces “missions” devaient être surtout pensées pour les étudiant·es. Pourtant, 70 % des 60 000 AED ne sont pas étudiant·es et certaines des quelques représentantes de cette catégorie de personnels dans le congrès, ont revendiqué l’attachement à leur métier. Comment prétendre vouloir en finir avec la précarité sans créer un rapport de force et comment créer un rapport de force sans s’adresser aux concerné·es elles/eux-mêmes ? Là aussi nous sortons du congrès avec un “groupe de réflexion”.
Parmi les autres points qui ont particulièrement marqué ce thème 2, nous avons aussi noté la question de la crise du recrutement des enseignant·es, à l’heure où nous apprenons que le nombre d’admissibles au CAPES de mathématiques est inférieur aux places accordées au concours… Un rapporteur a évoqué la chute du vivier de l’ordre d’une dizaine de milliers de candidat·es, en évoquant la masterisation qui avait porté l’exigence du niveau de recrutement au niveau master. Émancipation a assumé d’y voir un lien de cause à effet qui n’est certes pas le seul mais a réinterrogé au passage sur la stratégie du dialogue social qui, à l’époque de la réforme, devait voir en contrepartie une valorisation conséquente se mettre en place. Plusieurs propositions ont été faites comme celle de revenir à un pré-recrutement en licence avec un stage de deux ans permettant de prétendre à un niveau master. Mais soyons confiant·es… nous sortons avec un mandat pour élaborer un plan de recrutement…
campagne de Blanquer qui stigmatisaient certaines catégories de la population dans la foulée de sa croisade contre l’islamo-gauchisme et ce, tout en faisant des faveurs à l’enseignement privé dans lequel le poids de l’Église catholique est très important… On aurait aussi aimé que notre revendication de nationalisation laïque soit prise en compte pour porter aussi le débat de la laïcité sur celui de la nature des institutions, mais ça n’a pas été le cas.
Concernant le thème 3 : “Pour une société juste et solidaire”
Nous avons porté la stratégie d’articuler la nécessaire sortie du capitalisme avec des mesures d’urgence en matière sociale et écologique mais nous n’avons pas trouvé beaucoup d’écho. L’esprit est à la correction des inégalités et des choix d’investissement par le prélèvement fiscal sur… l’économie capitaliste, sans que les rapports de production ne soient réinterrogés autrement que par la recherche d’un “équilibre” auquel un État social serait à même de veiller. Un espoir a quand même émergé sur ce point grâce à une camarade de l’Académie de Nancy qui a porté la nécessité de défendre la création d’une Sécurité Sociale Alimentaire, notamment au vue des problèmes de nutrition qui vont s’aggraver pour les élèves et les personnels précaires en rapport avec l’inflation et de la qualité de la production alimentaire.
Nous avons également porté la remise en question de la propriété capitaliste autour de la question de l’hôpital public, la crise sanitaire ayant montré les freins que constituait la propriété privée de l’industrie pharmaceutique sur les brevets et la production. Nous avons également soutenu la nécessité que le syndicat se prononce et agisse pour la réintégration des personnels suspendus qui pérennise le déficit de ce secteur en travailleurs et travailleuses, en plus de constituer un précédent en matière d’attaque du droit du travail.
Un autre enjeu de ce thème était la nécessité de mandater le syndicat autour de la future réforme des retraites. Les mandats sur le fond marquent une position étonnamment rigoureuse et plus à gauche que ceux qui pourraient avoir pour vocation de coller à ceux porter par l’initiative politique NUPES qui a pris une certaine place dans nos débats. Le SNES a notamment réaffirmé sa volonté de porter la durée de cotisation à 37,5 annuités et accepté d’intégrer l’opposition à la suppression des régimes spéciaux et du code des pensions civiles et militaires….
Cependant, échaudés par le piétinement des mandats lors de la signature de l’accord sur la Protection Sociale Complémentaire, Émancipation a porté une motion pour empêcher que cette digue formelle des mandats ne soit pas emportée par le raz-de-marée du dialogue social en associant les revendications au refus de participer aux concertations sur une base incompatible avec nos mandats et à la création d’une mobilisation passant par la grève et l’auto organisation pour obtenir le retrait d’un tel projet. Nous n’avons pas obtenu gain de cause…
La question de la lutte contre les oppressions a constitué un gros point de ce thème mais nous y sommes intervenus dans la partie traitant de l’action, sauf sur la question de l’indépendance de la Kanaky qui a posé un problème par rapport à la référence au référendum et à la prise en compte de nos collègues qui dans l’enseignement, ne sont pas représentatifs des “natif·ves”. Nous sommes intervenus pour rappeler l’attachement qu’il faut avoir sur cette question à partir du point de vue des colonisé·es.
Concernant le thème 4 : “Faire évoluer notre organisation pour un syndicalisme renforcé et moteur de progrès social”
Sur fond de difficulté quant à la syndicalisation, les débats ont beaucoup porté sur la communication et ses aspects techniques. Un intervenant de l’Académie de Versailles est cependant intervenu pour dire qu’il fallait aussi prendre en compte la question de l’orientation. Nous avons défendu notre alternative en matière d’orientation syndicale autour de la critique du dialogue social et de la nécessité d’articuler les modes de mobilisation au mouvement social tel qu’il se faisait et non tel que l’organisation le voudrait. Nous avons contextualisé ces propositions dans les parties précédentes et suivantes du compte rendu donc nous ne développerons pas ici.
Nous pouvons par contre rendre compte de l’accueil de certaines de ces propositions faites par nous et d’autres congressistes, par la tendance majoritaire de la direction.
Les rapporteurs et rapportrices ont par exemple retenu la considération selon laquelle les luttes sociales favorisent le développement du syndicalisme, mais refusé d’intégrer le principe de participer aux Assemblées générales et coordinations. 326 congressistes n’ont hélas pas voté pour l’amendement rappelant que “le Snes a intérêt à suivre et à soutenir, dans le respect de ses mandats, les formes de lutte démocratiques initiées à sa base” et ce malgré certaines interventions appuyant la nécessité de dépasser l’hostilité de certain.es participant·es aux mouvements auto-organisé.es vis à vis des syndicats pour justement y faire la preuve de l’utilité de nos structures lorsqu’elles s’impliquent dans la mobilisation.
Cette considération essentielle pour participer aux mobilisations à la base n’a pas été reprise, de même que la structuration et la participation à des caisses de grèves qui seraient gérées dans ce cadre. Il existe cependant une “caisse de solidarité” interne au syndicat que nous pourrons solliciter via les instances du syndicat mais sans pouvoir anticiper un avis positif quant au soutien de mobilisations qui dépasseraient le cadre du dialogue social…
Concernant le débat sur l’“action”
Trois propositions d’actions futures, ont été clairement annoncées dans le texte “action” porté par la majorité :
- – Une grève le 19 mai dans l’AEFE (Agence pour l’Enseignement du Français à l’Étranger) pour contrer les menaces qui pèsent sur la nouvelle situation administrative et financière des détaché·es.
- – La journée de lutte contre la précarité organisée le 25/05, qui est bien sûr de notre point de vue une très bonne chose.
- – La mobilisation du 28/05 pour dénoncer l’empoisonnement au chlordécone par les pouvoirs publics, que l’on espère la plus réussie possible.
À l’heure où nous écrivons ce compte rendu, nous ne savons pas si la proposition d’intégrer la mobilisation du 26 septembre pour le droit à l’avortement a été intégrée.
Sans prétendre détenir la clé pour faire échec au gouvernement Macron, nous avons réaffirmé que la meilleure manière de ne pas freiner les luttes, c’était d’articuler les différents endroits où se produisent des idées : notre syndicat bien sûr, à tous ses niveaux à commencer par les sections d’établissement, les intersyndicales, mais aussi les Assemblées Générales. En conséquence, nous avons proposé de préparer les mobilisations en développant les convergences avec les collectifs autoorganisés liés aux luttes féministes, aux luttes antiracistes, aux luttes contre la précarité, aux luttes écologistes ou pour les droits démocratiques, etc. Nous avons notamment invité le SNES à prendre contact, dans le cadre de la FSU, avec la coordination féministe, qui s’est constituée à partir d’une centaine de collectifs locaux et sans qui il sera difficile d’arriver à une véritable grève féministe le 8 mars 2023. Face à la prévisibilité des inoffensives journées d’action sans perspectives, nous avons soutenu l’imprévisibilité des mobilisations dirigées par des AG souveraines qui se coordonnent à tous les niveaux, dans la perspective de la grève générale et incité le syndicat à faire la promotion de ces formes de luttes, en diminuant les frais de congrès pour alimenter abondamment les caisses de grèves.
En synthèse
La stratégie du dialogue social a été ultra-majoritairement réaffirmée, en recherchant le salut de l’action syndicale dans les mains des prochaines élections législatives puis professionnelles. Cette stratégie a hélas été adoptée avec une certaine cécité sur son incapacité à faire échec aux réformes structurelles. Elle a été parfois explicitement justifiée par le fait que le syndicat ne peut se permettre d’impulser des mobilisations qui ne marcheraient pas. Un tel syndicalisme se pose ainsi de fait comme extérieur aux prises d’initiatives du mouvement social qui a pourtant fait preuve d’une combativité supérieure à la combativité supposée ou réelle de certaines salles de professeur·es mais pas de celle de certain·es précaires comme celles des AED et AESH qui étaient à la pointe des mouvements de ces derniers mois, bien que très peu syndiqué.es. Un tel syndicalisme ne pourrait susciter que de la méfiance de la part d’un mouvement du type Gilets jaunes qui pourrait apparaître avec l’inflation comme dans de nombreux pays. Sur la grève féministe du 8 mars, le volontarisme affiché l’est peut-être sans doute du fait du dynamisme des collectifs de la coordination féministe qui y pousse mais qui n’a été évoquée concrètement que par Émancipation.
Les membres de la tendance majoritaire Unite & Action et même certain·es d’École Émancipée ont justifié certaines des positions comme étant des positions d’équilibre entre des positions divergentes dans l’organisation. Il s’agit hélas d’équilibres instables qui ne tiendront pas face aux perturbations économiques, écologiques et sociales et aux exigences de mobilisations de la période. Il va falloir Émanciper le syndicalisme et développer les cadres d’auto-organbisation pour faire face aux enjeux de la période… Ne lâchons rien !
Serge Da Silva, Quentin Dauphiné, Julien Legallo