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Quelle écologie dans l’espace urbain ?

L’écologie ce n’est pas planter un arbre dans un pot en centre-ville ! À Dijon, la défense des jardins coopératifs contre les projets de bétonnage est solidement ancrée. Malgré la destruction brutale des Jardins de l’Engrenage, la lutte continue.

Il faut bien un article à quatre mains pour traiter de la politique d’occupation des sols et d’urbanisation de la ville de Dijon tant, François Rebsamen, maire depuis 2001, est un activiste dans ce domaine. De la capitale des Ducs de Bourgogne tant vantée par l’office du tourisme, il ne restera bientôt plus rien.

Une bétonisation accélérée

Partout dans la ville et au-delà (“Le Grand Dijon”), des immeubles, des complexes immobiliers sortent de terre flanqués de noms pompeux – Fenêtre sur Parc, Villa Flore, Tempo, La Croisée des Arts etc. Le prétexte est toujours le même, vertueux et social, loger les plus modestes, permettre l’accès à la propriété à bas coût. Avant de revenir sur la bataille du Jardin de l’Engrenage, menée conjointement par la mairie et un promoteur, Ghitti, une annonce, récemment publiée dans la presse, n’augure rien de bon pour l’avenir des friches et jardins communautaires en France. François Rebsamen s’apprête à présider une commission nationale pour accélérer la production de logements. La FFB (Fédération Française du Bâtiment) et la FPI (Fédération des Promoteurs Immobiliers) ne s’y trompent pas et même se réjouissent franchement : “Nous prendrons toute notre part dans ces travaux, nous proposerons des solutions pragmatiques et rappellerons que les promoteurs immobiliers sont les meilleurs alliés des élus pour construire la ville de demain”, déclare par exemple Alexandra François-Cuxac, présidente de la FPI France.

Un autre projet de ville, de société

Le jardin de l’Engrenage et Dijon métropole, la lutte du pot de terre contre le pot de fer ? Pas sûr tant les occupant·es du lieu luttent et plantent sans se laisser intimider par les pelleteuses et les lacrymogènes.

C’était un petit jardin chantait Jacques Dutronc sauf qu’à Dijon, cela n’est pas une chanson… mais une parcelle de trois hectares, à 10 minutes du centre-ville. Les propriétaires des maisons ont petit à petit été exproprié·es et les terres laissées à l’abandon. Le promoteur Ghitti et la mairie de Dijon, peu intéressés par la nature mais beaucoup par le gain, ont donc prévu un nouvel éco-quartier. Promotion oblige, le projet annonce fièrement 60 % de couverture végétale, en décodé, des toits plats couverts de pelouse et des sols bétonnés.

La mairie et Ghitti n’avaient pas anticipé la fronde, le refus d’une urbanisation agressive, au détriment des terres arables.

Le 17 juin 2020, journée de lutte contre la réintoxication du monde, des militant·es, des habitant·es du quartier sont venu·es pour planter, pour aménager les jardins de l’Engrenage. Pas question après une crise sanitaire majeure de faire comme si de rien n’était et de continuer à maltraiter ce qu’il reste de la nature en ville. Dans une perspective anticapitaliste, les jardins sont nés de cette double idée de créer des espaces communs pour échanger sur le futur, se promener en cas de confinements et surtout imaginer de nouveaux modes de productions maraîchères et des marchés à prix libres dans le quartier.

Une revanche de la Mairie ?

Depuis 10 mois, des personnes de tous horizons ont donc bâti un lieu de vie avec des parties communes, des terrains de pétanque et de foot, des boîtes à livres, des espaces de rencontres et se sont organisées pour travailler et fertiliser la terre. Le paillage, la récupération d’eau, la construction d’une serre, la plantation d’arbres fruitiers ancraient le projet dans le quartier. Loin d’évacuer la question de la nécessité de logements accessibles près du centre-ville, les occupant·es ont proposé plusieurs projets alternatifs à la mairie pour allier jardins, espaces d’échanges et logements.

La seule réponse qu’iels ont eue a été la venue, le 20 avril au petit matin d’une centaine de gendarmes et policier·es venu·es pour raser de force les jardins, Verdun à Dijon. Le terrain a été ravagé. Pendant quatre jours, plus de 400 grenades lacrymogènes et assourdissantes ont été jetées dans les jardins et dans la maison occupée avec pour conséquence des départs de feu et la mise en danger des habitant·es. L’opération aurait coûté 15 000 e ! Des bulldozers et des tronçonneuses ont arraché les arbres, dont le tilleul centenaire, emblème du lieu et des camions remplis à ras bord ont fait plus de 40 navettes pour évacuer la terre rendue cultivable par le travail des occupant·es.

Par ce brutal tour de force peu digne d’un édile, Rebsamen a réussi à détruire un projet collectif. Une revanche prise sur le quartier des Lentillères qu’il ne réussit pas à déloger en dépit d’attaques constantes ?

Car, à l’autre bout de la ville, cela fait maintenant 11 ans que le quartier libre des Lentillères résiste au projet d’éco-quartier, une obsession pour François Rebsamen. Plus grand que l’Engrenage (neuf hectares au total), ce quartier réinvente l’occupation et l’utilisation des friches.

Que cela soit à l’Engrenage ou aux Lentillères, la question n’est pas l’appropriation des terres par des occupant·es mais plutôt l’usage collectif qui en est fait. Couper des arbres sans discernement en période de réchauffement climatique est un écocide, empêcher les cultures, les échanges sur les pratiques agricoles, les ventes à prix libre de légumes et anéantir les liens avec les habitant·es du quartier est une aberration.

L’urbanisation passée au “greenwashing”

Même si Rebsamen a abandonné le projet d’éco-quartier aux Lentillères, il ne renonce pas pour autant car sa nouvelle idée est de découper les terres du quartier en lots de maraîchage individuel sous bail nominatif. Tout plutôt que l’organisation collective qu’il déteste et qualifie dans ses déclarations, “d’anarchiste”. Contourner cette décision est un défi car il est difficile sur un plan légal d’habiter collectivement des territoires, même non exploités. L’auto-organisation se poursuit pourtant et les occupant·es ont décidé de faire des Lentillères une “zone d’écologie communale” afin de détourner le droit sans le nier et de pouvoir poursuivre le projet collectif.

Dijon pourrait illustrer à elle seule les incohérences et les insuffisances de la politique de l’État en matière d’urbanisation et d’écologie. Alors qu’à Détroit, ville des “Big Three”, déclarée en faillite après la crise de 2008, des usines désaffectées sont devenues des serres ou des fermes urbaines et des friches, des jardins communautaires, à Dijon, la municipalité fait le choix inverse. Le maire qualifie les initiatives citoyennes de séditieuses et préfère vendre des terrains publics à des sociétés privées plutôt que de permettre la mise en culture des friches par les habitant·es. Des “complexes urbains” obsolètes avant même de voir le jour, cernés “d’espaces verts” que jamais un pied humain ne foulera car une pancarte l’interdit, occupent la moindre parcelle vacante. Forte de cette politique d’urbanisation soi-disant respectueuse de l’environnement, Dijon a concouru pour le titre de “Capitale verte européenne 2022” mais l’anglicisme “smart city” (“Dijon, the smart city designed to care”, tel était le slogan de la candidature) n’a pas réussi à séduire le jury pas plus que les déclarations d’intentions sur la protection de la biodiversité. Grenoble a gagné. Si, si. Sept mois après cet échec, le maire envoyait des bulldozers au jardin de l’Engrenage.

S’emparer concrètement de la question écologique

À une époque où le préfixe “éco” pare de vertus le moindre substantif de la langue française, il est urgent de se demander si chacun·e d’entre nous, à l’instar des habitant·es des jardins de l’Engrenage et du quartier des Lentillères, ne doit pas se saisir de la question écologique de façon concrète et la réappropriation des espaces délaissés est une des possibilités. Il n’est évidemment plus question de transition écologique qui laisserait entendre que le temps n’est pas compté mais bel et bien d’urgence. Or, cette urgence-là n’intéresse ni l’État au plus haut niveau, ni les régions, ni les départements ni les mairies car elle n’est pas ni lucrative ni séduisante.

À Dijon, une étude de l’INSEE parue le 26 juin 2018 révélait que 7,6 % des logements restaient vacants. Et pourtant, François Rebsamen continue de répéter à qui veut encore l’écouter qu’il faut bétonner, araser des terres pour construire des immeubles d’habitation. Le 5 mai, vindicatif, alors qu’il signe avec la Métropole, la Région et l’État un contrat de relance de 250 millions d’euros, il déclare “Le réchauffement climatique cela passe par de grands projets, cela ne passe pas par la plantation de trois arbres au centre-ville ou par du jardinage”. Un grand projet comme “Garden State” (sic) à la place de l’Engrenage ?

Cette phrase, de la part d’un élu, inquiète tant elle témoigne d’une incompréhension des enjeux vitaux soulevés par les occupations de terres en friche, par l’implantation de ZAD partout en France. Le problème principal des villes ne serait-il par leurs maires à la mentalité de propriétaires, accrochés à leurs mandats (le quatrième pour Rebsamen), peu soucieux du bien commun, du droit des générations futures, entourés d’amis à qui ils font plaisir, entrepreneurs, marchands de biens et autres bétonneurs ? À Dijon, en tout cas, de Poujade à Rebsamen, le doute n’est plus permis.

Alors, on choisit son camp, celui des arbres et du jardinage, méprisé par un notable crispé qui pense que l’écologie est idéologique et d’extrême gauche. Dans les cinquante années à venir, comment respirer, manger, cultiver et vivre, voilà les seules questions à se poser.

Sophie Carrouge et Marine Bignon